Maintenant, cela
fait 16 ans ...
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en pied de message
Octobre
2004
De Janvier
1996 à Août 1998
Quand
tout va bien, j'ai autre chose à faire que d'écrire, mais
quand tout va mal, écrire, raconter, c'est un genre de thérapie
qui me permet de faire le vide et d'éviter de le dire à
mon entourage, d'échapper aux critiques.
Je relis souvent ce que j'écris, j'y apporte des corrections,
change des mots.
J'écris comme si je me confiais à quelqu'un, comme si
quelqu'un allait lire ce qu'il y a en dessous, en prendre connaissance
puis discuter avec moi, sans me poser de questions stupides mais trouver
les mots qui pourraient m'aider à avancer.
Cela s'est passé il y a maintenant 8 ans, en janvier 1988. Je
n'étais pas encore majeure. J'avais à ce moment là
17 ans et demi. On croit que ça n'arrive qu'aux autres, que ça
ne peut pas nous arriver... ce jour là je faisais partie de ces
personnes.
Depuis 8 ans, pas une journée ne s'est passée sans que
je n'y pense. Huit années, où je commence à aller
mieux, où je ne me réveille plus la nuit toute en sueur,
le corps complètement crispé. J'éprouve beaucoup
moins d'angoisses.
Je ne vais presque plus sous la douche me frotter jusqu'au sang, pour
faire disparaître ces terribles démangeaisons qui viennent
de l'intérieur, pour enlever cette sensation d'être souillée,
sale.
Ce que je ressens actuellement, c'est une profonde haine qui grandit
de jour en jour. Je ne pense pas qu'un jour je pourrai éprouver
de l'indifférence. J'attends le moment où je me trouverai
face à lui, où les rôles seront inversés,
où il me suppliera à son tour.
Je sais qu'il doit continuer avec d'autres filles. Rien que d'y penser
j'en suis malade. Je culpabilise mais porter plainte ne résoudra
rien. Même si je gagnais l'interminable procès, ma famille
serait au courant, mes amis aussi, la presse etc.. Toutes ces souffrances
inutiles pour 1 an maximum de prison peut-être même moins
ou peut-être rien du tout !
Si ma famille l'apprenait je ne pourrai plus les regarder en face, je
ne veux pas de pitié, je sai que mon seul allié est le
temps et ça personne ne pourra l'accélérer !
Le viol n'est pas puni sévèrement. J'ai regardé
une émission à la télévision qui en parlait,
j'ai été dégoûtée quand j'entendais
les peines qui été appliquées à des êtres
ignobles. Pour moi, le procès serait un deuxième viol
aussi pénible que le premier, sûrement plus insupportable.
Je ressens plusieurs sentiments à la fois, de la honte, du dégoût,
de la culpabilité, de la haine. J'ai l'impression d'avoir perdu
une partie de moi à tout jamais.
J'ai décidé d'écrire ce qui s'est passé,
pour me libérer mais aussi parce que j'aimerai un jour pouvoir
le faire lire à quelqu'un en qui j'ai complètement confiance.
Il m'arrive parfois quand je suis avec quelqu'un que j'apprécie,
que j'aime bien, de vouloir en discuter, non pas pour me faire plaindre,
mais pour m'aider à oublier, je sais très bien que d'en
parler ça me ferait le plus grand bien, mais je ne veux pas en
parler avec n'importe qui.
Il y a 8 ans, j'étais en Terminale à [lycée]. C'était
un vendredi, en janvier, 16 heures, nous allions en cours d'Economie
et de Droit. Nous avions une interrogation sur 2 heures. Connaissant
bien le sujet du devoir, j'ai rendu ma copie une heure après.
Le prof s'est vivement opposé à ma sortie, estimant que
j'avais bâclé l'interrogation. Nous avons échangé
des paroles assez virulentes, défendant mon opinion. Je suis
restée assise attendant la fin de la deuxième heure pour
sortir.
Vers 17h30 des copines commençaient à rendre les devoirs.
Il s'est adressé à moi, en me tendant des feuilles à
photocopier. Comme j'étais déléguée, il
estimait que s'était mon travail, et j'ai dû aller faire
les photocopies. Le local se trouvait au deuxième étage.
J'ai terminé vers 18 heures, juste après la sonnerie.
