Cette
humiliation que je m'inflige souvent
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Septembre 2010
Bonjour.
Après de longues hésitations, je me décide à
vous écrire...sans ce que j'en attends, mais...
Je suis actuellement suivie pour un état borderline incluant
anorexie et autres addictions comme la drogue et l'alcool. Je n'ai jamais
fait le rapprochement avec ce qui s'est passé lorsque j'avais
15 ans, mais depuis peu je note une amélioration de mes troubles
et ouvre peut être un peu plus les yeux, alors tout s'est emboîté
et tout m'est revenu à l'esprit. J'ai déja évoqué
cet évenement avec les différents soignants que j'ai pu
rencontrer, mais toujours en surface, sans jamais approfondir, par honte
et désintérêt, aussi, j'imagine. J'ai toujours rangé
"ça" dans une petite case de mon cerveau, étiquetée
par un "c'est pas grave".
Sauf qu'aujourd'hui, lorsque je fais le bilan, je suis atteinte d'une
anorexie sévère, suis dépendante à l'alcool
et aux drogues, mais ce qui me fait le plus mal, c'est cette humiliation
que je m'inflige bien souvent, lors de mes sorties. En effet, presque
systématiquement, dès que je me retrouve dans un état
second du à mes consommations diverses, j'ai des rapports sexuels
avec le premier venu. Bien souvent je ne connais même pas son
nom, et pire, c'est moi qui provoque ces relations. Je séduis,
et lorsque je me rends compte de la situation dans laquelle je me suis
mise, il est trop tard, j'ai l'impression que je ne peux plus reculer
et dois aller jusqu'au bout, dans des toilettes aussi sales qu'elles
sentent le vomi. Pendant ces actes je m'évade de mon corps et
suis ailleurs, comme si j'arrivais à appuyer sur un bouton "off"
et parvenais à m'enfuir. J'ai honte de moi, et rien qu'en y repensant,
le lendemain ça provoque chez moi des vomissements et des maux
de ventre horribles. Je me dégoûte, ça m'écœure.
La psy dit que je reproduis le scénario de mon agression pour
faire une "tentative de maîtrise" de cet évènement.
C'est vrai que je ne supporte pas de perdre le contrôle et qu'il
faut que je maîtrise tout.
Peut être faut il que je vous évoque "l'agression"
qui a eu lieu...
J'avais 15 ans, j'allais réviser le bac blanc chez mes grand-parents,
au Touquet. Sur le quai de la gare, avant de monter dans le train, j'ai
le choix entre 2 wagons. L'un d'entre eux est assez rempli, dans l'autre,
j'aperçois la silhouette d'un homme, seul. Une personne saine
d'esprit aurait preferé monter avec les autres. Moi, non. Je
suis montée dans l'autre et me suis retrouvée, seule avec
Lui. Bizarrement, je savais ce qui allait se passer. Pressentiment ou
non, appelez ça comme vous voudrez, je le savais. Il est venu
s'asseoir à côté de moi, pour discuter. Je me suis
dit qu'il fallait que j'essaie de le distraire le plus longtemps possible.
Mais quand j'ai senti sa main sur ma cuisse gauche, tout était
fini. Ou plutôt, c'était le début. Je me suis dit
que si j'obéissais, ça passerait plus vite. Je ne me suis
pas défendue. Il n'a pas été très violent,
bien qu'il m'étranglait en permanence pour ne pas que je bouge.
Il m'a donné une claque aussi, je crois que j'ai perdu connaissance.
Pendant qu'il s'agitait maladroitement sur moi, j'ai réussi à
m'évader de mon corps, comme je le fais encore aujourd'hui. C'est
étrange mais je regardais la scène d'en haut, comme dédoublée,
complètement passive. J'étais ailleurs. Ce n'était
plus moi. Juste une poupée de chiffon. Je ne sais pas combien
de temps s'est écoulé, combien de temps ça a duré.
Le contrôleur est entré, et je n'ai rien dit. RIEN. D'autres
passagers sont entrés, aussi, et je ne sais pas comment il s'est
débrouillé, mais sa main était toujours dans ma
culotte, devant tout le monde. C'était juste horrible. Insoutenable.
Lorsque je suis arrivée, je me suis dit que ça devait
arriver. Que je n'étais ni la première, ni la dernière.
Et puis après tout, ce n'était pas si grave quand même.
J'ai souri à mes grand-parents, et nous sommes rentrés
tranquillement à la maison. J'ai oublié. Simplement. Mais
vraiment, c'est à dire que lorsque j'ai commencé mon anorexie,
je n'y ai JAMAIS pensé, jamais fait le rapprochement...
