Nuit de peine
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en pied de message
Septembre 2008
Bonjour,
Je
m'appelle Gina. J'ai 53 ans. Je vis "avec" depuis de bien
trop longues années. cette nuit est une nuit difficile mais je
la veux libératrice d'où l'envoi de la pièce jointe.
C'est la première fois que j'écris et que je n'efface
pas, que je vais au bout de ce que je veux dire, de ce que je dois dire,
de ce que je ressens. Je suis fatiguée de garder tout en moi
et j'aimerais partager. si je ne fais pas cela, ma vie sera bientôt
finie et je n'aurai toujours pas tué la bête qui est en
moi, qui me détruit.
Je marque mon accord pour que ce texte soit publié. Je l'ai mis
sous forme de poème car cela me correspond. J'aimerais juste
que mon nom n'apparaisse pas mais accepte bien entendu, et avec plaisir,
les témoignages ou remarques qui me seraient destinées.
Je pense qu'elles me feraient du bien.
C'est un grand pas pour moi. J'avais 9 ans... vous vous rendez compte
!
Pour la première fois, je viens d'aller sur votre site pour lire,
m'informer. J'espère que je vais avancer vers autre chose même
si j'ai pardonné... mais pas encore à moi.
Merci de m'avoir lu
Gina
NUIT
DE PEINE
La nuit
n'en finit pas, les loups sont à la porte
Et les nuages lourds rassemblent leurs ardeurs
Et la bête sournoise qui rode aux alentours
Profite de l'encre noire pour approcher encore
La toile
lentement, l'englue, la meurtrit
De ses fils de mort, s'étend au plus profond
Commence son travail, de sape, la salope
S'étend en profondeur, imbibe la raison
Elle s'écoule
la lave, purulente et puante
Retour de la mémoire, de ses heures maudites
Détruit en quelques heures ce qui lui a fallu
De temps et de courage pour tenir la barre
Et elle
se revoit, allongée sur le lit
Nue comme l'enfant qu'elle était à l'époque
Et lui bien au-dessus, lui disant d'obéir
De se laisser aller mais aussi de se taire
Elle se
revoit encore, revoit par la fenêtre
Le temps si gris dehors, le ciel qui l'oubliait
Non ce n'était pas elle, ce n'était pas son corps
Elle l'a presqu'oublié mais le ressent encore
La bête
est revenue, le corps est sali
Il y a tant d'années et pourtant elle ne peut
Passer sous le silence la honte ressentie
Et les yeux de sa mère accablants de reproches
De la plaie
s'écoule, encore et toujours
La honte, la salissure, la conscience qui tue
Les cris resteront clos car il est inutile
De remuer la boue de celui qui renie.
Mais sait-il
à quel point la vie est difficile
Quand on garde en soi une telle salissure
Une haine de soi, un dégoût de soi même
Et la vicieuse pensée d'en être responsable
Sait-il
à quel point le chemin est ardu
De vivre en équilibre sans avoir peur de l'homme
De vivre en harmonie avec un compagnon
De croire qu'on est aimable, qu'on mérite l'amour
Sait-il
à quel point la route est amère
Lorsqu'on est entouré d'une famille aimante
Qui refuse de croire à votre salissure
Car la loi du silence est plus forte que tout
Elle n'était
qu'une enfant, n'était pas responsable,
Et pourtant chaque jour, elle refuse son corps
L'enlaidit chaque jour, et se sent impuissante
A accepter l'amour et à faire confiance
Bonjour,
Ce poème dit tout et vous, qui semblez encore tellement souffrir,
dites nous comment vous avez pardonné et pourquoi ?
Est-ce pardonnable en fait ?
Merci infiniment d'en autoriser la publication mais vous me signalez
que vous ne souhaitez pas que votre nom apparaisse ; or, vous allez
certainement recevoir un certain nombre de communications ; ne voulez
vous pas "fabriquer" un mail anonyme car celui-ci laisse voir
votre nom quand on vous répond :
* http://www.sosfemmes.com/faq/email_anonyme.htm
Merci.
Chantal POIGNANT
Conseil
Bonjour
Madame,
J'ai créé
une nouvelle adresse courriel pour les réponses éventuelles
: carine.baba@laposte.net. Pas très original mais anonyme.
