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par Léo Thiers-Vidal, doctorant en philosophie Le jeudi 21 octobre 2004, en parallèle au débat « Les résistances des hommes au changement » organisé par Les Cahiers du Genre à l’IRESCO, avait lieu une séance de formation à la résistance au changement. En effet, ce même jour, Le Journal du Droit des Jeunes - Revue d’action juridique et sociale organisait de nouveau à Paris, à l’Espace Reuilly, une journée de formation avec M. Hubert Van Gijseghem, psychologue belgo-canadien, promoteur en France, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg… de thèses dénoncées par de nombreuses personnes et associations luttant contre la violence faite aux enfants et aux femmes par les hommes. Ainsi, l’Association pour la Formation à la Protection de l’Enfance, dans un texte intitulé « Contre l’abus de silence », s’inquiétait en 1998 :
« Nous nous étonnons de l’audience que Monsieur Hubert Van Gijseghem rencontre depuis quelques années, et nous nous étonnons particulièrement de la place quasi-promotionnelle que le Journal du Droit des Jeunes lui consacre. Nous pensons que l’esprit du Journal du Droit des Jeunes et la thèse de Monsieur Van Gijseghem ne sont pas compatibles. Autrement dit, nous pensons que le droit de se taire quand on vous détruit n’est pas un droit, mais le triomphe ironique et cruel du système agresseur. »
L’AFPE poursuivait :
« Apparemment, Monsieur Van Gijseghem consacre quelques phrases dans ses textes et quelques minutes dans ses conférences pour reconnaître que des agressions sexuelles intrafamiliales sur mineurs existent et qu’elles constituent bien un fléau social. Mais aussitôt après, sa pensée se développe dans un tout autre sens et ne va plus se préoccuper désormais que de pourfendre ce qu’il considère comme des excès et des dérives en matière de protection de l’enfance. Il n’hésite pas à dire que c’est la mise en mots qui constitue l’abus, autrement dit que c’est la parole qui est le lieu constitutif de la violence. […]
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre ce qu’il appelle les fausses allégations, notamment dans un contexte de séparation des parents. Au nom de ce qu’il définit comme un “syndrome d’aliénation parentale”, il finit par discréditer systématiquement la parole de l’enfant dès l’instant que ses parents sont séparés. Ce qui se présentait comme une règle de prudence est devenue un dogme au service de la surdité.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem dit qu’il faut considérer la mémoire avec prudence. En fait, il joint sa voix aux tenants de la théorie dite des “faux souvenirs”. Avec eux il insiste sur les risques qu’il y a de prendre au pied de la lettre certaines réminiscences ou certaines images de l’inconscient, et avec eux il en profite pour nier l’éventualité d’un retour de mémoire traumatique après un temps d’occultation. Ici encore, la prudence nécessaire est priée de laisser la place au déni systématique.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre les effets pervers possibles des actions de prévention auprès des enfants. Mais en fait, il ne s'occupe pas de les professionnaliser d’avantage pour les rendre encore plus rigoureuses, il estime qu’elles n’ont pas lieu d’être et qu’il faut les rayer purement et simplement de la carte des écoles élémentaire et maternelle. Il ne concède qu’une action préventive en direction d’adolescents “à risques”, comme si seul l’agresseur potentiel pouvait bénéficier de ses attentions.
Apparemment, Monsieur Van Gijseghem met en garde contre ce qui relève à ses yeux de l’acharnement, tant en matière d’investigation qu’en matière thérapeutique. Mais en fait, il considère d’une part qu’il n’est nul besoin d’une thérapie spécifique pour des enfants victimes d’agressions sexuelles, d’autre part que leur parole doit rester contenue dans un espace clos et qu’il n’est nul besoin de la relier à l’instance judiciaire. »
M. Van Gijseghem n’est pas un psychologue marginal ou isolé. Professeur à l’université de Montréal, il est également expert judiciaire et intervient dans la formation de magistrats, de psychologues, de policiers, de gendarmes et de travailleurs sociaux dans différents pays. En France, où il est entre autre conférencier à l’Ecole Nationale de la Magistrature, un récent rapport du Ministère de la Justice recommandait qu’une méthodologie introduite par Van Gijseghem soit utilisée par les policiers accueillant la parole d’enfants victimes de violences. En Belgique, en pleine affaire Dutroux, des gendarmes ont été formés par ce même Van Gijseghem en matière d’écoute et de recueil de témoignages de victimes de violences. En Suisse, il est intervenu dans la formation de magistrats et de policiers du Canton de Tessin et auprès des policiers du Canton de Neuchâtel.
