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Message ou FAQ

 

Mon père

Email en pied de message
Novembre 2007

Bonjour,
Enfant, de 0 à 10 ans, j'ai assisté aux violences de mon père sur ma mère. Je vous livre un extrait de témoignage, que vous pouvez publier si vous le souhaitez. Merci.
Mélanie

" CARNE ! CHAROGNE ! ORDURE ! " il gueulait. Il se tenait debout derrière elle, en slip, et l'encourageait : " TRAINEE ! POUFFIASSE ! "
Pendant ce temps elle s'escrimait à déplacer mon lit pour m'arracher à une agression aquatique venue du plafond. On était souvent réveillés en pleine nuit par leurs beuglements. Lorsque mon frère et ma sœur avaient le courage de descendre, ils essayaient de contenir mon père qui brandissait machette ou couteau sous la gorge de ma mère. Ca durait environ une demi-heure, pour une soirée classique. Tout le monde glacé d'effroi, puis à force de supplications il rangeait la vaisselle. Rideau. On retourne au lit, jusqu'à la prochaine. Pourquoi les scènes d'horreur ont-elles toujours lieu la nuit et de préférence par temps d'orage ? La perspective d'observer les différends parentaux en une belle journée printanière suffisait à rendre ma vie plus douce.
Ce soir-là il se contentait de l'insulter, plutôt calme, même s'il avait sorti ses ustensiles, en slip. Il est impressionnant de constater à quel point lorsque l'homme est en proie à ses pires névroses, les apparences n'ont plus cours, enfin ! C'est sans doute la vraie, l'idéale sensation d'action, la possibilité d'un présent pur. Pourtant l'action aurait été plus chic en costume. Puis ils sont redescendus. Je l'ai entendu maugréer encore un peu avant de s'endormir contre la poitrine chaude et haletante de son épouse. Ca faisait partie du train-train de la maison, depuis le lendemain du mariage quatorze ans plus tôt, où les premiers symptômes d'une vie idyllique étaient apparus, au travers d'un impromptu lancer de bol dans la gueule. Le lendemain matin avait comme d'habitude quelque peu effacé cette scène de toutes les mémoires, les rendant à l'histoire. Parfois c'était une partie de Monopoly en famille le soir même. On préférait.
Un soir, il est monté dans la mezzanine. Il n'y venait pas souvent. Nous y avions installé un lit où nous dormions parfois ma mère et moi. Lorsque nous avons entendu le résonnement des larges planches de hêtre, nous nous sommes regardées, interrogatives. Nous présumâmes tacitement d'une nouvelle crise irraisonnée, et courbions d'avance l'échine. La peur montait. Ma mère continua à plier des vêtements, pour se donner une contenance. Il arriva sur le palier, en souriant. Je devinai ma mère encore plus méfiante. Il se planta devant nous. " Qu'est-ce qu'il y a de changé ? " Ma mère eut de la peine à masquer un regard d'incompréhension. " Alors, qu'est-ce qu'il y a de changé ? " il répéta. C'était son visage qu'il fallait regarder, car il tirait son cou et remuait la tête de gauche à droite, pour nous le signifier. Ma mère se prit au jeu. Elle le scruta, sous divers angles. Je m'y attelai aussi. Tout y passa en détail. La moustache, surtout la moustache, et puis les cheveux. Mais non. Tout était coupé, taillé comme la veille. Tandis que ma mère menait ses investigations, je redoutai que cette attitude ne fût qu'un prélude à une nouvelle crise. Une sorte d'introduction savante qui l'aurait amené à exposer clairement la raison de sa venue. " C'est les cheveux ? Allez, dis ! " Elle n'en pouvait plus. Elle pensait qu'il jouait avec ses nerfs. Cependant, elle faisait toujours comme si elle ne soupçonnait rien. " Allez, finissons-en ", devait-elle se dire, " viens-en au fait et cogne-moi. " Elle souriait, naïve. Il était calme et enjoué. " Alors, vous ne voyez toujours pas ? Eh bien, vous n'êtes pas très observatrices ! " Rien, absolument rien n'avait changé. Cependant il conservait cette attitude, un sourire figé aux lèvres. Non, ça n'avait pas l'air d'être un début de crise. C'était tout de même étrange. " Tu n'es pas fou, aujourd'hui ", j'avais envie de dire. C'était peut-être ça qui avait changé. Nous le suppliions, amusées. Il ne disait rien. Il ne nous dit jamais ce qui avait changé, parce que rien n'avait changé. Rien n'aurait jamais pu changer.
Du haut de mes quatre, six, huit ans, le temps se dilatait, les choses se répétaient, prenant un caractère ineffable. On s'habitue à tout, finalement. Innocente spectatrice de ces scènes, serais-je la même si elles n'avaient existé ? Et si j'avais connu la guerre ? Il n'y a qu'une alternative lorsqu'on vit l'humain dans sa pire incarnation : soit on développe de formidables capacités de relativisation, soit on devient une éternelle victime.

mela_collin@hotmail.com

Bonjour,
Je pense qu'on peut être une victime et développer des capacités de "relativisation" pour se défendre contre les traumatismes de l'enfance.
L'un n'exclut pas l'autre.
Relativiser, comme vous dites, serait un mécanisme de défense dont la victime s'empare pour limiter la violence du traumatisme et faire en sorte qu'elle puisse l'intégrer dans son chemin de vie.
Mais est-ce bien "relativiser" ou "dénier" ?
Pour ma part, j'ai le sentiment que votre maman a choisi une "issue" d'évitement pour parer à la violence de son mari, c'est à dire qu'elle cherchait à éviter l'émergence de l'acte violent sans pour autant changer les conditions qui provoquent l'apparition de celui-ci, ainsi, elle va tenter de détourner la violence naissante en entrant dans le jeu "hystérique" de son mari : "nous le supplions, amusées" mais, le problème, c'est qu'elle vous a emmenée avec elle dans son cadre relationnel, dans une sorte de consensus implicite, qui a fait de vous une double victime.
Bien sûr, vous n'aimez pas ce mot, peut-être parce que vous avez eu trop souvent la sensation d'être "sacrifiée", vous enfant, dans un monde d'adultes où vous n'auriez pas dû jouer ce rôle qui vous était imparti ? Peut-être parce que vous ne supportez pas l'idée d'avoir été manipulée et soumise à la vue d'un piètre spectacle ?
Pouvez vous me dire comment vous avez utilisé vos ressources personnelles pour échapper au piège parental ?
Qu'est-ce qui vous a permis de vous en sortir, outre cette capacité à "relativiser"?
Qu'éprouvez vous actuellement suite à l'évocation de ces souvenirs?
Merci de bien vouloir me répondre ; votre réflexion est très intéressante.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil

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