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Message ou FAQ

 

J'ai été atterrée par les propos de...


Mai 2012

Madame,
Je vous écris pour réagir à l'émission de M. Finkelkraut ce matin samedi 21 avril à 9h00 sur France Culture. J'ai été atterrée par les propos de Mme Iacub, en particulier au sujet du viol conjugal. Contrairement à Mme Iacub, je considère pour ma part (et, si j'ai bien compris, le législateur me donne raison) que le contexte conjugal est une circonstance aggravante en cas de viol(contester par ailleurs qu'il s'agisse là d'une agression sexuelle est proprement scandaleux, heureusement, Mme Salmona est restée absolument ferme sur ce point). Mon expérience personnelle corrobore en tous points la position de Mme Salmona. J'ai moi-même subi trois viols (selon la définition légale que Mme Salmona en a donné aux auditeurs): par mon petit ami à l'âge de 17 ans, par un collègue de travail vers 25 ans, et par un inconnu rencontré le jour même, à peu près au même âge, et au moins deux tentatives de viol par des inconnus, aussi en tant que jeune adulte. Je n'ai jamais porté plainte, il y a longtemps que les faits sont prescrits. A chaque fois, je me suis dit que je n'avais aucune chance d'être prise au sérieux en tant que victime, j'ai prévu les reproches qu'on me ferait et j'ai su, car je connaissais la culture dans laquelle je vivais, que l'on redoublerait mon opprobre en m'accusant d'être la responsable de ce qui m'était arrivé. Je passe ma vie à tenter de me remettre de ces multiples traumatismes, dont je considère d'ailleurs qu'ils ne sont pas les plus graves que j'ai subis dans ma vie, car les plus graves m'ont été infligés par mes parents, qui vivaient l'enfer d'une mentalité, d'une communauté de vie (et, certainement, d'une sexualité) typiquement inégalitaires et qui, dans ce contexte, ont agressé systématiquement leurs trois filles dès l'enfance, mais surtout dès l'adolescence. La lecture de Simone de Beauvoir m'a beaucoup éclairé sur ce point, sur ce qu'ont à vivre les filles qui doivent passer du statut relativement bénin de petite fille à la stigmatisation systématique qui attend les adolescentes dans tant de cultures "traditionnelles", et aussi, encore, souvent, dans la nôtre. Je pense que dans la société machiste où nous vivons toujours, les jeunes femmes sont conditionnées à subir l'exploitation sexuelle dans la relation de couple (mariage ou pas) et hors de celle-ci, comme elles sont conditionnées à subir et considérer comme normale toute forme d'exploitation socialement acceptable comme la relégation aux travaux domestiques ou aux tâches annexes et moins valorisées de la vie professionnelles. Je trouve que les femmes qui nient cette réalité commettent un crime à l'égard de celles qui la subissent. Si je pouvais, j'assignerais Mme Iacub en justice pour les propos que j'ai entendus ce matin. J'affirme que de tels propos sont traumatisants pour toutes celles qui ont subi et subissent encore des violences sexuelles. Au-delà de cette réaction que je sais être excessive et contraire au principe de la liberté d'expression, j'affirme que les violences sexuelles sont en effet le produit d'une idéologie qui rabaisse constamment les femmes dans le but, souvent inconscient tant cette pratique remonte à la nuit des temps, de les dominer et de les exploiter. Je ne hais pas les hommes, je suis mariée et je n'ai pas à me plaindre de la relation conjugale que j'ai pu établir avec un homme qui, contre toute attente de ma part, n'a jamais cherché à abuser des avantages "naturels" ou plutôt sociaux que sa qualité d'être humain de sexe masculin lui donne sur moi. Cette homme qui est mon mari pense, comme moi, que les hommes ont beaucoup à souffrir, dans leur vie intime, des inégalités entre les hommes et les femmes, et qu'ils ont tout à gagner à ce que, les un(-es) et les autres, nous arrivions à construire un monde où la violence sexuelle est nommée, reconnue, et n'a pas droit de cité. C'est sur cette note pleine d'espoir que j'aimerais conclure mon message en vous adressant mes voeux et mes encouragements pour l'action salutaire, indispensable au progrès social, que vous menez, vous-même qui me lisez ,et Mme Muriel Salmona que je viens d'entendre à la radio ce matin, et toutes celles qui oeuvrent dans le même sens. Merci d'avoir pris le temps de lire mon témoignage, que je vous autorise à diffuser ou à utiliser comme bon vous semblera.
En espérant avoir de vos nouvelles, je vous prie d'agréer, Madame, mes salutations les meilleures.

