Je
n'ai rien dit à personne
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en pied de message
Septembre 2010
Bonjour,
Tout d'abord, je tiens à signaler que j'ai trouvé beaucoup
de réponses à mes questions en parcourant ce site et en
lisant les messages des personnes dans le même cas que moi. Maintenant,
j'arrive désormais à mettre des mots sur ce qui se passe
dans ma tête, sur mon manque de confiance, ma crainte des hommes
et mon comportement vis-à-vis d'eux, mes cauchemars d'agression,
et surtout la honte de moi que j'éprouve. Ce qui me rassure et
c'est bien triste, c'est que je ne suis pas la seule à vivre
ça et à me taire aussi longtemps.
En fait, j'ai 26 ans aujourd'hui et cela va bientôt faire 10 ans
que cela s'est produit. Et plus la date d'anniversaire approche, plus
j'y repense. Je me sens comme une cocotte-minute prête à
laisser échapper tout ce qu'elle a sur le cœur, mais je ne trouve
pas d'oreille attentive pour me confier, alors je ressasse cette histoire
dans mon coin et je finis par rester murée dans mon silence.
Cela fait maintenant quelques mois que ces pensées sont redevenues
récurrentes, je ne saurais dire quand précisément,
mais il me semble que tout cela a ressurgi suite à une émission
télévisée sur le thème des viols. N'importe
quelle situation, sujet de discussion me ramène à ça
: pourquoi j'ai gâché ma vie ?
En fait, je n'ai pas réellement été violée.
Et c'est bien de ça dont j'ai honte. J'avais 16 ans, et j'étais
amoureuse d'un garçon, du moins je croyais l'être. De caractère,
je suis plutôt quelqu'un de réservée, très
naïve, et je fais facilement confiance. Je suis plutôt poids
plume (à l'époque, 40kg pour 1m55). En fait, avec ce garçon,
à l'époque où nous avons fait connaissance j'avais
15 ans et lui aussi, on s'est fréquentés pendant quelques
jours. Un soir, nous nous sommes embrassés (c'était mon
premier "copain"). Puis, les jours suivants, je n'ai plus
eu aucune nouvelle de lui, pas même un appel. Je n'ai pas compris
ce qui n'allait pas, ce qui clochait chez moi.
Puis le temps a passé (un an environ), j'ai rencontré
un autre garçon, mais ça n'a pas duré non plus.
Je me suis remise en question, j'ai voulu comprendre pourquoi je n'étais
vouée qu'aux échecs (j'étais tombée amoureuse
auparavant mais du fait de ma timidité, je n'avais jamais osé
aller vers les garçons pour qui j'éprouvais des sentiments).
Et quelques temps après cette rupture avec ce deuxième
"copain", j'ai voulu revoir mon premier "copain"
pour essayer de comprendre le comportement qu'il avait eu. Et quand
je l'ai revu, il a été adorable avec moi. On a reparlé,
j'étais aux anges de pouvoir discuter et être avec lui
(j'étais très naïve), puis il m'a proposé
de me revoir dans la soirée. On s'est revu, embrassés,
puis il m'a proposé d'aller dans sa cave pour avoir plus d'intimité,
prétextant qu'il n'avait pas envie de monter chez ses parents.
Alors je l'ai suivi pour lui montrer que je n'avais pas peur et que
j'avais confiance en lui. Et c'est à partir de là que
ça a dérapé, il s'est montré rassurant,
doux, je n'ai rien vu arriver. J'ai consenti à le suivre et à
me retrouver sur une planche en bois pour ma première fois. Pourquoi
? Je ne sais pas. Par peur de dire non ? Parce que j'avais déjà
peur de lui ou par manque de caractère ? Toujours est-il qu'à
partir de ce moment, je n'ai pas pu fuir, il m'a déshabillée
et commencer à me pénétrer. Je lui ai dit qu'il
me faisait mal, mais il s'en fichait, ça avait même l'air
de l'exciter. Et plus je me plaignais ou plus je gémissais de
douleur et plus il y allait brutalement, en me traitant de toutes les
pires injures qu'une fille peut entendre à ce moment là.
Puis il m'a laissé, je me suis rhabillé, je suis rentrée
sans trop savoir ce que je venais de vivre et surtout ce qu'il se passait
dans ma tête. Je suis rentrée et j'ai rien dit à
personne. Lui ne m'a pas donné de nouvelles, enfin pas avant
quelques mois. Si je n'ai pas alerté mes parents, c'est tout
d'abord à cause de la honte, mais aussi parce que mon frère
avait aussi des problèmes à cette époque et que
je ne voulais pas rajouter ça à mes parents comme contrainte.
Mais j'avais vraiment aussi trop honte. D'avoir été naïve,
de lui avoir fait confiance, de ne pas avoir eu assez de caractère,
d'avoir toléré un endroit aussi déplorable pour
une première fois, et ce geste. J'avais peur d'être jugée,
que l'on me dise que tout était de ma faute et que je n'avais
qu'à m'en prendre qu'à moi même, alors je me suis
tue. J'en ai parlé à deux de mes amies sans trop rentrer
dans les détails. Elles ont compris mon malaise, mais elles ne
savent pas tout.
