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Message ou FAQ

 

La poupée brisée

Novembre 2002

Si j'ai accepté la proposition de Maître Nicole Milhaud de porter témoignage, c'est qu'elle arrivait au bon moment.
J'étais enfin prête à le faire.
Mais, je tiens à préciser une chose trés importante, je n'ai pu écrire ce témoignage que grâce à de nombreuses années de psychanalyse.
Ce furent de trés longues années de recherches, de doutes, de souffrances et de pleurs.

"Le viol est un meurtre qui laisse la victime vivante" écrit Philippe Bessoles dans son ouvrage Le meurtre du féminin, la clinique du viol.
Cet ouvrage m'ayant particulièrement touchée, j'y ferai souvent référence.

Avant tout, il est important de savoir que le monde dans lequel vit la "petite fille",
- femme en devenir -, n'a plus rien à voir avec la réalité.

Et pour pénétrer dans ce "monde", il faut tenir compte de son langage trés spécifique, qui inclut en lui toute la cruauté de l'acte.

- Sidération, pétrification.
- Souillure, contamination.
- Folie, cassures, blessures, plaies, cicatrices, torture, disparition des repères, sur le fil du rasoir, au bord du gouffre, esclavage, morcelée, écartelée.
- Victime, coupable, culpabilité, exclusion, marginalisée.
- Mort, mortifiée, remords, saccage, assassinée, exterminée, cadavre.
- Archaïsme, diable, crucification, profanation, sacrilège, pur/impur.

Mes parents ne pouvant partir en vacances, une de leurs amis dit connaître une "famille trés bien" qui pourrait nous accueillir mon petit frére et moi, afin de changer d'air. Nous partîmes pour deux mois.

Cette famille était composée des parents, d'un fils et d'une fille.
Je ne savais pas ce qui m'attendait, j'avais 5 ans.
J'ai sûrement occulté de nombreuses scènes, mais il me reste des images trés fortes, des sentiments, des couleurs, des odeurs, l'atmosphère, la méchanceté et ma perdition.

Première image : je dors avec mon petit frére, je suis réveillée en sursaut, la porte et la lumière sont ouvertes brutalement, je me frotte les yeux et voit le père qui me montre une chose immonde. Je ne comprends rien, je ne sais pas ce qu'est un sexe d'homme. Puis je vois le fils derrière lui et qui me sourit bizarrement.
Image trés brutale ! Je suis pétrifiée !
Trou noir !

Deuxième image : le fils m'entraîne vers une pièce dans la pénombre, c'est l'heure de la sieste. Il essaye de m'attirer à lui, il a une voix très douce, me dit des choses gentilles. Je n'ose pas bouger, alors il s'énerve un peu, j'ai peur. Alors, je me laisse faire. Je comprends qu'il y a quelque chose à cacher.
Pourquoi parle-t-il si bas ?
Trou noir !

Troisième image : je suis avec le fils sous le porche de la maison, il me coince contre un mur, m'écrase de tout son poids et cela recommence.
Trou noir !

Quatrième image : je suis avec le père et le fils dans une petite cabane de bois, il fait trés chaud, ils me font boire du vin mélangé d'eau et de sucre. Ils recommencent.
Trou noir !

Cinquième image : je suis avec le pére et le fils dans la chambre rouge des parents.
La mère et la fille sont au cinéma. Je suis au milieu du grand lit, ils recommencent.
La porte s'ouvre brusquement, la mère et la fille découvrent la scène. Hurlements.
Trou noir !

Dès le début, j'ai dû ressentir quelque chose d'étrange, puisque je me revois encore en train de regarder mon petit frère (1ère image) et de demander de ne pas le réveiller. Il fallait que je le protège.

"Sidération, pétrification. La petite fille se formalise dans la pétrification statufiante."
Philippes Bessoles.

Mais la petite fille ne comprend rien à tout cela, elle ne sait qu'une chose, c'est qu'elle n'existe plus, elle ne devient que la pure volonté de l'autre. C'est une poupée de porcelaine cassée en mille morceaux, une poupée de chiffon totalement désarticulée.

Et pour éviter de mourir, elle se précipite dans le trou noir, elle se rétracte au plus profond d'elle-même, elle ne sent plus, ne voit plus, elle est en elle, mais à la porte de la mort et de la folie. Ne pas s'y engouffrer !

Alors, elle trouve sa force dans la pétrification de son esprit.
C'est une force qui peut desarçonner l'adversaire, car il n'a plus qu'un ectoplasme dans les mains, mais il ne le sait pas.
Elle ne reçoit plus les coups, les caresses, les mots doux, visqueux.

"C'est l'impensable rencontre du pur et de l'impur." (P. B.)

La violence exercée sur la petite fille la fait basculer brutalement, sans prévenir, dans un monde perverti, où elle ne comprend rien, mais absolument rien. Son esprit cherche des repères, mais n'en trouve plus aucun.
Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Que me font-ils ? Qu'est-ce-que je leur ai fait ? Elle n'y comprend plus rien !

