Comprendre
la violence conjugale Mai
2006 Bonjour,
Ayant beaucoup lu votre site, et beaucoup réfléchi, je souhaite
aujourd'hui vous apporter mon témoignage. Néanmoins, j'hésite
à vous dire de le publier sur le site, j'aimerais d'abord avoir votre avis
(et je ne souhaite de toute façon pas que mon adresse apparaisse). Je pense
en effet pouvoir dire que mon compagnon avons brisé la spirale de la violence,
mais notre histoire est particulière, et je sais pour l'avoir vécu
combien il peut être douloureux de se raccrocher à de vains espoirs
de changements du partenaire... de plus, rien n'étant linéaire,
on ne sait jamais comment notre relation peut évoluer. Nous sommes
enseignants tous les deux (29 et 32 ans), et militants de gauche. Inutile de décrire
longuement les trois années de violence, elles sont archétypales
: débuts de la violence non identifiés par moi, stupéfaction
aux premiers coups (qui ne se sont jamais reproduits, la simple menace ayant ensuite
suffi à me soumettre) puis l'engrenage de la peur, de la honte et du silence,
la perte de confiance en moi, le manque d'estime, la personnalité qui s'éteind,
la dévalorisation permanente... Je vous écrirai un témoignage
plus long si vous le souhaitez (j'aime écrire), mais je veux vous dire
que ce qui a été décisif pour moi, c'est la lecture d'ouvrages
traitant du sexisme - des ouvrages qui vont loin, comme ceux de welzer lang (les
hommes violents) ou de carnino (pour en finir avec le sexisme). Cette prise de
conscience m'a conduite, un soir de crise (je n'étais pas frappée,
mais j'avais peur pour mon chien, pour la maison, j'avais peur tout court, cette
horrible peur dans laquelle je vivais...) à appeler la police. Deuxième
élément décisif : je ne suis pas une amie des flics, mais
là ils ont été très bien - très simples et
très bien : ils lui ont rappelé la loi, ils m'ont recommandé
de le quitter avec douceur, sans rien m'imposer. Cela a mis fin aux manifestations
physiques de la violence, mais pas à tout ce qui va avec (dénigrement,
tension, peur, perte d'estime de soi, sentiments de devenir fous tous les deux...).
Je me suis alors réfugiée dans ma famille et j'ai entamé
des démarches pour me trouver un logement. Et je crois que c'est là
que s'est fait l'essentiel. Il est venu me retrouver à la montagne
chez mes parents : dans un cadre sécurisant (depuis l'épisode de
la police, nous craignions tous les deux de nous retrouver seuls), nous avons
randonné et parlé pendant des jours, des nuits, des semaines (c'était
les vacances d'été). Nous avons parlé du sexisme, de l'éducation
que nous avons reçue, de la domination, de l'amour et du respect... nous
ne cherchions pas à reconstruire la relation, mais à utiliser notre
intelligence pour comprendre ce qui nous était arrivé, et son sens
politique. Au terme de ces discussions, nous avons tenté quelque
chose : vivre plusieurs mois dans l'appartement, mais chambre à part, ce
qui symbolisait notre indépendance, le temps que nous nous laissions pour
mûrir tout cela, le respect et l'écoute mutuelle, choses que nous
avons vraiment apprises à cette époque-là. Et puis,
petit à petit, nous avons repris une vie de couple, très différente,
forte de cette expérience, et forte aussi de l'estime et de la reconnaissance
que nous éprouvons l'un pour l'autre pour cette progression. La vie est
BELLE et elle a tant changé pour nous... Oh, il y a eu quelques
dérapages, quelques "mais t'es nulle, tu comprends rien", quelques
trois fois rien où je sens instinctivement qu'il faut faire attention,
mettre des mots, rappeler que l'inacceptable commence dans la plus petite marque
de manque de respect... de l'un comme de l'autre, car moi non plus je n'avais
pas appris le respect de l'autre dans un couple. Nous avons appris à
formuler nos demandes, nos excuses, nos faiblesses, nos peurs mais aussi nos plaisirs
et nos joies. Et moi, je sais que je serai toute ma vie une veilleuse
de l'anti sexisme, une de ces femmes qui insupportent tant d'hommes qui ne savent
pas combien de soumission et de peur, les miennes, celles de ma mère, celles
de tant de femmes, il faut avoir vécues pour ne plus accepter la moindre
blague sexiste, pour remttre en cause la différenciation des rôles
masculin et féminin, pour dévoiler en permanence, à la maison
comme à l'extérieur, les marques de l'oppression, toutes les oppressions.
Je sais que mon amour pour cet homme est fort et authentique, j'ai une très
grande estime pour la remise en cause si profonde qu'il a opérée,
pour son renoncement au rôle si facile de dominateur que la société
lui offre sur un plateau... pour goûter les joies du partage et de l'égalité.
Même si tout n'est pas gagné, je sais que l'essentiel a été
mis en route cet été-là, il y aura bientôt un an.
Lui me dit souvent qu'il aimerait prendre la parole en public (il n'aime pas
écrire, mais il aime parler) pour briser le silence des hommes, et que
cela commencerait par " quand on a quatre ans, on ne peut pas savoir que
ce que fait le grand-père lorsqu'il frappe la grand-mère parce qu'elle
refuse un rapport sexuel, on ne doit pas le faire dans une relation d'amour..."
J'ajoute pour finir que nous avons du mal à en parler même avec
nos proches amis, même les militants, parce que nous sentons bien que ces
questions ne sont pas claires dans leurs couples, et que nous avons peur d'être
catalogués... Mais nous nous disons souvent que si personne ne parle, on
n'avancera pas beaucoup! Je sais que je suis sortie de la spirale de la
violence, avec l'homme que j'aime, et je le sais parce que je suis légère
et heureuse, et que je vis selon mes désirs, sans penser à ses réactions,
avec confiance. Mais je vous le dis, j'ai peur que ce genre de témoignage
sur le site puisse donner des espoirs inappropriés. Qu'en pensez-vous?
Je vous remrcie de m'avoir lue, et je vous remercie aussi pour ce site qui
m'a tant apporté. Bonjour,
Oui, je suis d'accord pour dire que le seul traitement possible de la violence
réside dans la compréhension des mécanismes collectifs qui
la permettent, et c'est en cela que je sentais qu'il fallait que je témoigne.
J'en suis maintenant convaincue : la lutte contre la violence conjugale ne
peut passer que par une lutte contre toutes les formes d'oppression ; une femme
ne peut pas refuser la loi du plus fort exercée par un homme contre elle,
et dans le même temps être violente avec les enfants par exemple (c'était
mon cas, et je parle de violence morale : menaces, autoritarisme, chantage affectif...)
ou encore accepter la violence patronale comme légitime (mais enfin, vous
n'avez pas rempli vos objectifs ce mois-ci? Vous savez que si ça continue
comme ça, on ne pourra pas vous garder? à quelqu'un qui craint le
chômage et la misère et vit dans l'angoisse). Autrement
dit, c'est et aux hommes et aux femmes de réfléchir à leurs
comportements sexistes. Et enfin, même si en apparence les hommes
qui renoncent à la violence ont à y perdre des privilèges,
en réalité sur un plan humain, ils ont tout à gagner : la
liberté, l'amour, la dignité. L'exemple de mon compagnon le montre.
Merci de ne pas publier mon vrai prénom, ni mon adresse, bon courage
à vous. |