Tout le monde était déjà parti. Je m'empressais
de poser les copies sur son bureau, mais il m'en a donné d'autres
à faire. Je protestais en lui disant que ça venait de
sonner, mais il utilisait une sorte de chantage, me faisant comprendre
qu'il ne tiendrait pas compte de notre discussion pour la note. Je me
résignais et retournais au local.
Je ne soupçonnais pas à ce moment là ce qui allait
se passer. On croit que ça n'arrive qu'aux autres. J'éteignais
la photocopieuse quand soudain je sentis une présence derrière
moi. Il était là, et me regardait de façon très
bizarre. Je lui rendais les photocopies et attendais qu'il se pousse
pour pouvoir sortir.
La nuit commençait à tomber et dans le bâtiment
il n'y avait plus personne.
Surprise, je n'ai pas eu le temps de comprendre, ni de hurler. Il pointait
vers moi un couteau dont la pointe touchait ma gorge. Mes jambes sont
devenues molles, j'ai essayé de crier mais j'ai eu la respiration
coupée par cette lame qui s'enfonçait assez pour me faire
saigner.
Tout mon corps s'est mis à trembler. La peur, la panique, l'angoisse,
la terreur, tous ces sentiments que je croyais connaître ont pris
possession de moi d'une manière démesurée. Je me
souviens de chaque instant comme un cauchemar qu'on ne peut pas oublier,
ce moment est gravé dans ma mémoire comme des lettres
sur une plaque de marbre.
Je n'arrivais pas à dire un mot, je n'arrivais pas à réaliser
ce qui se passait.
Je tremblais tellement que je n'arrivais pas à me tenir debout.
Je me suis retrouvée collée au mur, cherchant une issue.
Mon cerveau disjonctait. Mille questions sans réponses résonnaient,
mes oreilles bourdonnaient, je suais, transpirais de peur, des tas de
questions me brûlaient les lèvres, mais rien ne sortait.
Je n'arrivais pas à croire que cela puisse exister, dans un lycée
et un prof !!
Je ne voulais pas le croire, j'ai cru pendant un moment que je faisais
un cauchemar, que tout cela n'était pas vrai, impossible.
Il a commencé à promener son couteau sur mon visage puis
sur mon corps. Le souffle coupé à ce moment là,
je sentais tous mes muscles se raidir comme si je devenais une pierre.
Il ne parlait pas, j'entendais seulement sa forte respiration. J'avais
peur, très peur qu'il me tue. J'ai terriblement peur des armes
blanches depuis que je suis petite, et ce couteau qui se promenait sur
mon corps me terrifiait.
Par la suite, j'ai réagi comme un robot, exécutant ses
ordres. Je n'ai pas dit un mot pendant tout le viol. J'étais
dans un état second, ne craignant que de mourir, ne voyant que
ce couteau. Je me suis retrouvée allongée sur le sol glacé,
face contre terre, le couteau contre la gorge. Le karaté ne m'a
servi à rien. La simple vue de la lame tranchante me pétrifiait
rendant toute défense impossible.
Je croyais connaître tous ces sentiments : la peur, l'angoisse,
la terreur, la haine, bref, plusieurs sentiments qui liés ensembles
vous laissent sans réaction comme si le corps se protégeait,
comme quand on souffre trop et qu'on ne ressent plus rien.
Je ne le regardais pas, mais je l'entendais. J'entendais sa respiration
saccadée, je sentais son corps qui transpirait et ce parfum qui
se mêlait à la sueur puait.
J'avais envie de vomir, j'étais complètement dégoûtée
et les mots ne seront jamais assez forts pour décrire ce que
je ressentais à ce moment là.
Pour me protéger, et ça je m'en souviendrais toujours,
c'est ce qui m'a permis de tenir, j'ai essayée de me dire que
tout ça n'était que chair, qu'il ne pourrait pas me posséder,
que rien ne pourrait m'atteindre, j'ai essayé de faire le vide
refusant ce qui m'arrivait.
Durant un interminable moment, il s'est acharné sur moi, me retournant
avec violence, je m'exécutais ne cherchant même pas à
me défendre, car à aucun moment le couteau ne s'est éloigné
de ma gorge ou de mon ventre.