Mais une chose est sûre, c'est qu'elle a pénétré dans le monde de la folie, celui où tout est permis, ou toute transgression, même la plus abominable trouve toujours une justification.
Elle est projetée dans un monde archaïque, où les lois n'existaient pas encore, et en a découvert l'ignominie.
La route est longue et arride pour revenir du monde des morts-vivants.

Ces cinq images m'ont plongées dans l'horreur, mais je ne savais pas encore qu'elles allaient me poursuivre durant de nombreuses années, sous différentes formes. Tenaces, gluantes, collantes, emprisonnantes, mauvais film qui revient sans cesse, toujours au moment où on ne l'attend pas, au coin du bois…

Je me rappelle trés peu mes rapports avec le père en dehors de ces scènes. J'ai occulté. Trés peu de souvenirs également avec la fille. Elle me paraît lointaine, peut-être faisaient-ils pareil avec elle ?

Mais les rapports qui m'ont le plus marqués, ce furent ceux avec le fils et la mère.

Rapports avec le fils : il passe d'un extrême à l'autre. Quand il veut "s'amuser" avec moi, il est d'une trés grande gentillesse, me parle doucement, me donne l'impression d'être dans un "conte de fée", et puis tout à coup, il se montre horrible.
Dès qu'il n'a plus besoin de moi, il me rejette violemment, me dit des choses très méchantes, que je ne comprends pas, il me repousse, se moque de moi.
Là ce fut ma perte !

Je ne comprends plus rien. Je me sens responsable de sa mauvaise humeur, alors je fais tout pour être gentille.

Perdue, double langage, vous êtes enfermés, quelque soit la route que vous prenez, ce ne sera jamais la bonne avec ces gens-là.
Découverte de la perversité (toujours sans rien comprendre), mais tout est resté inscrit.

"L'enfant violé semble habiter un temps morcelé." (P. B.)

Dans ce rapport, la petite fille est coupée en deux, le travail de désintégration est en marche, elle rencontre le pur/l'impur, permis/interdit, douceur/cruauté. Mais une fois cassée en deux, elle est plus vulnérable et peut se casser en mille morceaux. Il faut balayer jusqu'à la plus petite parcelle de poussières.

Rapports avec la mère : ils furent des plus sadiques. En la voyant rentrer dans la chambre, je me suis crue enfin sauvée, mais désespoir, au lieu de me prendre dans ses bras comme toutes les mamans, pour me consoler, pour me protéger, elle me hurle dessus des mots que je ne connais pas, mais son visage haineux me fera comprendre que je suis fautive de quelque chose. Mais de quoi ?
Elle me faisait asseoir sur une chaise, les deux bras posés sur la table, elle m'y laissait longtemps et si j'avais le malheur de bouger la tête, elle me frappait violemment sur les bras.
Elle m'insultait en permanence, même devant leurs amis.
J'avais tous les yeux de ces adultes tournés vers moi et j'avais peur. Tous avaient des regards de méchanceté, de reproches, "comment se fait-il qu'une petite fille comme toi se tienne si mal ?"
Quelle horreur !

La petite fille comprend qu'elle ne fait plus partie des humains, elle est persuadée d'avoir commis la faute, la souillure lui couvre le corps. Elle est rejetée, marginalisée, objet du désir aveugle de ces pervers, elle est repoussée au-delà de ses limites.
Elle est assignée à la place de victime, mais de victime douteuse, "peut-être a-t-elle
provoqué ?", double fois victime !

Un jour, mes parents et mon grand-père sont venus nous rendre visite.
Essayant toujours d'être la plus parfaite des petites filles, je racontais qu'avant leur arrivée,
la mère avait ciré les escaliers. Tout le monde se mit à rire. Même la mère.

Je suis rassurée, enfin elle est gentille avec moi !
Une autre image s'impose à moi : je suis avec mon petit frère, nous regardons partir nos parents. Ils n'ont rien vu, rien senti, rien entendu?
Ils partaient rassurés.

Et là, le peu qui me restait dans la tête s'écroula : comment pouvaient-ils nous laisser là ?
Je serrais très fort la main de mon petit frère et nous pleurions.
Mais après leur départ, l'enfer reprit de plus belle ! La mère m'insulte, j'avais osé dire à mes parents la saleté de ces gens qu'il avait fallu couvrir de cire.

Ces gens m'avaient apposé à jamais le signe de leur déshumanisation, ils m'ont marqué au fer rouge.

"Le viol est l'hérésie du sexuel. Il défroque, en le profanant l'espace du sacré féminin. Il souille la virginité, toutes les virginités, et pas seulement celle de la Vierge. E, désaccordant les portées de l'harmonie humanitaire, il barbouille les accords du sexuel pour jouir de sa cacophonie. La clé de sa partition (perdition) déshumanise et désinstitue. L'interprétation qui suit fait œuvre de saccage."
"Le viol assassine sans tuer. Pire il n'a de cesse de torturer." (P. B.)

Et voilà ce que furent ces "gens trés bien", et le bon air.
D'autres petits enfants ont dû subir la même chose, mais où sont-ils ?