C'est revenu une nuit, lorsqu'encore une fois je me suis retrouvée
complètement défoncée, mon partenaire sexuel m'a
serré si fort le poignet que ça a crée chez moi
un choc, cette même sensation d'oppressement, cette sensation
terrifiante de lui appartenir...flash-back. Dans ma tête tout
s'est emboîté... Cela faisait 4 ans que ça s'était
produit.
Je me suis décidée à en parler à ma mère,
fatiguée de mes dérapages...je lui devais une explication,
pour qu'elle puisse comprendre la cause de mes troubles. Elle a voulu
que je porte plainte mais c'est impossible. Même à elle,
je n'ai pas su lui dire que j'avais le choix entre ces 2 wagons; j'avais
peur de me faire engueuler. Et puis la police va penser pareil, ils
se diront que je n'avais qu'à monter dans l'autre, on nous répète
assez qu'il vaut mieux aller là ou il y a du monde! C'est de
ma faute, j'assume. Pire,si ils ne le disent pas, ils le penseront tout
bas et c'est encore pire pour moi. Le jugement.
Hier matin, j'ai parlé de "tout ça" à
ma pqychomotricienne, et elle a prononcé les mots "viol"
et "victime". Mais aucun des 2 ne fait partie de mon vocabulaire;
une "victime" est quelqu'un qui a subi quelque chose de grave,
qui n'avait pas le choix, qui s'est défendue. Et "viol"...Non,
décidément non, peut-on nommer ça un viol alors
que c'est moi qui l'ai choisi? Alors que je n'ai RIEN fait pour l'arrêter?
Alors que je SAVAIS pertinemment ce qui allait arriver, et que j'y suis
allée?
J'aurais l'impression d'être indécente face aux "vraies"
victimes. D'usurper un statut qui n'est pas le mien. De me plaindre
alors que c'est moi qui ai joué avec le feu. Qui prend des risques
assume.
J'ai tout de même une question. Durant toutes ces années
(cela fait 9 ans), je me suis dit qu'il(s) avai(en)t eu mon corps, mais
pas mon âme. Je comprends mieux pourquoi aujourd'hui je ronge
mon corps jusqu'à l'os. C'est qu'à force de me répéter
cette phrase, mon corps, c'est Lui. C'est le sien, plus le mien. C'est
un corps étranger, que je hais, que je piétine, que je
scarifie, que je vomis, que j'exècre, que je détruis avec
ferveur. C'est simple, j'éprouve une haine brûlante à
son égard. Je parle de lui à la troisième personne,
comme si il n'était pas moi. La psy dit qu'elle a rarement vu
une "scission" du corps et de l'esprit aussi extrême.
Bref. Aujourd'hui, je me rends compte qu'il m'a pris bien plus que mon
corps. Ce n'est pas le problème.
Pensez vous, sincèrement et honnêtement, qu'il est possible
au cours d'une thérapie, de se réapproprier son corps?
Je voudrais savoir si c'est réellement possible, car sinon...Il
faut savoir que je suis épuisée, physiquement et mentalement,
et si c'est impossible de faire la paix avec mon corps, ça prend
tellement de place, cette guerre sans merci, que j'arrêterai tout.
Je pense. Drapeau blanc, il aura gagné, et moi je n'aurai plus
qu'à tirer ma révérence. Ça ne me fait pas
peur. La mort m'a toujours fait moins peur que la vie de toutes manières.
J'en ai marre de me battre contre du vent. J'ai compris que je pourrai
encore coucher avec 157 mecs, me dégrader encore et encore, mais
que c'est stérile et que ça ne me console en rien. C'est
pire. Je me hais. Me dégoute. Quand je me regarde dans la glace,
je vois leurs mains courir sur moi. C'est humiliant, sale. Je ne supporte
pas qu'on me touche avec tendresse. Que les gens que j'aime me touche,
ils ne peuvent pas, ils vont se salir. Je n'en suis pas digne. Je ne
couche qu'avec des hommes sous l'effet de l'alcool, dans des endroits
crades et douteux, pour finir son travail. Ca me conforte dans l'idée
que je n'ai le droit qu'à ça. Je ne suis jamais sortie
avec un homme. Je n'ai jamais eu de rapport sexuel amoureux. Je ne sais
pas ce que c'est. J'en ai peur et me l'interdis de toutes façons.
Parce que je serais obligée de lui conter mon parcours, qu'il
sera dégouté de moi et qu'il voudra partir, ce que je
comprendrais aisément. Vous me direz, je ne suis pas obligée
de tout lui dire, mais j'aurais alors l'impression de le trahir, de
lui mentir et ce serait insoutenable.