Pour le
reste, j'ai effectivement pardonné à celui qui a commis
le geste car nous avons eu une mère qui n'était pas claire
avec tout ce qui touche à la sexualité, les relations
entre hommes, femmes, enfants... Bref. Je pense que nous tous, nous
étions 5 enfants, en avons souffert à des degrés
divers. Je le vois régulièrement puisqu'il fait partie
de ma famille. Ce qui me fait mal c'est cette espèce de non-dit,
ce besoin de relativiser, de dire que "les touches pipi" sont
monnaie courante, que tout cela est normal. Ce n'était pas un
simple "touche pipi". Il était à deux doigts
de me pénétrer lorsque ma mère est venue frapper
à la porte.
Ce que je n'arrive pas à gérer, ce sont mes propres peurs,
le profond dégout de moi-même, ce besoin de m'enlaidir
pour ne pas être attirante. Je pense que j'ai peur de mes propres
pulsions et j'ai fait souffrir mon mari de l'époque car je n'avais
pas réglé ce problème. Me voilà seule maintenant
et mes peurs reviennent de plus belle car le problème se pose
à nouveau.
Je me suis également rendu compte (il n'est jamais trop tard)
il y a quelques jours, en écrivant ce poème, du regard
de ma mère : j'ai bcp souffert qu'elle ne me protège pas
mais en fait, non seulement, elle ne m'a pas protégée
mais elle m'a donné mauvaise conscience de ce qui était
arrivé. Comment pouvais-je en être responsable ? Parfois,
je me demande si ce n'est pas moi, ma personnalité qui a fait
que ce qui m'est arrivé, est arrivé à moi. Difficile
à expliquer... Lorsque les petites Stacy et Nathalie sont mortes,
j'ai retrouvé dans les yeux de Nathalie (c'est la petite blonde
je crois) le même regard, la même fragilité, comme
lorsque j'étais enfant. C'est terriblement troublant.
Voilà.
Le chemin est visiblement encore bien long. Merci de m'avoir écoutée.>
Bonjour
Entre blessure et cicatrice, vous évoquez la part exclue de vous-même
par le silence, par l'Autre, le non-dit, l'irreprésenté
ou l'irreprésentable, l'innominé, les figures du vide,
c'est à dire tous les stigmates du "négatif"
qui font qu'un traumatisme perdure, parce qu'il n'a pas été
nommé et c'est bien ce que vous écrivez, quand vous parlez
de la banalisation des attouchements sexuels autour de vous.
Ce qui se dérobe à vous, c'est la permission de comprendre
et d'évaluer ce que vous avez subi, afin de traiter le mal, ce
qui autoriserait à panser la plaie ; vous dites que vous avez
pardonné mais comment peut-on pardonner à une personne
qui ne demande pas pardon, puisqu'il n'y a pas reconnaissance de l'interdit,
de votre douleur, dans la famille ?
Alors vous, qui en avez conscience, avez beaucoup de mal à naviguer
entre ce qui vous a été dit ou non dit et ce que vous
ressentez ; il y a comme une fracture au niveau de votre "moi"
et ce que vous retrouvez dans les yeux des enfants, c'est votre propre
incompréhension, votre questionnement perpétuel, faute
d'avoir pu disposer de repères stables. Il se produit alors un
"flottement" en vous, jusqu'à ne plus être certaine
du sens de ce que vous avez vécu.
C'est pourquoi, il faudrait offrir à "l'innommable",
un espace de sens où il puisse se dire et se raconter afin qu'il
ne vienne plus brouiller vos relations présentes.
Avez vous jamais tenté une véritable thérapie ?
Merci infiniment pour cet e-mail composé à notre intention.
Cordialement,
CP
Bonjour
Madame,
Merci pour
votre message. Je suis tellement heureuse de pouvoir en parler et que
vous écoutiez. J'ai déjà effectué une thérapie
avec un psychologue, en thérapie de groupe. Dans notre petit
groupe de 7 personnes, il y avait ce que j'appelerai "le bourreau",
lui-même ayant violé son petit frère. Je pense que
nos discussions m'ont permis de pardonner le geste. Il m'a été
d'un grand secours et je pense que notre aide a été réellement
mutuelle. Il n'en demeure pas moins que je reste avec mon mal-être
propre, interne. Je suis parfois tellement surprise d'avoir si peu de
souvenirs de mon enfance, de manquer tellement de repères dans
mon passé. J'ai toujours eu l'impression de vivre à contre-temps,
de ne pas être à ma place. C'est curieux et c'est peut-être
à cause de cela. Je pense que je vais retourner en thérapie.
Je ne vais tout de même pas attendre mes 80 ans pour le faire
:-)
Est-ce que je peux encore vous écrire parfois si j'en ressens
le besoin ?
G.
carine.baba@laposte.net
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