Dans ce traumatisme, tous les ingrédients étaient réunis, en même temps, au même moment. De là, l'explosion totale de ma personnalité. Ils m'ont déviée de ma route et entraînée sur des chemins de traverse où je me suis totalement perdue.

Le double langage est le plus fort, de par sa dualité, il est déjà soupçonné de perversité. Il ne donne pas de réponse, bien au contraire, il enferme, emprisonne.
Quoique la petite fille puisse faire, puisse dire, elle aura de toute manière tout faux.
Elle ne sait pas que les dés sont pipés d'avance, les autres, eux savent comment vous emprisonner et vous marquer à jamais. Leur perversité est à son comble. Ils en sont les maîtres.
Mais il faut se sauver à tout prix de cet enfer et tous les moyens sont bons, même les plus graves pour la petite fille. Il n'y a plus de limites entre le sexuel de l'enfant et celui de l'adulte, la frontière a été piétinée, l'enfant n'a plus qu'à errer dans le vide.
C'est l'éclatement total de l'humain en la "petite fille", désintégration totale.

Trahison de l'image parentale de substitution, double trahison encore avec le départ de mes parents. Trahison plus abandon. Beaucoup en même temps pour la petite fille qui ne peut plus s'arrêter de pleurer, tellement elle est perdue.
Personne ne l'entend.

"Le viol profane. Il est sacrilège. Comme l'indique l'étymologie du mot sacrilège (Larousse, 1990), il est "voleur d'objet sacré" et tels les marchands hors du temple (profane signifie "hors du temple"), il en détourne la valeur sacrée. Son hérésie est dans son imposture du sexuel puisque le viol n'est ni une déviance sexuelle, ni sexualité pathologique : il est a-sexuel. Tandis que le sexuel est humanisant. Il sépare le sacré et le profane comme le permis et l'interdit." (P. B.)

Violence, coups, mots blessants, haine, abjection, peur, cruauté.

Comment vivre après tout cela ?
Je n'ai rien dit à mes parents à cette période là, j'ai gardé le secret étant tellement persuadée de ma culpabilité.

A huit ans, je vais à l'Eglise pour me confesser, j'étais en pleine crise mystique. Le prêtre m'emmène dans la sacristie pour la confession. Je ne comprends pas. D'habitude, c'est dans le confessional. Mais pour moi, la sacristie, peu de gens y entrent, c'est un lieu encore plus sacré/secret et je suis fière d'y aller.
Puis le prêtre me serre trés fort dans ses bras, m'écrasant contre lui, bavant, sentant mauvais, soufflent comme un gros porc. Et il recommença.
Trou noir !

"L'empreinte indélébile odorante envahit l'espace tant il est vrai que l'odeur de transpiration, comme l'haleine du violeur colle à la peau !" (P. B.)

Mes pêchés ? avoir mangé trop de chocolat. Puis c'est ma fuite de l'Eglise et la conviction suprême que Dieu n'existait plus pour moi et perte de confiance totale dans les prêtres.

Cette fois-çi encore, je n'ai rien dit à mes parents, puisqu'ils n'avaient pas vu la première fois. Et puis cela devait être sûrement moi qui avait dû provoquer ! Peur, honte !

Alors,je suis restée de nombreuses années à garder mon secret.

Je reçus une éducation en complet déclage.
Il fallait être vierge pour son mari, pure et chaste. Quand ma mère voulut me donner des explications sur la sexualité, je ne l'écoutais pas, je ne voulais pas qu'elle me parle de cela, car je savais parfaitement que je n'étais et ne serais jamais comme cela, comme elle le voulait. J'étais sale, impure, marquée. J'avais honte de moi. De tromper ma mère comme cela. Finalement, de l'état de victime, je devenais coupable.

J'étais marquée du sceau du diable !

"La femme violée a vu le diable. Elle est contaminée." (P. B.)
Fautive, double fois fautive ! D'avoir osé regarder le diable et d'avoir été contaminée.
Au moment de la puberté, je pris beaucoup de poids. Période trés dure à vivre. Je voulais tout cacher, tout couper, je voulais disparaître derrière ma protection de kilos.
Etudes trés perturbées, redoublements, renvois de lycées, puis école privée avec toute la lie des voyous du XVIe.

Violences nombreuses :
bagarres, coups avec d'autres élèves, violences vis-à-vis des professeurs, agressions verbales et physiques, révoltée, écorchée vive, grande gueule.

A 15 ans, l'enfer recommença, bien sûr sans que je m'y attende.
J'avais une préférence pour un ami d'école, il me propose d'aller au cinéma. On se donne rendez-vous chez lui, il y a deux autres amis.
Et là, tout recommença !
Mais plus de trou noir, je me débats comme une tigresse et ils n'arrivent pas à leur fin.

Réaction saine : se défendre.
Mais le mal était beaucoup plus sournois, beaucoup plus ancré, enfoui. Je vais tout de même avec eux au cinéma, totalement pétrifiée.
Et je me retrouve avec mes bourreaux en train de regarder " Les Damnés " de Visconti.
Et devant mes yeux, je vois Helmut Berger qui viole et tue une petite fille de 5 ans, qui se prénomme Lisa.
Ironie du sort !
Comment se sont-ils sentis aprés tout cela, je n'ai jamais su.