Bonjour,
Désolée de vous avoir fait attendre mais je reviens de quelques jours de congés...
J'atteste réception de votre message et je vous remercie de me permettre de l'utiliser dans notre espace publications-échanges. Pour ma part, je vais lire les derniers écrits de cette dame "Une société de violeurs" ; je connais cette personne par les médias et aussi parce qu'elle a été conférencière à la fac de Reims. J'ai remarqué que son côté "provocateur" pouvait effectivement mettre mal à l'aise et en colère.
Je m'interroge sur les raisons de ses déclarations : pourriez vous me transmettre le plus exactement possible ce qu'elle a dit? Je me lance dans ma lecture et je vous communique mes "résultats".
Merci pour votre participation.
A bientôt.
Cordialement,
Chantal POIGNANT

Bonsoir,
Je n'ai pas tout à fait fini le texte de M.Iacub mais je suppose, entre autres choses, que vous avez ressenti comme méprisant son refus de prendre en compte la notion de "sidération psychique" très bien expliquée d'ailleurs par M.Salmona in :


Mémoire traumatique et victimologie


Site de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, créée en 2009 et présidée par le Dr Muriel SALMONA, spécialiste des psychotraumatismes dus aux violences. Mémoire Traumatique et Victimologie est une association de formation, d'information et de recherche sur les conséquences psychotraumatiques des violences. Elle a pour but d'améliorer l'identification, la protection et la prise en charge des victimes de violences par une meilleure information du public et par la formation des professionnels impliqués, d'améliorer leur orientation et leur accès à des soins spécialisés de qualité, et aussi d'améliorer la connaissance et compréhension des conséquences des violences, dans l'optique de lutter contre toutes les violences et d'améliorer leur prévention.
http://memoiretraumatique.org/

M.Iacub est juriste et raisonne strictement dans un cadre juridique.
Je peux comprendre votre irritation.
Cordialement,
Chantal POIGNANT

Bonsoir,
Merci beaucoup de votre accusé de réception, et merci aussi de vous être penchée sur le sujet. Je suis désolée de ne pas vous avoir répondu plus rapidement, durant la semaine j'ai très peu de temps à consacrer à mon courrier électronique et il est rare que je communique par ce moyen avec des personnes que je ne connais pas. Si je m'y suis mise samedi dernier c'est vraiment que l'attitude et les propos de Mme Iacub m'ont révoltée. Il m'a semblé que cette dame manquait totalement de culture au sujet de la "domination masculine", sujet qui était pourtant le titre de l'émission de M. Finkelkraut. J'ai trouvé aussi, vous avez parfaitement raison de le relever, qu'elle semblait tout ignorer (ou ne rien vouloir savoir?) des connaissances médicales, certes récentes, qui se sont développées autour du traumatisme et de ses effets à court et à long terme sur les victimes d'agressions. En tant que juriste, il me semble qu'elle devrait s'y intéresser car cela fait partie de la problématique dont les cours de justice ont à connaître quand elles jugent des affaires qui impliquent des agressions sur les personnes. Pour répondre à la question que vous me posiez dans votre premier e-mail, j'ai eu l'impression que Mme Iacub tentait de retourner systématiquement la situation et considérait qu'en matière de viol, ce sont les femmes qui abusent des hommes, non pas en les violant, absurdité dont il n'a tout de même pas été question, mais en les accusant à tort et à travers, juste pour se venger d'eux sans doute (les motifs de ce supposé comportement des femmes n'ont guère été abordés). Si j'ai bien compris Mme Iacub, la violence qui pose problème à l'heure actuelle, ce n'est pas celle des hommes violents à l'égard des femmes qui subissent cette violence, mais bien plutôt celle des féministes à l'égard des hommes en général. A l'en croire, la volonté de certaines femmes, et des féministes en particuliers, de protéger les femmes de l'agressivité masculine est une entrave à la libre expression de la sexualité. Pour Mme Iacub, le vrai problème de la société contemporaine, c'est que la sexualité n'est pas assez libérée, et c'est la faute des féministes qui s'évertuent à tuer l'amour en infériorisant les hommes. J'ai retrouvé là une thèse que je l'avais déjà vu formuler dans divers articles de presse. Pour moi cela relève du contre-sens: une sexualité libérée, c'est justement une sexualité libérée de la contrainte exercée par le plus fort. Or Mme Iacub a l'air de penser que si les hommes ne sont pas libres d'être agressifs envers les femmes, il n'y aura plus de rencontre sexuelle possible. Tout cela m'a rappelé comment j'avais moi-même subi plus d'un rapport sexuel forcé, comment cela n'avait jamais, en aucun cas, représenté pour moi une expérience sexuelle, puisque je n'avais pas désiré ces rapports qui étaient bien, à chaque fois, des agressions, même s'ils n'ont pas été agravés de coups et blessures. Au delà de mon cas personnel, ce qui m'inquiète c'est la confusion que les thèses défendues par Mme Iacub introduisent dans le débat sur des questions aussi fondamentales que la libération sexuelle et l'émancipation des femmes. Cette confusion m'inquiète pour les jeunes femmes qui sont confrontées à un nouvel assaut de culpabilisation et au retour des bons vieux principes au nom desquels la violence peut se donner libre cours; par exemple, le principe du respect de l'intimité de la relation conjugale, autre thème de Mme Iacub, qui justifierait que la société n'intervienne pas pour faire cesser les agressions commises à l'intérieur du couple. Voilà, je crois vous avoir donné un aperçu assez complet de ce que j'ai entendu et compris samedi dernier. Je vous remercie de prendre le temps de me lire et d'échanger avec moi sur ces sujets.
Avec mes meilleures salutations.

