Je
n’arrive pas à recoller les morceaux
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en pied de message
Juillet/août 2009
Bonjour,
Je connais votre site depuis 2004. Il m’a beaucoup aidée à
cette époque, où j’ai eu enfin le courage de porter plainte
pour violences. Mais je n’ai pu vous écrire car il m’était
impossible de poser ce que je vivais, par écrit. Aujourd’hui,
cela reste difficile. Je vais tenter de vous écrire une partie
de mon histoire.
Je suis née après ma sœur I., mon frère J.M., et
ma sœur H. Je n’ai que quatre ans et demi de différence avec
ma sœur ainée.
Ma mère était violente physiquement et moralement. Mon
père était peu présent, pris par son travail et
son sport. Il était très sévère, exigeant
et froid. Ma sœur I. était mon idole mais elle était jalouse,
en devenait méchante. De la part de mon frère, j’ai subi
des attouchements sexuels. Et mon autre sœur me tapait la nuit car elle
ne supportait pas de m’entendre respirer.
J’ai essayé de grandir dans cette famille d’apparence bourgeoise
et sans problème ! J’ai d’abord été une enfant
presque « parfaite » (bonnes notes, toujours dans les meilleures,
souriante, toujours à faire plaisir, je me tenais bien, respirant
« peu », ….).Cela n’était jamais suffisant pour mon
père, et pas satisfaisant pour ma mère. Alors, je suis
devenue une ado en révolte. J’ai eu une septicémie en
seconde. Echec scolaire, sportif, je me suis encore plus repliée
sur moi-même. Bien sur, personne ne pouvait comprendre. Je ne
parlais à personne de mon histoire. Ma famille semblait idéale.
J’avais la chance d’être née avec un bon QI et un physique
satisfaisant. Alors de quoi, pouvais- je me plaindre ? A presque 15ans,
j’ai rencontré un garçon agé de 19 ans. Sa patience
et notre amour m’ont permis de connaitre une relation saine. Mais à
cette époque, je n’ai pu l’apprécier, ni la garder. Trop
jeune et animée par trop de souffrance, je n’ai pas eu confiance
en moi et j’ai eu trop peur. Il m’a quitté 4 ans après.
Et là, j’avais tout perdu. J’ai pris différente drogues
« douces ». Je suis beaucoup sortie. Je n’ai plus rien fait
à l’école. Je n’avais plus rien qui me donnait envie de
vivre. J’ai souvent pris en excès, et en cachette des Lexomils
ou autres, dans la pharmacie de ma mère. Je confirmais ce qu’elle
disait toujours de moi : « tu es folle », « tu n’es
pas aimable »….
Mon frère et mes sœurs sont partis pour leurs études.
Mon père pour son travail. Ma mère, que la vie n’a pas
épargnée, est devenue plus dépressive, donc encore
plus insupportable. Alors 1 mois avant le bac c, je suis partie travailler
pour fuir. J’ai fait des études d’esthétique grâce
à mes salaires et un emprunt. Année où j’ai continué
à me perdre. Et où, j’ai rencontré le père
de mon fils ( 18ans1/2 aujourd’hui).
Ce fut les premières violences conjugales : les bleus, les cernes
que l’on cachent, les douleurs physiques et morales que l’on tait, les
larmes que l’on retient, les plaies non soignées, la fatigue
que l’on ne sent même plus, la honte, la peur de la mort que l’on
finit par espérer, par provoquer ( médicaments, coup de
couteau dans le ventre, alcool, drogue…) et la solitude, l’exclusion
de la vie…. Je suis partie lorsqu’il a secoué mon fils. Non,
pas lui, il n’a rien fait ! Les gendarmes n’ont pas voulu prendre ma
plainte, les voisins n’avaient rien entendu, pour ma mère je
le méritais, mon père ne voulait pas d’histoire, les amis
étaient partis. Seule avec mon fils, endettée, je me suis
battue pour que son père ne lui fasse pas de mal (pas à
lui !) J’ai vu un psychiatre. Je suis allée au tribunal, mais
une juge vielle fille, n’a pas pu croire une femme à l’allure
fière et dure. Alors, le père de mon fils a eu l’autorisation
de venir chez moi, lui rendre visite !!! Le cauchemar continuait par
ces visites, les menaces de mort, les voitures cassées… A cette
époque, j’avais encore de l’énergie. J’ai demandé
une enquête sociale et psychologique. Ouf, les visites ont eu
lieu dans un point rencontre. Il n’est plus venu, a rencontré
quelqu’un, a disparu de nos vies.