Moi, j'étais totalement sidérée, la scène initiale venait de se rejouer et j'en étais encore l'enjeu. Je n'ai toujours pas compris sur le moment.
Ce jeune homme qui me plaisait, a joué avec mon désir, il l'a détourné aussi vers la violence. Mais là, je redevenais une petite fille de 5 ans et je retrouvais exactement les mêmes paroles, comportements.
Au début aussi, il était charmant, la voix douce et envoûtante. Puis devant mon refus, la violence, les coups.

Et les deux autres ont suivi !
Pourquoi, qu'avais-je fait, pour que l'on me traite ainsi ?
Puis je rentrais chez moi et là les digues ont lâché, les milliers de mots que je n'avais pu sortir durant 10 ans ont éclaté.
J'ai tout raconté à mes parents et mon frère. Quelle souffrance ! Mon père n'a pas bougé, pétrifié lui aussi. Ma mère est allée à l'école, ils furent renvoyés quelques jours. Et on en resta là !

J'appris des années plus tard, pourquoi je n'avais rien pu dire à mes parents dès la première fois, en plus de ce sentiment de culpabilité.
Mes parents avaient tous deux rencontrés des problèmes similaires.

Le "non-dit" avait bien fonctionné, mais il ressortait chez moi trés violemment - sexe, alcool. Non seulement, si j'avais parlé à l'époque, la douleur aurait été trop forte pour eux, en un sens je les ai protégés.
Etant tellement sûre d'être fautive de tout cela.
Les L. avaient réussi parfaitement à me faire taire et à me tenir pour responsable.

Il est intéressant de voir aussi la répétition dans la vie d'une personne, mais aussi la répétition du secret d'une génération à l'autre. Il faut en tenir compte. Nous étions tenus en esclavage par ce que chacun avait vécu, et j'étais la gardienne de ce secret.
Pour P. B. "le viol est un double meurtre en fait où le sexuel et le maternel sont assassinés. Pire, le viol assigne à la torture tel un matricule à l'avant-bras, à cette différence qu'il n'y a pas mieux que le sexe pour réduire l'Autre au simple commentaire de son esclavage."
"L'esclavage engendre la honte, la peur et on préfère tout garder pour soi. Ce matricule nous condamne à jamais. Femme crucifiée, elle porte l'infamante brûlure."

Après cette dernière agression, je tombais dans la drogue. Je quittais le foyer familial à 20 ans pour vivre avec un homme qui buvait, se droguait. Il me méprisait, à l'époque, je peignais, il alla jusqu'à taillader une de mes toiles. Jalousie.
Je l'ai quitté. Je n'ai pas été heureuse !

Puis j'ai vécu avec un malade mental, qui ne se retournait jamais vraiment contre moi, sa violence se retournait contre lui, tout en me rendant responsable de son état. Il me faisait du chantage au suicide en permanence.
Je l'ai quitté. Je n'ai pas été heureuse !

J'ai rencontré celui qui devait devenir mon mari et le père de ma fille. Il me traitait de folle. Quand ma fille atteint ses 5 ans, comme par hasard, je le quittais.
Ma fille dés son plus jeune âge me demandait réguliérement : "maman, je sais qu'il t'est arrivé quelque chose quand tu étais petite." Pourtant, le sujet n'avait jamais évoqué devant elle. Le "non-dit" faisait encore rage !

Puis ce fut la descente encore plus bas dans l'enfer. L'alcool m'attendait au bout du chemin !

Pour P. B. "Si le raz-de-marée du viol met la géographie corporelle sens dessus-dessous, il le fait aussi pour la géographie sociale, c'est-à-dire qu'il gomme les repères et les pervertit laissant derrière lui un désordre cataclysmique parfois impressionnant."
"Les errances, les butées, les impasses, les perditions des patients témoignent de "chemin d'erre" parfois, sinon souvent, à la limite d'une décomposition psychique ou d'un naufrage professionnel et social."

Et quoi de plus destructurant que l'alcool ? Au départ, c'était des petites fêtes oû je retrouvais brusquement une certaine magie.
Puis, trés vite, l'alcool est plus fort, il vous pousse à aller encore plus loin, il vous leurre quant à ses bienfaits. Il croit toujours autoriser, mais il vous rend esclave également.

Ce "chemin d'erre", je l'ai parcouru dans tous les bars de mon quartier. Et après les rires, les cœurs chavirants de faux bonheur, les promesses que l'on ne tiendra pas…
Plus la nuit avançait, plus les bars ouverts me voyaient arriver pleine de violence.
Je repérais l'homme le plus mauvais du bar et je m'en prenais à lui. Toujours le plus dur, le plus violent. J'avais le nez pour les dénicher.
Une seule chose comptait pour moi, qu'il se montre aussi gentil que le fils L., mais là, je m'en sortais souvent avec beaucoup d'humour tout en ne me gênant pas de lui dire ses vérités. Comme des moments de clairvoyance, et je me trompais rarement.