Mon visage est resté de marbre, mes yeux vides, intérieurement
s'était la tempête.
Il m'avait attaché une main au pied de la table du photocopieur
avec sa ceinture, j'ai gardé la marque au poignet pendant 15
jours tellement il avait serré fort.
Je ne crois pas qu'un jour je puisse dire tout ce qui s'est passé,
rien que d'y penser j'ai l'estomac noué, j'ai envie de vomir.
Quand je me relis, j'ai l'impression que je n'ai rien dit, mais je n'arrive
pas à trouver les mots qu'il faut pour exprimer vraiment ce que
j'ai ressenti et ce que je ressens encore.
Ce moment là a perturbé à jamais ma vie. Il n'y
a pas un jour où je revois ce moment, ou je l'entends respirer,
me frapper, me violer. Pas un jour où je ne vois ce couteau se
promener sur mon ventre, sur ma poitrine et se loger sous ma gorge.
Quand il s'est relevé, il s'est passé un instant où
il a posé le couteau. Sans hésiter, j'ai enlevé
la ceinture du poignet et je me suis précipitée sur lui,
la haine dans tout mon corps me décuplait les dernières
forces qui me restaient.
Je me suis jetée sur lui et j'ai commencé à le
frapper aussi fort que j'ai pu. Je ne me contrôlais plus, je me
souviens que j'étais d'une rage folle, j'aurai voulu le tuer
avec mes mains, je regrette encore de ne pas y être arrivée..
Il m'a poussée violemment en s'emparant du couteau, m'a obligée
à m'adosser contre le mur. Il a commencé à le promener
sur mes seins meurtris, sur mon ventre souillé, puis entre mes
cuisses. Mes jambes ne me tenaient plus. Me menaçant de ne rien
répéter, il m'a giflé très fort. Il me menaçait
toujours avec le couteau, tout en me frappant puis m'a taillé
à la main. J'ai terriblement souffert de tous ces coups, et le
sang coulait abondamment de ma main.
Il est sorti de la pièce.
Quand je me suis retrouvée seule, c'est comme quand on se réveille
d'un cauchemar, je me suis mise à trembler, mes nerfs se relâchaient
d'un coup. Des larmes se sont mises à couler à flots sur
mes joues rouges, douloureuses.
Je paniquais, je me sentais complètement souillée, je
souffrais, je voulais à présent mourir.
Durant tout le viol, je m'étais répétée
que je ne voulais pas mourir, j'avais peur et maintenant un étrange
sentiment prenait possession de mon corps. Mon corps me semblait mort,
mon âme souillée, je voulais mourir.
Je pensais à mes parents, à mes amis, à ma vie,
comment aller leur expliquer, leur dire ce qui s'était passé
!
Je suis restée un moment, recroquevillée derrière
la photocopieuse, sans bouger, souffrant de partout, je pleurais, et
pleurais encore. Mourir, je n'avais que cette pensée en tête
!
J'ai du rester au moins une heure peut-être moins ou peut-être
plus, je ne sais pas, j'étais choquée, je sais seulement
qu'à ce moment là j'aurai voulu mourir.
J'ai entendu les femmes de ménage à l'étage au-dessous
qui arrivaient avec leur chariot, alors, dans un état second,
je me suis habillée puis je suis sortie m'enfuyant loin de cet
endroit, loin de tout le monde.
J'ai marché longuement à travers les vignes jusqu'à
[village].
J'ai parcouru 7 kilomètres traversant les champs, les vignes,
j'ai évité un domaine où des chiens avaient senti
ma présence, tout cela dans un état second, j'avançais
sans trop savoir où j'allais, je me souviens seulement que je
voulais fuir.
Il faisait très froid, j'étais épuisée.
Je me sentais terriblement seule, je ne savais pas ce que j'allais faire,
je me sentais complètement humiliée, sale. Je ne voulais
voir personne. Je souffrais et perdais beaucoup de sang. J'avançais
dans le froid en pleurant. Je pensais à ma famille, à
mes amis, tout s'embrouillait dans ma tête, mais je continuais
à marcher, à pleurer. J'aurais aimé à ce
moment là me blottir dans les bras de maman, fermer les yeux,
ma tête appuyée contre elle, entendre de sa bouche les
mots qui réconfortent, pouvoir pleurer et tout lui dire. J'imagine
encore ce moment mais je sais que je ne le ferais jamais. C'est impossible.