Malgré les thèses avancées, relativement peu de critiques ont été entendues et surtout sérieusement prises en considération. Récemment, le député socialiste Giuseppe Bill Arigoni a pourtant interpellé – sans succès - le Conseil d’Etat du Canton de Tessin concernant l’invitation faite à Van Gijseghem pour venir former des magistrats suisses : « [c’est] un auteur controversé, discuté et critiqué pour son ambiguïté, sa partialité, le manque de fiabilité scientifique de ses études ». Aux Pays Bas, la journaliste et juriste féministe Simone Korkus a dénoncé l’idéologie du syndrome d’aliénation parentale: « Le plus grand danger lié à l’application du syndrome d’aliénation parentale est le fait que des cas réels d’inceste soient maintenus hors de la sphère de l’intervention de protection des enfants et de l’intervention judiciaire. La vie de milliers d’enfants risque ainsi d’être mise en danger ». En Allemagne, le journal féministe EMMA a signalé le constat fait - lors de la journée du droit de la famille de 2001 - que « le syndrome d’aliénation parentale ‘cette soi-disant théorie’ était non scientifique, car elle ne repose pas sur ‘une observation systématique’ mais sur ‘un agrégation de cas où l’imputation de faute était effectuée de façon monocausale’ ». En France, les journalistes Laurence Beneux, France Berlioz et Serge Garde ont écrit : « Plus grave encore, certains ‘experts’ en vogue - tel le Canadien Hubert Van Gijseghem -, vont même jusqu’à affirmer qu’en cas d’inceste ‘les effets d’un dévoilement (basé sur la réalité ou sur la fiction), d’une investigation et d’une judiciarisation, sont aussi dommageables que l’abus sexuel lui-même’. Bref, il serait préférable de ne pas porter plainte. » Le Collectif Féministe Contre le Viol, dans une interview publié dans Alternative Santé, a déclaré : « L’idée de la multiplication des fausses allégations repose sur la subjectivité des personnes et la parole de certains magistrats. Un psychothérapeute d’origine belge, Hubert Van Gijseghem a largement participé à la propagation de cette idée lors de sessions de formation organisées en France ces dernières années pour les professionnels de la maltraitance. » La sociologue féministe Christine Delphy écrivait - dans le Monde Diplomatique de mai 2004 - à propos des lobbies masculinistes : « Le plus souvent, ces groupes de pression agissent de façon souterraine, en formant des ‘experts’ qui témoigneront devant les tribunaux, en écrivant des livres de ‘psychologie’ où les avocats des hommes violents et des pères incestueux, ainsi que les auteures d’ouvrages ‘baquelachiens’, puisent leurs arguments ». Puis, « Ils argumentent volontiers sur de ‘fausses allégations’ des enfants ou encore sur le ‘syndrome des faux souvenirs’. Autant d’expressions popularisées dans les tribunaux et les écoles de magistrature par les ‘experts’ Hubert Van Gijseghem et Paul Bensoussan, notamment ». La pédopsychiatre belge Catherine Marneffe, quant à elle, s’est inquiétée du fait que Van Gijseghem s’appuyait sur des écrits de « pédophiles notoires »…
Outre les thèses avancées, il est en effet particulièrement inquiétant de constater qu’un tel personnage puisse former des professionnels de l’enfance et ce malgré le fait que Van Gijseghem – qui s’appuie sur leurs travaux - semble considérer les théories pro-pédocriminelles des psychologues et experts judiciaires américains Richard Gardner et Ralph Underwager comme exprimant « une approche humaniste de la pédophilie » - comme il a affirmé lors d’une conférence à Lyon. Gardner, l’inventeur du syndrome d’aliénation parentale, considère par exemple :
« Il est ici pertinent pour ma théorie que la pédophilie sert des buts procréateurs. Évidemment, la pédophilie ne sert pas ce but de façon immédiate puisque les enfants ne peuvent tomber enceinte ni rendre d’autres enceintes. L’enfant attiré dans des interactions sexuelles dès l’enfance est susceptible de devenir hautement sexualisé et de rechercher activement des expériences sexuelles durant les années précédant la puberté. Un tel enfant “ chargé à bloc ” est susceptible de devenir plus actif au plan sexuel après la puberté et donc susceptible de transmettre rapidement ses gènes à sa progéniture. [...] L’idéal est donc, du point de vue de l’ADN, que l’enfant soit sexuellement actif très tôt, qu’il ait une enfance hautement sexualisée avant d’entamer sa puberté ».