Parfois, cela se terminait trés bien.
Parfois, beaucoup plus mal. J'ai même failli mourir plusieurs fois, mais j'avais une bonne étoile.
Les patrons de bar me connaissaient, me protégeaient pour certains, je m'étais fait un réseau de relations, alcooliques, paumés, leur souffrance était la mienne. Je pouvais les comprendre, j'avais l'impression d'être de leur monde. J'ai rencontré des gens étonnants, brillants, mais marqués eux-aussi par des cataclysmes dans leur vie.
Je m'étais construite une image, je buvais trois fois plus vite que les hommes, j'allais seule des nuits entières dans les bars les plus glauques. Invincible !
Toujours révoltée, marginalisée, rejetée par le monde "bien pensant."

"Là, où l'esthétique donnerait à voir le balcon du beau, le viol pousse la femme contre la rambarde - le garde-fou - dit-on et la menace de la jeter dans le vide. Ce vide est synonyme de néant. En ratant son esthétisation, il le condamne à une simple béance." (P. B.)

Et puis, tout à coup, à nouveau le "trou noir" ! Décomposition psychique et physique.
Ces " trous noirs " pouvaient durer des heures, je ne me rappelais plus ce que j'avais fait, dit. Comme la petite fille, l'alcool m'emmenait dans ce "trou noir" et je recommençais à m'enfoncer le plus profondément en moi, à ma protéger (fausse et mauvais protection) et tout à coup le flash !

L'inverse de la scène initiale !
- Flash, lumière, découverte du sexe de l'homme, puis "trou noir."
- Mais sous alcool, "trou noir", puis lumière. Et le plus souvent je me retrouvais avec des amis ou des gens de rencotre qui étaient prévenant avec moi. D'autres l'étaient moins.

Encore une fois je me demandais ce que j'avais pu bien faire durant ces longues heures d'errance. Qu'avais-je dit ? qu'avais-je fait ? encore responsable ?
Pour moi, c'était de la survie de vouloir retourner la scène initiale, je voulais tout comprendre, mais elle était tellement pervertie que le résultat n'en était que plus douloureux.
J'avais également des dédoublements de personnalité trés marquants. Je changeais de voix, de tons, je devenais trés violente, haineuse, hideuse, j'éructais telle une sorcière. Je me battais également. Et je perdais mon esprit.
Je me retrouvais à la limite de la folie et de la mort.

"Plus qu'un garde-fou, le viol se fait garde-chiourme de la folie, mais tels ces sinistres kapos des camps de la mort, le violeur sait l'horreur pour laquelle il travaille. Il en est moins excusable."
"La femme violée a son étoile : celle de l'abjection qui l'assigne aux confins du vivant et de l'existant."
"A l'interface de la mort et de la vie, objet déchu, elle signe la limite floue et suspecte de ce qui choit et tombe sans véritablement choir, ni tomber."
"Plus qu'un repaire identatoire qui rapproche le viol de la folie" Qui suis-je ? ", c'est d'un acte qui s'est passé mais n'a pas eu lieu, dont la femme violée témoigne. Sa question reste lancinante." (P. B.)

"La géographie corporelle étant sans dessus-dessous", je ne voulais jamais rentrer chez moi, je n'avais plus de maison, plus de corps, ni d'esprit.
Je pouvais rester dehors deux à trois jours sans cesser de boire. Inutile de vous décrire l'état dans lequel je me trouvais physiquement et mentalement.
Mais à chaque fois, j'étais heureuse d'être encore là, encore une fois je m'en étais sortie, j'étais encore en vie.
C'était comme des crises, l'impression d'être lavée, j'avais le sentiment d'être "comme les rescapés de la mort, où la femme s'étonne elle-même d'être revenue vivante de l'holocauste pour nourrir remords et culpabilité." (P. B.)

J'étais toujours sur le fil du rasoir !
Que dire de mes rapports avec les hommes ?
Je me noyais dans des relations d'alcool, je n'ai pas rencontré un homme sans que celui-ci ne soit aussi alcoolique. Je trouvais toujours le même schéma qu'avec le fils L.
Toujours des hommes maniant le double langage, paumés, souffrant, pervers, méprisant, sans aucune parole agréable pour moi et tout à coup un flot de soi-disant amour s'abattant sur moi. Je n'ai jamais été heureuse avec un homme. Je les ai tous pratiquement quittés.

Par contre, j'avais un jeu machiavélique, j'arrivais à les attirer dans ma toile d'araignée, pensant qu'ils pourraient m'aider à la démêler. Mais aucun n'en était capable, alors je me vengeais et lorsque je sentais qu'ils étaient vraiment amoureux, brusquement je les quittais. Vengeance vaine, puisque tout le monde en souffrait, moi la première.
Saccage, et pour moi et pour eux. On ne s'en sort jamais indemne.

Je n'en regrette aucun ! Triste constat !

Quant aux "hommes biens", ils n'étaient pas pour moi. La marque de l'infamie ne pouvait que les faire fuir. Du moins, m'en suis-je persuadée.
Les rares hommes avec qui j'ai pu aborder ce viol ont tous pris peur. Alors, les autres !