Quand je suis arrivée à [village], j'étais complètement
épuisée, je souffrais, bien que je ne voulais voir personne,
j'avais terriblement envie de me laver, de me frotter pour enlever son
odeur, j'avais l'impression qu'il était encore là.
Je suis allée voir un docteur. C'était tard car c'était
fermé, on m'a indiqué son adresse.
Je ne voulais pas entendre parler de police, de pompiers, de mes parents
ou amis, il a compris, je lui ai fais confiance.
Sa femme, très gentille a essayé de me convaincre de téléphoner
à mes parents ou une amie. Je sais qu'à ce moment là
je ne voulais voir personne et je les menaçais de me tuer si
jamais ils prévenaient qui que ce soit. Je l'aurai certainement
fait, j'étais très déterminée sur ce point.
Il a du me faire deux points, j'avais 2 côtes cassées et
des bleus un peu partout.
Je suis restée une nuit chez eux, mes parents étaient
en week-end chez mon frère.
Ce sont des gens très gentils avec qui j'ai gardé contact.
Sans eux je ne serais plus là aujourd'hui.
Par la suite, j'ai vécu un long calvaire.
Je cachais la vérité à tout le monde, faisant croire
à un accident bête. J'ai repris l'école une semaine
après, obligée à me confronter aux cours de cet
ignoble prof. Je ne l'ai pas supporté et je me suis très
mal comportée, insolente, agressive, ne participant plus. J'ai
essayé plusieurs fois de me venger, cherchant par tous les moyens
de le tuer mais je n'en avais pas psychologiquement la force de le faire
car à chaque fois je perdais le contrôle de moi. Devant
toute la classe, après une provocation infâme de sa part,
je me suis jetée sur lui avec une paire de ciseaux malheureusement
aux bouts arrondis. J'ai commencé à le frapper avec essayant
d'atteindre son visage et son ventre. Des copains m'ont séparé.
J'ai eu droit à un conseil de discipline restreint. Mme Le Censeur
m'a convoquée à son bureau, on a discuté longuement,
le docteur de [village] l'avait contacté, elle était au
courant. Au début je lui en ai beaucoup voulu puis le temps est
passé.
L'affaire a été étouffée, Mme Le Censeur
ne voulant pas d'esclandre dans son établissement, j'ai été
envoyé dans un Centre à [ville] pendant 8 jours. Tout
avait été arrangé auprès de mes parents
comme si je partais en voyage scolaire avec la classe.
La manière dont l'Education Nationale peut arranger les choses
fait peur. Personne à part la Direction n'était au courant.
Cela m'arrangeait tout de même à ce moment là.
Le Centre *** à [village] est un centre de réinsertion
clinique essentiellement pour les drogués. Comme il n'existe
pas de structures adaptées pour les cas de viol ou d'inceste,
on se retrouve parmi les drogués.
Ce fut 8 jours à la limite de l'insupportable. J'étais
confrontée du matin au soir à des psychologues et des
psychiatres, avec travail en groupe ou individuel. J'ai suivi durant
ces 8 jours une psychothérapie "de choc" clinique c'est
comme ça qu'ils appellent ce genre de thérapie.
En prenant du recul, je réalise que ce séjour dans ce
centre m'a aidée. J'ai vu qu'il n'y avait pas que moi, qu'il
y avait des cas beaucoup plus graves certains irrémédiables.
J'ai comparé ma situation avec des filles qui étaient
dans le même cas que moi mais leur histoire était encore
plus terrible. Je crois que c'est d'avoir été confrontée
à ce "milieu" que j'ai eu envie de me "battre",
de m'en sortir. Je ne voulais pas devenir comme certaines, les pauvres,
qui n'avaient plus du tout envie de vivre.
J'ai sympathisé avec Marielle, une fille de 22 ans, violée
par son père et un ami.
Une histoire terrible, je ne sais pas si un jour elle "revivra
normalement". Nous ne nous sommes jamais revues, je sais seulement
qu'elle a séjourné plus d'un an dans ce centre. Les réunions
dites thérapeutiques étaient difficiles à vivre,
on nous obligeait à raconter, à "extérioriser"
notre histoire, à la juger, la critiquer devant un groupe.