Bonjour,
Marcela Iacub, dans son livre " Une société de violeurs?" publié chez fayard 2012, met fortement en doute la validité des enquêtes concernant les violences à l'égard des femmes mais ce qui l'agace encore plus, c'est que le viol en tant "qu'acte de domination" perpétue l'image de la femme dominée, persécutée par l'homme et renvoie encore les femmes à la perception d'une minorité opprimée qui continue de coller à l'identité féminine.
Or, selon la loi, le viol est un acte qui porte atteinte à un individu et non pas à une classe d'individus" ; en fait, elle s'insurge contre la volonté des féministes à classer les gens voire les victimes selon leur sexe (et non pas, selon leur simple appartenance à l'humain) et dans un contexte de domination masculine décrétée. De même, la notion de "sidération psychique" affirme encore plus la notion de domination sexiste. "Le fait de faire du viol un acte de domination ultime, loin de renforcer la liberté des femmes, la nie et la dessert" écrit M.Iacub.
Si théoriquement, je comprends ce que veut dire M.Iacub, pratiquement malheureusement, il me semble bien que la domination masculine notamment dans les cas de viols est encore avérée! J'attends vos réactions et vous demande si je peux publier notre communication car ce débat est intéressant.
Cordialement,
Chantal POIGNANT


Bonjour,
Merci beaucoup pour votre réponse et les éléments que vous m'apportez. Je n'ai lu aucun livre de Mme Iacub, tout ce que j'ai lu d'elle dans la presse m'ayant tantôt agacée, tantôt révoltée. Les précisions que vous me communiquez me sont très utiles pour me faire une idée plus précise du point de vue de Mme Iacub. Puisque ce débat semble vous intéresser, je vous livre quelques réflexions en réaction à ce que vous m'écrivez. Premièrement, je n'étais pas consciente que le féminisme avait théorisé le viol comme l'acte ultime de la domination masculine. Pour moi, il s'agirait plutôt d'un moyen d'intimidation parmi d'autres, sans aucun doute un des plus violents. Je me souviens d'avoir lu chez une féministe américaine (je ne sais hélas plus laquelle, cette lecture date d'une quinzaine d'année) une description très parlante pour moi de la façon dont les filles sont habituées, dès l'enfance et surtout dès l'adolescence, à subir discrimination et stigmatisation en raison de leur appartenance sexuelle. Pour moi cela aussi c'est du vécu: j'ai été élevée par un père travaillé par une misogynie profonde, nourrie aux sources judéo-chrétiennes et grecques antiques. Tout lui était bon, et lui reste bon encore aujourd'hui, pour accuser les femmes de tous les maux. C'est avec crainte et désespoir que j'ai vu les premiers signes de la puberté apparaître chez moi, je savais que ces signes me livraient à toutes sortes d'attaques dont rien n'allait me défendre. Comme l'écrivait cette féministe américaine, et sans parler maintenant du viol caractérisé, dans le monde machiste où je grandissais, les garçons avaient le droit de se moquer de mes seins qui pointaient, d'essayer de les toucher, de me raconter des blagues cochonnes pour me mettre dans l'embarras, ils avaient le droit, au fond, la culture dans laquelle je vivais leur donnait ce droit, de m'humilier puisque je devenais une femme, objet de mépris parce qu'objet de désir. Peut-être que vous ne l'avez pas vécu ainsi, car j'imagine que vous êtes plus jeune que moi qui ai la cinquantaine, mais jusqu'à très récemment, les