"Le viol profane le sacré de la femme - et de la mère - et en dévoile son mystère, il ne cesse de l'interroger."
"Que fait donc l'homme entre les cuisses de la femme, sinon, en-deçà et au-delà de "l'immonde", interroger l'énigme de son origine." (P. B.)

Puis, il y a six ans, j'ai entrepris une cure de désintoxication. Je ne savais pas que cela allait être aussi douloureux.
Un vide total remplace l'alcool. Sentiment de ne plus être vivante, de n'avoir rien à dire, ou peut-être de trop, alors on se tait.
L'arrêt de l'alcool vous met face à vous-même, parfaitement à nu, et là vous devez faire le choix, ou bien je continue comme cela et je finirai en hôpital psychiatrique, ou à la morgue. Ou bien, on reprend tout à zéro et on essaye de regarder la "scène initiale" en face et non plus en s'enfuyant dans le "trou noir."

"Le viol n'a qu'un seul objet, l'extermination." (P. B.)
A cette période, je décidais de ne pas me laisser exterminer, je voulais vivre heureuse, savoir ce qu'est réelement l'amour d'un homme. J'ai tout à apprendre. J'essaye de retrouver ma route avant qu'elle ne soit déviée par les L.
Mais avant de la retrouver, il m'a fallu vivre encore des événements trés traumatisants.

"Les troubles du comportement et de la conduite chez le sujet ayant subi des violences sexuelles se nourrissent de répétition traumatique transportée de scène en scène. La compulsion de répétition les gouverne. La patiente semble jouer sur différents plans - scolaires, professionnels, sociaux - le trauma initial et ses butées d'élaboration psychique." (P. B.)

Non seulement ma vie d'enfant avait été détruite, ma vie affective douloureuse, mais je retrouvais également des situations similaires à la "scène initiale" dans le travail.

Premier emploi : apprentie mosaïste. J'adorais ce métier !
C'était un ami de mon père qui dirigeait l'agence avec sa seconde épouse.
Là, sans rentrer dans les détails, je fus l'enjeu de ce couple, mais lequel ?
Encore une fois, j'étais responsable. Trés malheureuse.
J'ai arrêté la mosaïque !
Deuxième emploi : je suis devenue peintre. J'adorais cela, c'est les instants où je me sentais le mieux. Déjà, plusieurs incidents s'étaient produits, cet ami qui avait tailladé une de mes toiles à coups de ciseaux.
Meutre !
Une seconde fois, un autre, peintre de surcroît, ne me parlait que de sa peinture, jamais de la mienne. Il faisait comme si cela n'existait pas. Puis un jour, lui aussi déchira violemment l'une de mes toiles, il me deboîta également l'épaule droite, pour que je ne puisse plus peindre.
Meurtre !
Puis un jour, ce fut une femme qui voulu devenir mon agent. Femme ressemblant étrangement à Mme L. Enorme, plus vieille que son âge. Elle fut ignoble avec moi. J'appris par hasard qu'elle me volait et son mari m'accusa d'être la cause de leur déroute financière. Ils voulaient que je travaille gratuitement.
Ils m'avaient volé, je le savais, je n'ai rien pu faire, ni me défendre, j'étais encore la responsable, la fautive, la pestiférée !
J'ai arrêté la peinture !

Cela faisait deux fois que j'arrêtais de faire ce que j'aimais. Et par deux fois par des couples pervers.
Avec un tel manque de confiance (être fiancée avec…) dans mon travail, dans ma personne, je me laissais faire me disant qu'ils avaient tous sûrement raison.
Mais, en même temps, je me suis aperçue que ces capacités artistiques avaient l'air de déranger pas mal de monde.
Là aussi, il fallait me taire. Et je me taisais.

Après l'arrêt de la peinture, je décidais de devenir maquettiste. Ma route dans ce milieu de la presse m'emmena (comme par hasard) vers un homme totalement pervers, mais je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite. Pervers, paranoïque aigü, un vrai malade mental.

Et là, je me suis engagée dans huit ans, pour à la sortie me retrouver entre la vie et la mort dans un lit d'hôpital.

Il est intéressant de voir qu'il était secondé dans le mensonge par une femme, un monstre de laideur. Toujours spectatrice, donnant des conseils mensongers, allant dans le sens de chacun sans aucune gêne, mais dés que vous aviez le dos tourné, elle vous donnait un coup de poignard.

Ils se détestaient, se faisaient peur mutuellement, mais leur machiavélisme était complémentaire.
Lui avait une "gueule d'ange", trés fin, des yeux de tueurs,glacials, trés drôle, connaissant bien son métier.

Mais c'était un diable !

Jeunesse trés perturbée, alcool, sexe, torture était le lot de ce monsieur.
Vie familiale asptisée, mais lorsqu'il était au travail, sa folie éclatait au grand jour.