Deux ans après, j’ai rencontré celui qui allait devenir
mon mari et finir me détruire psychologiquement. Il était
veuf, avait trois enfants. C’est eux que j’ai eu du mal à quitter
cinq ans plus tard. Mes séances de Yoga, les entrevues avec une
psychologue m’ont aidée. Nous vivions en Guadeloupe. Je suis
revenue en France, chez mes parents d’abord. Ma mère nous a jeté
à la rue. De nouvelles rencontres bancales. Interdits bancaires
à cause de mon mari, sans affaires, me battant pour un divorce
avec un disparu officiellement, à bout de souffle, accompagnant
mon père en fin de vie, seule, je suis « tenue debout »
pour mon fils. Mais, je n’étais plus là !
En 2002, j’ai subi une violence mais qu’on ne peut nommer de conjugale
car nous ne vivions pas ensemble. Plainte sans suite. Je marche avec
une transverse fêlée ( diagnostic fait lors de la prochaine
violence !) Je joue un rôle. Je ne veux pas craquer.
En 2003 ma mère porte plainte pour au service social pour l’enfance.
J’y mets mes dernières forces. Elle est déboutée.
En 2004, nouvelles violences non conjugales (nous ne vivions pas ensemble).
Mon fils présent (la seule fois) sort un couteau pour le faire
sortir (je l’apprends plus tard) Il est entendu au commissariat. Recommence,
est de nouveau arrêté, garde à vue. Plainte sans
suite. Appartement saccagé, pas de relogement car nous n’habitions
pas ensemble. Pas de remboursement, car pas condamné….. La plainte
fini par aller au tribunal, 2ans plus tard, il est « relaxé
au bénéfice du doute »car ne se présente
jamais !!! Entre temps, j’ai fui par peur et me retrouve en colocation
avec un homme qui par l’alcool devient violent, et le proprio qui n’a
pu avoir mes faveurs, l’accompagne ! La police se refuse à intervenir,
j’écris au procureur qui me dit de me faire soigner !! Je mets
mon fils en pension pour le protéger. Je vais en hôtel
d’urgence quand je peux pour me reposer un peu et faire des démarches
pour être reloger. Mais rien. Cachet, alcool, coupure, brûlure,
enfermée dans une pièce,…..,je me réveille 3 jours
après. Je décide d’appeler un médecin et lui demande
d’être hospitalisée. Je le suis pendant plusieurs semaines,
mon fils va chez des connaissances. Il ne sait pas que j’ai tenté
de me suicider. A ma sortie, pas de relogement. La violence atteint
le summum car rien ne l’arrête, elle est tolérée
par la police ! L’horreur, l’innommable, l’insupportable…. Retentative,
seule, la boite d’anti- dépresseurs, l’alcool……Combien de jours,
je ne sais pas ? Le réveil est douloureux, seule et encore tant
de violences. Je pars dans un hôtel que je paie. Mais je n’ai
plus d’argent… Je bois, fume, prend des cachets. Et puis une lueur de
vie, mon fils qui n’a personne ( que j’éloigne en vacances ou
en internat). J’appelle un ancien ami qui m’apporte de quoi me laver
et me donne à manger. Une assistante sociale scolaire (Mme D.