filles étaient élevées dans la conscience de leur indignité personnelle, ce qui les préparait à se soumettre et à tout subir, y compris le viol, puisqu'au fond elles étaient coupables et portaient, bien plus que les hommes et peut-être même à leur place, le poids du péché originel. Deuxièmement, je ne sais quoi penser de "la volonté des féministes de classer les gens voire les victimes selon leur sexe". A ma connaissance, ce ne sont pas les féministes qui ont créé la différence des sexes au niveau biologique, la discrimination sexuelle dans la société, la stigmatisation des victimes (hommes ou femmes d'ailleurs). Toutes ces réalités s'imposent à nous, que cela nous intéresse ou non d'en prendre conscience. Pour ma part je suis très reconnaissante aux féministes d'avoir fait l'effort de décrypter pour moi, comme pour toutes les femmes qui souhaitent s'émanciper, les rapports de forces à l'oeuvre autour de nous et en nous. A ce sujet, je suis entrain de lire "Esquisse d'une théorie de la pratique" de Pierre Bourdieu, lecture que je recommande à toute personne qui s'imagine encore que la discrimination sexuelle et la domination masculine sont des fictions inventées par les féministes pour livrer je ne sais quel combat injuste et injustifié contre les hommes.
Troisièmement, la sidération psychique: là encore, il faut peut-être en avoir fait l'expérience soi-même (c'est mon cas), ou avoir été en contact rapproché et empathique avec des victimes en tant que soignant ou intervenant (ce n'est pas mon cas) pour voir de quoi il s'agit. Tout comme la discrimination, la violence et la domination, la sidération psychique elle aussi est une réalité humaine et relationnelle, pas simplement un concept théorique dont certain(e)s se serviraient par commodité. Ce qui ne veut pas dire que cette notion ne concerne que le cas d'une femme qui est agressée par un homme. Toute victime d'agression peut (je ne dis pas "doit", notez bien) en faire l'expérience.
Voilà que je me suis laissée entraîner à vous écrire assez longuement une fois de plus. Il faut croire que le sujet me tient à coeur! En relisant ce que vous m'écrivez sur Mme Iacub, j'arrive à peu près à la même conclusion que vous, c'est-à-dire que nous ne nous situons pas sur le même plan elle et moi. Théoriquement, son point de vue est tout à fait défendable, mais pratiquement, c'est un autre problème. Pour qui est soi-même victime de comportements, propos, coutumes (etc!) discriminatoires ou d'actes de violence, il est difficile (voire contre-productif) de faire abstraction de la réalité vécue pour se placer sur le plan des idées et de l'idéal. Dans l'idéal, c'est vrai, tout les êtres humains sont libres et égaux en droit. Néanmoins, dans la réalité, il faut défendre le faible et l'opprimé, et il se trouve, encore aujourd'hui, que c'est souvent une femme qui incarne le faible et l'opprimé. A mon sens, prendre conscience de cette réalité n'entraîne aucunement "d'essentialiser" les femmes en tant que victimes, c'est-à-dire, comme Mme Iacub semble penser que les féministes le font, de conclure, à partir de la réalité de la domination masculine, que les femmes sont par essence des victimes.
Je vous remercie de me lire et vous autorise à publier tout ou partie de notre communication. Je vous fais confiance pour ne pas dénaturer mes propos.
Avec mes salutations les meilleures.

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