Il passait d'un état à l'autre sans prévenir. Son humeur changeait pour des détails. Il mélangeait l'affectif. Il y avait des phases où il vous considérez comme amie, puis c'était le tour d'un autre. A chacun, il n'arrêtait pas de démolir les autres, et cela tournait sans arrêt.
En réalité, il détestait tout le monde !
Il avait des crises de paranoïa aigüe, et là les disputes très violentes, jusqu'à se battre, éclataient. Tout le monde se taisat, le sentiment qu'il puisse passer à l'acte nous angoissait. Nous étions ébranlés, tremblants, vidés.
Une fois, il a été sequestré par trois salariés du journal, toute une nuit. Encore une fois on fit tomber la faute sur moi.

J'avais commencé (sans le savoir) à me casser les bras.
J'ai commencé par me casser la main, et il me fit de telles scènes que je vins travailler avec mon plâtre. Résultat : main non consolidée, opération obligatoire.
Les trois salariés se servirent de ce prétexte pour le sequestrer. Et l'on me tint pour responsable. Je n'étais au courant de rien.

La direction n'est jamais intervenue !

Cela s'aggrava d'année en année. Et moi, je restais coincée, je ne me sentais plus moi-même, j'ai vécu huit ans toujours sur la défensive, mais en même temps il me fatiguait, je le trouvais trés bête, trés étroit dans sa façon de voir et vivre sa vie.

Je le connaissais par cœur. J'étais sous son emprise, je ne pouvais partir. Mais les deux dernières années furent de plus en plus douloureuses. J'ai commencé par avoir de gros problèmes d'angoisse, de peur, de santé, estomac, gastrite sur gastrite, perte de 15 kilos en six mois, migraines en permanence. Et les pleurs, les pleurs, à la maison.

Je mourrais chaque jour un peu plus. Comme par hasard, je me déboîtais à nouveau l'épaule.
Puis en avril 1999, une première maquettiste ne supportant plus cet enfer, partit. Le second la suivit.
Je me suis mise en arrêt maladie. Impossible de revenir travailler, peur énorme de le revoir. Ce n'était plus qu'un fou furieux, un diable. Il ne comprenait plus rien, tout le monde partait. "Mais pourtant, j'ai été gentil avec eux, j'ai tout fait pour eux…" et là la sorcière abondait dans son sens. Déléguée syndicale du personnel, ancienne communiste pure et dure, elle ne prit jamais notre défense, elle jouissait intérieurement de notre désarroi.

Ce que je ne savais pas à l'époque, c'est que jamais je ne retournerai travailler, je pris la décision de quitter ce journal.

Mais je ne savais pas non plus, c'est que je vivais une trés grave dépression.

Au moment de rechercher du travail, paralysie totale. Encore une fois on m'avait interdit de faire ce que j'aimais. Encore une fois je me retrouvais dans les tenailles d'un couple pervers, statufiée.

Puis une nuit, je fis une tentative de suicide. Je n'avais pas compris combien j'étais dépressive, autant dans le désarroi.

Mais encore une ironie de la vie !
L'après-midi précédant mon acte, je fis une drôle de rencontre. Celle du garçon de mon éc ole qui avait voulu me violer. Il me reconnut, m'invita à boire un verre. J'étais paralysée, je le regardais, mais comment pouvait-il être aussi tranquille avec moi après ce qu'il avait fait.

Et là, dans ma tête, tout s'est écroulé, tout revenait, l'horreur de ces souvenirs, toutes ces situations douloureuses, dans ma vie de femme. Toujours le viol revient, toujours, il ne vous lâche jamais. Tout s'enchaîne. Puis, le soir même, j'avalais médicaments plus alcool.

Mais entre-temps, au mois de juillet 1997, les souvenirs remontant avec plus de force ces mois-là, je décidais d'aller au commissariat pour voir ce que je pouvais faire.
Pour moi, d'aller en parler à un représentant de la Loi était d'une importance capitale, mais à l'époque je ne m'en rendais pas compte. Je me disais que si j'avais été leur victime, d'autres petites filles avaient dû subir le même sort. Le père a dû mourir, mais j'étais sûre que le fils devait perpétrer le rituel. Et donc, d'autres enfants sont peut-être encore en danger.
Il fallait que je le dénonce.

Je fus reçue, ironie du sort, par l'Inspecteur Chabert, à qui je dois beaucoup. Il fut trés respectueux, m'écouta attentivement, ne mettant jamais ma parole en doute, prit bonne note et me demanda plus de renseignements.

Je me décidais de retourner sur les lieux, en parla à ma mère qui me proposa de m'accompagner.

C'était une chaude journée d'été. Et j'allais tout retrouver !
Mes souvenirs étaient vrais, réels. Arrivée sur les lieux, je reconnus tout de suite la rue, la maison. Rien n'avait changé.
Je tremblais de tout mon corps, j'avais peur que quelqu'un ne sorte et ne me voit.
Je tentais un regard par l'ouverture de la boite aux lettres, et revis la cour exactement identique.

J'avais tellement peur, mais tellement heureuse. C'était vrai, rien inventé. Cela existait bien, ce n'était pas des tours de mon imagination. Et ce jour-là, je sus que cette démarche n'était pas inutile. C'était le début de ma guérison.
Elle me rendait aussi ma légitimité.
Journée bouleversante !