Underwager affirme quant à lui :
« Les pédophiles dépensent beaucoup de temps et d’énergie à défendre leur choix. Je ne pense pas qu’un pédophile ait à faire cela. Les pédophiles peuvent affirmer fièrement et courageusement leur choix. Ils peuvent dire que leur volonté est de trouver la meilleure façon d’aimer. Je suis également théologien, et en tant que théologien, je crois que c’est la volonté de Dieu qu’il existe de la proximité et de l’intimité, de l’unité de la chair entre les gens. Un pédophile peut dire :’Cette proximité est une possibilité pour moi parmi les choix que j’ai faits.’ Les pédophiles sont trop sur la défensive. »
Il n’est donc pas surprenant de voir que Van Gijseghem semble être très apprécié par le MEDEF des rapports hommes-femmes - ces associations réactionnaires de pères divorcés qui luttent pour maintenir leur droit de propriété sur les enfants et les femmes – pour lequel il intervient et qui le citent souvent dans leurs bibliographies et sur leurs sites internet. Dans une récente interview en Belgique, Van Gijseghem a exprimé un peu plus explicitement que d’habitude ses partis pris idéologiques. Parti pris de parent, tout d’abord, puisqu’il semble craindre qu’en écoutant et en respectant les décisions des enfants qui ne veulent plus voir un parent, on renonce à son pouvoir sur les enfants : « Un meurtre parental [sic] veut également dire la destruction de la distance entre les générations, c’est-à-dire parents et enfants. L’enfant n’est plus un enfant. Et ce que nous voyons chez les victimes d’aliénation parentale, c’est que l’enfant – une fois devenu adolescent – prend le pouvoir, non seulement sur le parent assassiné [sic] mais également sur le parent aimé… car on a toujours respecté son choix, on lui a donné raison, on n’est pas intervenu… donc l’enfant a, pas seulement de façon virtuelle mais également de toutes les façons… pris le pouvoir. Et cela aura des conséquences sur la façon dont il grandira, dont il deviendra adulte. Il aura probablement du mal avec l’autorité, et souvent avec la loi ». Parti pris de père, ensuite. Selon Van Gijseghem, depuis les années ’70 l’intérêt de l’enfant primerait en matière de droit de garde. « Les hommes étaient, en tout cas ils le pensaient, d’aussi bons fournisseurs de soins que les femmes. La justice les a suivi, car rapidement dans les années ’70, la justice a dit : « Oui, nous pouvons entendre cela qu’un homme est aussi un bon maternant, un bon gardien » et là, les experts sont intervenus, et les experts devaient répondre aux questions formulées par la justice « Qui est le parent psychologique ? », « Qui était jusque là le meilleur gardien ? »… et de plus en plus on est arrivé au constat que le père était le meilleur gardien [sic], donc, voilà, le meilleur intérêt de l’enfant ». Parti pris d’homme, également, car il poursuit :« Assez étonnamment, même si c’est le féminisme qui a revendiqué cet égalitarisme, c’est également le féminisme qui n’a rien voulu en savoir, que cet égalitarisme soit appliqué au droit de garde [sic]. » Puis, « c’est clairement lié au nombre de divorces, d’abord, mais également au fort succès que le féminisme a eu sur d’autres domaines, p.ex. lorsque le féminisme a commencé à dénoncer la violence conjugale elles ont rencontré un fort succès sur le plan judiciaire – et c’est une bonne chose – et, c’est également vrai que tout le phénomène d’aliénation parentale est en effet lié à « le bataille des sexes » [sic]. […] C’est un paradoxe incompréhensible : lorsque l’homme était assis dans la taverne et le café et ne s’occupait pas des enfants, alors les femmes hurlaient et disaient « ces hommes ne se préoccupent pas de l’éducation des enfants » et maintenant que les hommes veulent s’en occuper activement, maintenant les femmes sont blessées, ne sont pas d’accord et elles trouvent que les hommes ne sont pas qualifiés, ne sont pas aptes pour tenir ce rôle. » Parti pris d’expert, ensuite, puisque Van Gijseghem fournit régulièrement des expertises judiciaires – entre autre concernant des hommes accusés de violences sexuelles – et que de ce point de vue il considère nécessaire que l’aliénation parentale - telle qu’il l’a repris de Gardner - soit reconnue comme un syndrome psychiatrique officiel. « L’aliénation parentale n’a pas encore d’existence officielle car elle n’a pas encore été intégrée dans nos classifications officielles. Elle doit être reconnue, elle doit être nommée pour que les juges puissent en tenir compte. Car une fois qu’elle aura une existence scientifique officielle, elle devient un fait. Les juges, je le répète, ont besoin de faits. »
Finalement, Van Gijseghem adhère sans surprise – mais non sans opportunisme - à l’idéologie de la loi « naturelle ». « La parentalité biologique reste importante car elle est une des racines de l’identité. […] Et bien, oui, si le parent biologique est correct, c’est-à-dire si c’est un bon parent, alors c’est une loi naturelle qu’un enfant doit avoir des contacts avec ce parent biologique. Bien sûr, si le parent biologique ne veut pas, et bien, à l’impossible personne n’est tenu – comme on dit quelque fois – si le parent biologique ne veut pas […], alors c’est peut-être mieux que l’enfant reste loin ou éloigné du parent biologique ».
Loin de la neutralité idéologique dont Van Gijseghem se revendiquait récemment dans un journal Suisse – suite aux questions formulées par le député socialiste Arigoni – affirmant « je suis un scientifique, un studioso, lui un politique. Nous vivons simplement dans deux mondes différents », on constate en effet que nous avons là affaire à un investissement idéologiquement situé : complaisance envers des écrits pro-pédocriminelles, thèses hautement problématiques du point de vue des enfants victimes de violences sexuelles, agenda scientifique influencé par des pratiques judiciaires… Les quelques éléments abordés ci-dessus semblent attester du fait que nous avons là bien affaire à un exemple paradigmatique de la résistance masculiniste face à la lutte pour la reconnaissance juridique et sociétale des violences faites aux enfants et aux femmes par les hommes. Notes© Léo Thiers-Vidal, Lyon, France, 26/10/04.* URGENT ** |