Et puis j'ai fini par me taire totalement. Et j'ai commencé à
faire n'importe quoi. Boire, prendre des somnifères, revoir ce
garçon quand il m'appelait pour "se soulager"et revivre
cet enfer mais cette fois-ci avec consentement en me disant que je ne
pouvais de toute façon plus rien pour moi, ni personne non plus
d'ailleurs. Je me sentais incomprise par ma famille, par mes camarades
du lycée qui me voyait changer de comportement. Et puis un jour,
une des amies à qui j'en avais parlé a réussi à
m'ouvrir les yeux. A me faire comprendre que ce garçon m'avait
fait du mal. Ce garçon m'a rappelé une dernière
fois et après avoir trouvé mille excuses pour lui dire
que je ne pouvais pas le voir et avoir senti son agacement monter au
téléphone, j'ai fini par oser et lui dire que je n'avais
pas envie de le voir. Sur quoi il m'a répondu avec agressivité
"tu veux pas que je te défonces, s... ?" ... Et là
c'est toute la réalité qui m'est venue en pleine poire.
Puis, j'ai fini par me dire qu'il fallait que j'oublie, alors j'ai terré
ce souvenir dans ma mémoire, j'ai appris à grandir avec,
j'ai rencontré beaucoup d'amis au cours de mes études,
beaucoup de collègues de travail aujourd'hui, mais personne ne
sait. J'ai eu très peu de copains en l'espace de dix ans, je
l'ai dit à quelques-uns pour qu'ils comprennent mon comportement,
ma méfiance, et mes peurs, mais aucune histoire n'a duré,
comme si cela les faisait fuir. Pour certains, cela semblait même
être une histoire anodine qui leur passait bien au dessus, alors
j'ai fini par me dire que j'en faisais peut-être tout un plat
et que c'était peut-être pas si grave que ça. Alors
j'ai fini par ne plus rien dire.
Aujourd'hui, quand je vois tous mes amis rencontrer des personnes merveilleuses,
se marier, avoir des enfants, je me sens loin et complètement
différente. Mes souvenirs ressurgissent, j'ai l'impression de
ne pas être normale. Certaines conversations m'évoquent
ces souvenirs, alors je suis là avec mes amis, ou avec mes collègues,
je suis plongée dans mes souvenirs, mais je n'ai aucune raison
de leur raconter tout ça. Alors je reste là, silencieuse,
triste, et incomprise, et seule avec mon passé.
Ce qui est dingue, c'est que plus les années passent, plus on
s'imagine que notre histoire n'a plus grand intérêt aux
yeux des autres, mais pour nous, victimes de ce genre d'agression,
le jour où les souvenirs ressurgissent, ils prennent tellement
de place qu'on finit par avoir l'impression qu'on va finir par tout
éclater au grand jour. Mais le silence est souvent vainqueur
et là cocotte-minute siffle de plus en plus. Je voudrais tout
évacuer, dire au monde ce que j'ai vécu, être enfin
comprise de TOUS, mais j'ai cette barrière infranchissable du
silence qui m'en empêche complètement. Je voudrais que
mes collègues comprennent mon manque de confiance, que les hommes
que je rencontrent comprennent mes peurs, je voudrais arriver à
me confier à mes amis et ne plus faire comme si de rien n'était.
Et pourtant ça fera 10 ans à Noël et je ferai encore
semblant d'être heureuse ce jour de fête alors que c'est
un triste anniversaire que je fêterai ailleurs, seule dans mes
pensées.
Une des plus terribles questions, c'est de ne pas savoir s'il s'agit
là d'un viol ou non. Pour avoir la réponse, il faut hélas
en parler, mais je n'arrive pas à franchir ce cap. Peut-être
saurez-vous me répondre. Quoi qu'il en soit, ce que j'ai vécu,
si ce n'était pas un viol, c'était un cauchemar.
Voilà, c'est la première fois que je m'exprime à
ce sujet. Je ne sais pas si ça me fera du bien, j'espère
en tout cas.
Cordialement,
L.
Bonjour,
A partir de cette expérience désastreuse, vous vous êtes
fabriquée un tableau bien limité et bien triste de vous-même
mais j'ai le sentiment que vous "oubliez" d'en inscrire le
cadre ou, plutôt, que vous vous condamnez à rester dans
ce cadre à l'infini parce que la douleur et la colère
qui auraient dû s'exprimer à cette époque se sont
retournées en vengeance contre vous-même.
Alors, vous restez figée dans l'image déplorable de cette
jeune-fille qui "a gâché sa vie", qui veut comprendre
"ce qui clochait chez elle", pourquoi elle "est vouée
aux échecs", qui se reproche son "manque de caractère"
et qui considère qu'elle fait fuir les hommes qui s'intéressent
à elle.
Comme si vous étiez condamnée à honorer un contrat
(celui de la culpabilité, de la haine à votre propre égard)
qui vous étouffe. Et continuera de vous étouffer jusque
au moment où, votre honte qui est ici la conséquence d'une
culpabilité qui n'a jamais rencontré dans la société
un véritable lieu d'expression soit examinée, analysée,
voire "sanctionnée".