Le lendemain, je retournais voir l'inspecteur Chabert, et lui donnait les éléments manquants. Il me dit son respect pour mon courage. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi.
Le 17 septembre 1997, je reçus un courrier du Tribunal de Grande Instance. J'apprenais que je faisais partie d'"Affaires diverses" et que le délai de prescription était dépassé.

Cela me troubla beaucoup, mais j'étais plus tranquille avec moi-même, c'était inscrit et s'il fallait plus tard, peut-être intervenir comme témoin dans un éventuel procès, je serais présente.

Symboliquement, c'était encore plus profond et important que je ne l'imaginais. Cela allait me permettre de me reconstruire.

De 1997 à 1999, les rapports de travail, ma vie affective, je ne commençais à ne plus être du tout d'accord avec ce qui se passait. Je ne vivais par cela par hasard.
" El'hasard " qui veut dire " chance " en arabe.

Ma tentative de suicide était un viol contre moi-même. Et c'est moi qui le faisait, j'avais détourné la scène intiale. Ce fut pour exorciser le mal.

Ce voyage vers la mort, me permit à partir de là, de reconstruire sur les ruines d'une guerre, ma guerre.
Après cette tentative, et comme par hasard encore, je me cassais le coude gauche. J'avais déjà une main cassée, l'épaule droite opérée depuis.

Les deux bras cassés, ces deux petits bras sur lesquels Mme L. me donnait des coups. Et bien des années après, j'avais fait exactement ce qu'elle voulait à l'époque.

Bras cassés, alors on arrête de travailler. Plus de mosaïque, plus de peinture, plus de maquette.
Et c'est toujours moi la fautive, la sans foi, ni loi, qui ne respecte rien. L'aide de tous ces "pauvres gens", pourtant faisant tout pour mon bien, ils n'ont pu s'empêcher de par leur folie respective de me briser. Mais, je m'y suis engouffrée, car c'étaient les seuls rapports que je connaissais et essayais toujours de trouver la réponse (pourquoi moi ?).

Je fis un séjour de deux mois en maison de santé psychiatrique où j'étais suivie par un psychiatre qui me convenait et me comprenait parfaitement.
Au cours de ce séjour, je tiens à dire que sur le nombre de femmes présentes, la plupart avaient été violées : maladie mentale, dépression, alcool, boulimies, toxicomanie, anorexie.

Depuis l'âge de 23 ans, j'ai été suivie par cinq psychiatres.

Cette tentative de suicide m'a fait l'effet d'une purification, d'une renaissance.

J'avais fait le tour, j'avais réussi à déchaîner les maillons, j'étais tout à fait en mesure de voir et de comprendre ces répétitions inévitables, cet enchaînement logique qui me rendait prisonnière. Je n'ai plus peurs, car je sais que plus personne n'a le droit de me juger mes "errances", j'ai trop souffert et revient de l'enfer. Je n'étais pas moi.

Mais il faut savoir une chose, c'est que malgrè la compréhension, l'analyse, la découvert, un enfant violé ne pourra que passer du baume sur ses plaies et qu'à tout moment cette plaie, cette béance peut se rouvrir.
Il n'y a pas une seule journée qui ne se passe où la scène se reproduit dans notre tête, juste un mot, une odeur, et tout revient.
Nous sommes marqués par la peur, la honte, le dégoût de soi, manque de confiance terrible.

Pour Philippes Bessoles, "le viol est donc un meurtre redoutable, car le seul réussi, mais non accompli. Le viol condamne à mort, énonce sa sentence, et en suspend l'exécution. La victime reste vivante pour n'avoir de cesse que d'être à perpétuité exécutée. En cela le viol ne peut pas être une question de sexualité, mais bien, irréductiblement et fondamentalement une confiscation du temps."

Il m'a fallu 45 ans pour comprendre enfin le drame que fut ce viol, tout ce que cela a impliqué dans ma vie de femme.
Mais je n'ai aucune pitié pour ces gens là, je ne peux (et cela ne me pose aucun été d'âme, ils ont dépassés la limite) et ne veux les pardonner. Ce mot n'existe pas pour moi.

Ils ont volé mon enfance, ma vie de femme, ils m'ont déposé sans explications, sur une route ravagée par la guerre.
Il ne me reste que des ruines.

Si je pouvais leur dire : "je te rends ta violence, pour en faire ta question. Je ne suis plus ton prétexte. Je te rencontre enfin dans notre rencontre qui n'a pas eu lieu pour que, dans le regard, la parole, le face à face médiatisé, quelque chose ait enfin lieu. Echanger l'abîme d'une barbarie contre la question sans réponse." (P. B.)

Pour tous ces enfants, femmes, hommes qui ont ou vont subir cet enfer !

Pour toutes ces petites filles et ces femmes qui se sont fait violer durant les
guerres et qui sont exclues de leur famille, car souillées !

Pour ceux ou celles que l'on a pas cru et qui en sont devenus fous !

Et pour ceux et celles qui en sont morts !

Je n'oublierai jamais !

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