Que je remercie du fond du cœur) Je suis réhospitalisée,
le temps de trouver un foyer d’accueil.. Nous sommes en Janvier 2007.Tout
les papiers sont à refaire, les souvenirs perdus, mon fils a
besoin de moi. Je cherche de l’aide, un moment de repos, mais il faut
avancer : papiers, travail, dettes, se reloger…. Alors, je m’oublie
à nouveau, commence une formation, la quitte quand je trouve
à me loger dans un gite car financièrement je n’y arrivais
pas et trouve du travail. Gite d’où je dois partir car les proprios
nous rendent la vie insupportable. Mais là je suis soutenue par
les personnes de la mairie, qui osaient prendre parti ! Je suis relogée
dans une commune proche. Pour la première fois de ma vie me sens
en sécurité.
Tout ce temps, je suis suivie psychologiquement, lis beaucoup. Mais,
je n’arrive pas à recoller les morceaux. J’ai des dettes. J’ai
perdu mon travail et était opérée d’une tumeur
bénigne au pouce, mais à fort risque de récidives.
Ma mère a retenté de me détruire. J’ai coupé
tout les liens familiaux pour me protéger. Je suis dans une nouvelle
région. Je ne sais dans quelle direction aller, par quoi commencer.
Je culpabilise encore. Ma vie est remplie de « il ne faux pas
», de « tu dois ». Les nuits sont souvent agitées,
avec ma respiration qui s’arrête. Il me semble être victime
de moi-même. Mon corps est fatigué, mon ventre noué,
ma respiration courte…. Souvent, il me semble être absente.
Je me souviens très vaguement de cette petite fille gaie, intelligente,
curieuse, amoureuse de la vie, émerveillée, spontanée,
sportive, douée et je me demande où elle est et comment
la retrouver ! A-t-elle un jour vraiment existait ? Je n’ai pas souvenir
de mettre lever un matin sans peur de la journée, ni même
endormie sans peur d’être réveillée !
Aujourd’hui, j’ai tant de mal à habiter mon corps, à être
dans la vie avec moi, parmi les autres. La société demande
d’aller vite et la thérapie, la convalescence sont lentes.
Je vais en rester là aujourd’hui. Merci de votre écoute.
En espérant, une réponse….Je vous dis a bientôt.
Laure
Bonjour,
"Vous avez essayé de grandir dans cette famille d'apparence
bourgeoise et sans problème" et vous avez présenté
l'image d'une petite fille gaie, curieuse, amoureuse de la vie, émerveillée,
spontanée... Mais, cette petite fille, était-elle réellement
comme elle se présentait ou ressentait-elle déjà
l'imposture à laquelle la contraignait cette famille "bien
sous tous rapports" ?
Une mère violente, un père absent, des soeurs jalouses
et brutales, un frère qui commet des attouchements sexuels, bref,
rien qui ne corresponde à une famille "idéale"
ou simplement satisfaisante...
De quoi pouviez vous vous plaindre ? demandez-vous...
Vous pouvez vous plaindre d'avoir dû vous construire dans le mensonge
ou à défaut dans le "non-dit", d'avoir dû
grandir dans une position d'infériorité où vous
ont mis les autres membres de la famille, d'avoir dû surmonter
vos sentiments de honte et de culpabilité liés à
la violence de votre mère, de vos soeurs, aux attouchements sexuels
de votre frère et à l'indifférence de votre père.
Vous pouvez vous plaindre d'avoir dû vous débattre, au
niveau identitaire, parce que placée dans une famille n'offrant
pas de repère unique et ferme, votre "posture" vous
semble douteuse et c'est votre propre légitimité que vous
avez mis en jeu à travers les différentes expériences
conjugales désastreuses que vous avez ensuite connues.
Là au moins, pour difficiles que sont ces expériences,
il n'y a point d'ambiguïté : vous êtes la victime
et à chaque fois, la spirale se remet en place de la même
façon jusqu'à ce que la thérapie, que vous menez
aujourd'hui, vous apporte peu à peu des réponses sur cette
mise en danger de vous-même, jusqu'à ce que vous renoncez
à souffrir dans et pour des situations que vous ne maîtrisez
pas, à commencer par la première : votre position d'enfant
dans une famille où l'imposture était reine.
Pour une fois, n'écoutez pas la société, prenez
le temps de vous trouver.
A bientôt.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil
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