Je suis sincèrement désolée de la longueur de ce
mail. Mais même si je n'ai pas de réponse, je crois que
ça m'a fait du bien de l'écrire. C'est moins douloureux
que de le vomir, encore et encore. J'ai lu vôtre article sur les
conséquences que peut avoir un viol/abus, et je le trouve remarquablement
juste et pertinent. Merci d'exister. Merci de m'avoir lue, merci.
Si mon message n'est pas trop long, il est évident que vous pouvez
le publier, si cela peut aider. Je ne suis pas contre le fait de publier
mon adresse, si des personnes voulaient me contacter pour discuter.
Je ne demande qu'à apporter mon soutien à d'autres si
ils le désirent.
Bien à vous.
Bonjour,
Je vais être "brutale" : cessez de croire en votre "toute-puissance"
et renoncez à votre besoin de maîtrise ; vous auriez su
ou seulement imaginé ce qui vous attendait, vous n'auriez pas
"choisi" de monter dans ce wagon et c'est parce que vous ne
supportez pas l'idée d'être impuissante, vulnérable,
que vous vous percevez si négativement soutenant que vous êtes
quasiment responsable de ce viol!
Sachez que, quelle que soit la façon dont s'est passée
l'agression dans la réalité, la victime tend toujours
à se sentir responsable de ce qui lui est arrivé (études
de Janoff-Bullman-Frieze; Miller-Porter).
Pour ces auteurs, ce sentiment de responsabilité a pour fonction
de permettre aux victimes "d'éviter de se sentir complètement
impuissantes puisque, si elles pensent avoir fait quelque chose pour
mériter l'agression, elles peuvent croire qu'elles avaient et
qu'elles continuent à avoir un certain contrôle sur leur
vie".
Ainsi, vous êtes toute prête à croire que la "cause"
de l'abus se trouve en vous.
Une autre explication possible de ce sentiment de responsabilité
irrationnel de la victime est que cette perception est reliée
à un désir de croire en un monde juste dans lequel la
victime a "mérité" l'agression, plutôt
que d'être confrontée à l'idée potentiellement
angoissante, qu'une telle manifestation de violence peut survenir par
hasard et qu'il n'est par conséquent pas possible de l'éviter....
Au vu des perceptions négatives de soi citées plus haut,
il n'est donc pas étonnant de constater que beaucoup de victimes
se livrent à des comportements autodestructeurs (alcool, drogue,
anorexie) et les auteurs considèrent que les compulsions sexuelles
sont une des formes (de ce comportement autodestructeur) : "un
comportement sexuel compulsif peut se comprendre comme l'incapacité
de la victime à identifier, éviter ou refuser des pratiques
sexuelles ou des partenaires sexuels qui pourraient la maltraiter"
; ainsi, une victime d'abus sexuels peut des années plus tard
sembler rechercher des liaisons comme s'il s'agissait d'une façon
inconsciente de revivre l'abus ancien ; l'exploitation sexuelle du passé
peut en effet susciter ou renforcer une attitude séductrice car,
ayant été blessée narcissiquement, la victime risque
de considérer que la sexualité est un "atout"
à faire valoir, répétant inconsciemment en le retournant
en son contraire l'évènement tragique.
Dans votre cas, ce n'est pas un atout mais une condamnation perpétuelle.
Vous dites avoir reçu un diagnostic de personnalité "borderline"
mais je me permets de penser, qu'il fait partie de cette condamnation
que vous voulez vous infliger à vie pour une faute que vous n'avez
pas commise, non pas, que ces troubles que vous me décrivez ne
fassent pas partie du tableau de la clinique "borderline"mais
parce que, je suis certaine que ces symptômes sont des actes d'automutilation
presque "choisis" pour vous faire expier.
On voit bien comment vous poussez votre corps à bout ne lui laissant
aucun répit, ne lui faisant grâce de rien, le menant au
bout du sacrifice que vous semblez maintenant avoir décidé.
D'ailleurs, à ce propos, n'oubliez pas que "expier"
veut dire payer pour une réparation et qu'au bout de l'expiation
se trouve la rédemption...
Vous qui, en plus, n'êtes pas coupable, pourquoi ne vous accorderez
vous pas ce droit vers lequel le plus coupable des coupables a néanmoins
la faculté morale de cheminer?
Ce corps que vous maltraitez est effectivement l'otage de l'agresseur
: ce n'est pas juste!
Tant de choses à dire encore...
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil
Un grand
merci à vous. Ça fait quand même bizarre de parler
de tout "ça". Non, en fait ça fait du bien je
crois...
J'ai passé le week-end à parcourir le site, de pages en
pages.
Oui, je suis prête à publier mon témoignage, avec
l'adresse mail de laquelle je vous écris.
Bonne continuation à vous, vraiment.
anorchidea@hotmail.fr
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