C'était des moments très durs à supporter, le soir
après ces réunions je pleurais dans ma chambre.
J'ai fugué deux fois, mais deux fois on m'a rattrapée.
Après un long entretien avec un psychologue, j'ai compris qu'il
fallait que je me "calme", que j'adopte un comportement "normal"
car sinon le séjour durerait certainement plus de 8 jours. "Il
fallait que je guérisse sinon ils seraient obligés d'en
informer ma famille !!", ce sont ses propres termes.
D'ailleurs, je ne sais pas si mes parents ne savent pas quelque chose,
on a toujours évité de parler de " ces vacances ".
Je crois qu'ils savent, mais jamais on n'en parlera entre nous, je pense
qu'ils ont peur de mes réactions, c'est vrai, car si on mettait
le sujet sur le tapis je ne sais pas ce que je ferais.
J'ai joué entièrement le jeu, adoptant un comportement
exemplaire, en voulant intérieurement à tout le monde.
Après ces 8 jours, je suis retournée au lycée.
On ne m'a pas changé de classe.
J'ai donc été confrontée jusqu'à la fin
de l'année scolaire à ce prof qui me narguait dès
que l'occasion s'en présentait. Cinq mois à son contact
quotidien n'ont fait que renforcer la haine que j'éprouve actuellement.
J'ai l'impression d'avoir perdu une partie de moi-même, je ne
serais jamais plus la même. J'ai à ce moment là
considéré les hommes d'une autre manière. Je leur
en voulais à tous, leur reprochais de pouvoir posséder
une femme avec une telle violence.
Je les comparais à des animaux, même moins.
Ce n'était certainement pas la meilleure solution, mais ça
m'a permis de trouver un "équilibre".
J'ai commencé à sortir avec beaucoup d'hommes, sans que
personne ne le sache.
Avec du recul, je me demande comment je n'ai pas attrapé une
maladie ou je suis tombée enceinte, je ne prenais aucune précaution.
Je sais maintenant que cette attitude était une forme de suicide,
mais ça je ne m'en suis rendu compte que 6 ans plus tard.
La nuit je me réveillais très souvent toute en sueur,
assise sur le lit en tremblant et criant. J'éprouvais souvent
l'envie irrésistible de me doucher, je me grattais jusqu'à
me faire saigner. Je voulais enlever cette horrible sensation de présence,
cette odeur imaginaire qui envahissait mon corps. Il ne se passait pas
une nuit sans cauchemar, un jour sans plusieurs douches.
Août
1998
Maintenant
ça fait 10 ans que ça s'est passé.
Ma vie depuis a changé mais j'y pense malheureusement encore
tous les jours.
J'ai toujours cette rancœur en moi d'avoir "baisser les bras",
de n'avoir rien fait.
Dans mon entourage proche personne n'est au courant, les deux seuls
à qui j'en ai parlé sont Dimitri et Carmen.
Alain n'est toujours pas au courant et je ne sais pas si un jour j'arriverai
à lui en parler. Je voudrai qu'il sache mais je n'arrive pas
à trouver les mots pour le lui dire.
Tout reste bloqué dans ma gorge et rien ne sort. Puis pour me
réconforter je me dis que c'est peut-être mieux qu'il ne
sache pas pour notre couple.
Je ne voudrai pas qu'il me dise "mais pourquoi tu n'as pas porté
plainte ?" ou encore "où est-ce qu'il habite ?"
etc etc. … ou encore me dire "mais il y a longtemps maintenant
…."
Je veux simplement tirer un trait sur ce type, j'espère que je
ne le rencontrerai plus dans la rue c'est tout !
Nous sommes maintenant en septembre et je n'ai toujours pu rien lui
dire. Je traîne ça comme un boulet, comme une honte inimaginable.
Je ne voudrai pas qu'un jour il l'apprenne sans que je le sache, je
ne veux rien lui cacher mais en même temps je ne sais pas si j'arriverai
à le lui dire, et comment commencer à en parler.