Jusqu'ici, vous n'avez rencontré qu'une écoute polie,
gentille, mais parfois indifférente à la limite, vous
laissant toujours en proie à vos doutes, à la fois "encombrée"
de vous et "perdue en vous" mais toujours attachée
à la limite d'une image directement dépendante de cette
cruelle "expérience sexuelle" culpabilisante.
Je vais donc prendre la liberté de "juger" votre situation
: oui, vous avez été bien naïve de suivre ce garçon
; oui, vous avez bien mal placé votre confiance, sans doute d'ailleurs
parce que comme tous les adolescents, vous étiez en recherche
d'affection, de reconnaissance ; oui, vous n'avez pas pu réagir
parce que vous n'aviez pas imaginé à aucun instant les
motivations et le comportement destructeurs de ce garçon ; oui,
vous avez été sidérée, d'abord par sa manipulation
puis par par sa violence et vous en êtes devenue victime.
Vous avez été victime d'une relation sexuelle non consentie,
c'est à dire un viol.
C'est vrai, que vous avez été crédule, à
tel point que vous n'avez jamais imaginé la moindre "malice"
: est-ce un crime d'être "naïve" surtout à
quinze ans ?
"Aucun âge n'échappe à la naïveté"
a écrit Radiguet et surtout pas les jeunes puisque c'est à
cet âge que continue de se forger l'identité par l'apprentissage,
l'expérience et la réflexion mais aussi grâce au
besoin de croire et d'espérer.
Par contre, le viol est un crime et, même si vous pensez que vous
n'avez pas suffisamment manifesté votre refus, ce garçon
sait très bien qu'il a profité et abusé de votre
vulnérabilité.
Cette vulnérabilité que vous détestez et que vous
remettez en "jeu" comme pour la revivre et justifier inconsciemment
de votre propre "détestation" jusqu'à "ce
que la réalité vous revienne en pleine poire" et
vous décidez d'essayer de vous délier de cette image captive
mais, non sans en garder les tourments, puisque vous tentez "d'oublier"
le trauma et ses conséquences.
Le cauchemar a continué et puisque vous avez parcouru notre site
avec attention, vous avez sans doute compris ce qu'est la mémoire
traumatique.
* http://www.sosfemmes.com/violences/viol_consequences.htm
Vous avez encore beaucoup à vivre et à apprendre ; pardonnez
vous d'abord votre "naïveté" et considérez
que cette même naïveté chez les autres n'a pas les
mêmes douloureuses conséquences, simplement parce qu'elles
n'ont pas eu la malchance de rencontrer ce type de prédateur.
Prenez conscience que votre malheur n'est pas de votre faute et que
vous méritez, comme tout le monde, d'être soulagée.
Mais faites vous aider par des professionnels car, il est vrai, que
la souffrance fait parfois fuir les gens qui en ont peur.
Ce n'est pas vous qui faites fuir les personnes mais la perception qu'ils
ont de votre douleur et de leur impuissance à la soulager.
J'aimerais tellement pouvoir publier votre témoignage, même
avec une adresse anonyme, afin que vous puissiez avoir des contacts
mais aussi pour que d'autres jeunes victimes puissent le lire et sortir
du silence.
Je ne ferais rien sans votre accord :
* http://www.sosfemmes.com/faq/email_anonyme.htm
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Conseil
Bonjour,
Merci à vous pour votre réponse. J'ai mis du temps à
franchir un premier pas en me confiant à vous et je ne pensais
pas que cela m'aurait apporté autant de réconfort. C'est
peut-être un peu paradoxal, mais je suis soulagée qu'enfin
quelqu'un puisse comprendre ce que j'ai enduré et surtout le
poids du silence que je traîne depuis bientôt dix ans. Pour
une fois, depuis tout ce temps, j'ai pu enfin me sentir moins coupable,
je ne suis pas encore sûre d'être prête pour en parler
à ma famille ou à mes amis proches, mais effectivement
à la lecture de votre réponse, je pense qu'un professionnel
pourrait m'aider à me sentir mieux et peut-être à
franchir un jour ce cap.
J'ai pris conscience en lisant votre réponse que je n'étais
certainement pas la seule à avoir vécu ce genre d'histoire
et à ne pas avoir osé en parler (par dégoût
de soi il est vrai), et quand je vois des jeunes filles d'environ mon
âge à l'époque des faits, je me rends compte maintenant
à quel point l'inconscience et la naïveté de la période
adolescente peuvent avoir comme répercussions sur le psychologique
suite à des évènements comme celui que j'ai vécu.
C'est pourquoi, si mon expérience peut aider d'autres femmes
et adolescentes dans mon cas, voire même protéger des jeunes
filles pour qu'elles ne tombent pas dans le même piège
que moi, je vous autorise à publier mon message (avec une adresse
anonyme svp, car je ne me sens pas encore prête pour en parler
ouvertement).
Merci encore pour votre soutien et toute l'aide que vous m'avez apportée.
Cordialement,
L.*
lea.beaulac@laposte.net
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