Décembre
1998
Maintenant
ça va faire 11 ans. Je n'oublierai jamais et je garderai ça
toute ma vie. Je pense que ceux qui n'ont pas vécu un viol ne
peuvent pas ressentir ce que je ressens. Le temps passe mais la blessure
reste et ne cicatrise pas du tout. Je dirais même que j'apprends
à vivre avec. Sur le journal, à la télé,
ou entre amis quand j'entend parler de viol ça me rappelle tout
ce que j'ai vécu en un éclair. J'ai l'estomac qui se noue,
je voudrais pouvoir crier, hurler, craquer mais je me contiens, j'essaie
de le refouler au plus profond de moi pour que rien ne paraisse, c'est
parfois dur surtout quand des copains ou autres en parlent ironiquement.
Je sais qu'on ne doit pas tout prendre au sérieux, mais là,
ça me reviens dès que le mot est prononcé ou simplement
une allusion.
Le plus dur c'est de le garder sans pouvoir en parler. Parfois, j'ai
envie de me libérer de tout vider pour dire à ceux que
j'aime ce qui me blesse ce qui me fait encore mal, mais c'est impossible,
c'est très dur.
Octobre
99
Ça
fait presque un an que je n'ai pas relu et continué à
écrire. Je viens de relire tout ce que j'ai écris durant
ces années pour voir si mes sentiments auraient pu changer depuis.
Ce n'est pas le cas ou presque, car maintenant je ressens beaucoup plus
de culpabilité, de honte de n'avoir pas agis. Je me dis que c'est
trop tard, que personne ne comprendrait.
Depuis j'ai réussi à parler avec [homme], je n'ai rien
détaillé, juste parcouru le problème sans trop
rentrer dans les détails. Je ne pourrai pas dire que j'ai été
déçue de sa réaction, mais c'est un homme et de
plus la communication ce n'est pas son fort. Ça m'a un peu soulagée
mais j'aurai aimé lui dire ce que je ressens, mais je ne trouve
pas les mots, il y a toujours cette boule dans la gorge qui m'empêche
de parler.
Maintenant ça fait 12 ans, et dans ma tête c'est toujours
présent, comme un vieux cauchemar qu'on n'oublie pas. C'est vrai
que j'apprends à vivre "avec", et maintenant je suis
persuadée que mes sentiments resteront comme ça toute
ma vie. Il n'y aura jamais d'indifférence, toujours une image,
un mot ou quelque chose d'autre qui me rappèleront ce moment
tous les jours de ma vie.
J'écris à nouveau car je suis retournée à
[lycée] pour le boulot. Il y a une quinzaine de jours nous sommes
allés faire un devis au bâtiment ou ça s'est passé.
J'avais une peur terrible de le rencontrer.
Novembre
99
L'autre
jour, il y a eu une émission à la télévision
qui en parlait. Ce n'est pas souvent qu'ils traitent ce sujet à
la télévision et j'ai eu envie de le regarder.
J'ai bien sûr culpabilisée en écoutant des femmes
qui avaient eu le courage de témoigner et de porter plainte.
Je ne sais pas si elles ont raison ou si elles croient qu'en portant
plainte elles effaceront ce moment. Personnellement je n'y crois pas.
C'est sûrement une "revanche" qu 'elles prennent mais
elles ont subi une autre épreuve encore plus pénible à
mes yeux que le viol.
Je ne pourrais jamais en parler en public du moins pour le moment, je
ne trouve même pas les mots pour en parler avec Alain. Souvent
j'ai envie de lui dire ce que j'ai sur le cœur. Après cette émission
j'avais envie de parler, de tout déballer, de raconter en détails
ce qui s'est passé et comment je le vis actuellement. Mais à
quoi bon ? A quoi bon remuer tout ce passé que j'ai envie d'enterrer
?
C'est vrai qu'il comprendrait peut-être parfois mon comportement,
quand j' "explose" de colère. Souvent c'est que je
viens d'y repenser et là, à ce moment là, j'ai
la " haine ", envie de pleurer et de tout casser. Alors je
m'énerve seule et le pauvre c'est lui qui prend s'il fait quelque
chose de travers.
Fin novembre
99
En janvier
prochain, il y aura 12 ans que j'ai été violée.
Chaque année je compte le temps passé comme si chaque
fois ça pouvait disparaître de ma mémoire. Chaque
année c'est comme ça et rien ne s'oublie. C'est dur, très
dur.
Les années passent, le cauchemar reste ancré. Les sentiments
changent peut-être car j'éprouve moins de haine, mais toujours
du dégoût, de la honte. Pourtant en prenant du recul sur
le temps, je me dis que ce n'est qu'un petit moment dans ma vie, terriblement
désagréable, que j'ai vécu d'autres moments très
durs, mais c'est comme ça, ça reste gravé, meurtri.
On ne peut pas comparer le viol à d'autres épreuves de
la vie, comme un accident grave qui fait souffrir physiquement ou un
décès d'un proche. Même s'il y a des séquelles
on finit par "oublier" qu'on a eu mal, qu'on a souffert même
psychologiquement. Là c'est à l'intérieur, même
si au début j'ai souffert physiquement, ce n'était rien,
j'ai oublié la douleur. Ce ne que je n'oublierai jamais, c'est
ce moment terrible, où chaque instant me revient, ses paroles,
ses gestes, son odeur, l'endroit.
Souvent, je revis malgré moi des moments du viol, comme des mots
qu'il a dit, des gifles qu'il m'a envoyé avec une telle violence.
Je revois la lame du couteau, encore aujourd'hui je pourrai dire quel
couteau s'était.
J'ai de plus en plus envie de faire lire ce que j'écris à
Alain. J'ai envie qu'il comprenne puis en même temps je n'ai pas
envie qu'il sache, qu'il lise ce que j'écris, je suis partagée.
Après mon viol, j'ai arrêté le karaté, la
natation, bref tout le sport que je faisais. De plus j'ai eu un accident
de voiture où mon dos a été touché. J'ai
commencé à prendre du poids et depuis je n'en ai plus
perdu. Je sais que ça doit avoir une relation, peut-être
émotionnelle, mais ça doit jouer.
J'ai envie d'être "épaulée", mais j'ai
en même temps peur que ça ne se passe pas comme j'aimerai,
alors je préfère me taire. Peut-être parce que je
ne veux pas affronter la réalité, prononcer le mot viol
à voix haute. Ce mot de 4 lettres que j'ai du mal à dire
ou à écrire, qui me noue l'estomac.
Décembre
2003
Voilà,
maintenant ça va faire 16 ans !!
16 années où maintenant je suis sûre que je devrais
vivre "avec" !
J'ai une fille qui a maintenant 3 ans. J'ai reparlé à
Alain de mon histoire. J'en ai reparlé avec plus de sérénité,
mais les sentiments sont toujours aussi forts, refoulés mais
toujours là !
Depuis quelques temps de nouveau, il faut que j'en parle. Bien sûr
il ne s'est pas passé malheureusement une seule journée
en 16 ans sans que je n'y pense. Il y a toujours un mot, une situation
etc… et il y aura toujours un mot ou une situation qui feront que je
ne pourrai pas oublier.
Je suis capable d'aborder ce sujet sans paniquer, capable de participer
à des discussions entre copains tout en faisant abstraction de
mon histoire. Pour Laura, je sais que je pourrai aborder ce sujet sans
problèmes, je ne lui parlerai pas de moi, mais je serais capable
de rester sereine.
Depuis quelques temps je réalise que ma prise de poids est en
relation directe avec le viol. Avec internet, j'ai fais des recherches,
j'ai lu d'autres témoignages, je sais maintenant que sans thérapie,
je ne ferais jamais la paix avec moi-même. Que ces sentiments
ne pourront jamais changer, si je n'ai pas une aide. Pour le moment
je ne suis pas prête dans ma tête à faire une thérapie.
Je n'ai pas le "temps" de m'y consacrer. Mais c'est sûrement
une solution qui va mûrir dans un futur proche ou pas, mais qui
se réalisera peut-être.
J'envisage d'apporter mon témoignage sur internet et pourquoi
pas y mettre ce que j'ai écrit, ça pourrait peut-être
aider d'autres personnes dans mon cas qui ne comprennent pas pourquoi
elles réagissent comme ça.
[homme] a su cette fois-ci mieux m'écouter. Je sais qu'il ne
comprend pas pourquoi après tant d'années ça me
hante toujours. Mais il fait l'effort.
Je voudrais savoir si un agresseur se souvient de ce qu'il a fait. S'il
le vit bien ou mal. S'il connaît les dégâts que ça
peut occasionner.
anonyme.kifkif@laposte.net
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