J'étais
prête à mourir
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Décembre 2010
Bonjour,
je me décide à vous écrire, dans un élan
que je n'explique pas, suite à la lecture de nombreux témoignages
sur votre site...
la plupart de ces récits ressemblent de très près
à ma propre histoire, mais chaque cas étant exceptionnel,
je ne m'y retrouve pas non plus complètement. J'ai en effet le
sentiment d'avoir été "victime" à plusieurs
reprises et encore aujourd'hui, même si je n'ai subi qu'une agression
sexuelle : une de trop c'est indéniable, mais j'ai cette très
désagréable sensation d'avoir été salie
plus d'une fois et régulièrement...
Tout d'abord, je tiens à préciser que j'ai un caractère
très affirmé et que je me targue d'être très
forte face aux hommes, quitte à leur faire peur... en fait, au
fond de moi, je me sens beaucoup trop faible, trop soumise, incapable
de contrôler quoi que ce soit, à commencer par ma vie que
je subis.
Le premier "épisode" marquant a eu lieu alors que j'avais
tout juste 10 ans, j'étais une petite fille très en retard
question maturité, une toute petite fille physiquement et moralement.
J'étais partie en classes de neige et occupais un dortoir avec
une dizaines d'autres filles de ma classe. Face à mon lit se
trouvait la porte de la chambre des moniteurs, dont l'un d'eux, Alain, venait
très régulièrement le soir, s'asseoir sur mon lit
pour nous conter des histoires ou jouer de la guitare... Mes camarades
étaient toujours attroupées autour, aux premières
loges pour assister aux caresses qu'Alain faisait sur mes cuisses, laissant
ses doigts adultes se promener sans cesse de mes genoux jusqu'à
l'aine, cela durait des soirées entières. Etant une petite
fille effacée, sans vraiment d'amies, je n'ai osé me rebeller,
ni même bouger, j'étais paralysée par la honte sous
les rires moqueurs des autres filles, persuadée que de toutes
façons, si je disais quoi que ce soit, je ne serais pas suivie
ni épaulée par mes camarades de chambrée. Ce moniteur
a même poussé le vice jusqu'à venir tous les soirs
assister à notre toilette. Certaines de mes camarades, probablement
redoublantes, commençaient déjà à avoir
des formes féminines et le caractère qui allait avec,
aussi, il ne les embêtait pas, il préférait les
plus faibles, les plus jeunes dont je faisais évidemment partie,
il m'a intégralement lavée à 3 reprises, encore
une fois sous les chuchotements et gloussements des autres filles.
Comment différencier une action "normale" d'un moniteur,
d'un comportement répréhensible ? On ne m'avait jamais
préparée à cette situation, mes parents ne m'ont
jamais parlé de ce genre de choses.
Il est par conséquent évident que je n'en ai jamais parlé.
Le second épisode, le plus cruel, est arrivé alors que
j'avais 14 ans. Je commençais à peine à me former
et comme toutes les jeunes filles en pleine métamorphose, j'étais
très complexée par mon corps. Nous habitions un quartier
convivial où tous les voisins avaient pour habitude de faire
des apéritifs et repas ensemble, où tous les enfants grandissaient
en se voyant tous les jours ... nous étions tous si proches que
personne ne pouvait se douter que notre voisin, Gérard, s'intéressait
de trop près aux très jeunes filles... Il était
lui-même père de 4 enfants, dont une fille de mon âge,
il avait l'âge de ma mère. Ses qualités de bon bricoleur
l'ont amené un jour à venir voir une fuite que nous avions
aux toilettes. Ma soeur, âgée de 16 ans l'ayant accompagné
pour lui montrer le dysfonctionnement, est revenue en se plaignant à
ma mère qu'il lui avait proposé de l'embrasser, histoire
de bien lui montrer comment on fait pour qu'elle soit à la hauteur
avec ses petits copains. Ma mère a simplement réagi en
la mettant en garde contre lui, l'incitant à l'éviter,
mais elle n'a pas affronté notre cher voisin.
Quelques jours plus tard, alors que j'étais seule à la
maison, il est venu sous prétexte de voir si tout allait bien.
Ayant compris que personne ne le dérangerait, il m'a prise dans
ses bras, derrière moi en me serrant très fort contre
lui, si fort que je pouvais sentir sa virilité dans mon dos,
il jouait avec mon téton et mon sein naissant entre ses énormes
doigts. Je tremblais comme une feuille morte mais n'osais répondre
tant j'étais terrorisée et avais peur de confondre, encore
une fois, une attitude paternelle avec un comportement déplacé.
J'avais peur qu'il ne me traite de folle ou qu'il ne m'accuse d'affabuler
si j'osais parler, puis, parce que mon chien a grogné, il est
parti rapidement sans aller plus loin.
Cette scène s'est répétée à plusieurs
reprises avec de courts intervalles.
J'ai toutefois tenté d'en parler avec ma mère qui m'a
accusée de jalousie envers ma soeur, me disant que je voulais
me rendre intéressante, puisque ma soeur s'était plainte
de ses avances.
c'était désormais clair, je ne pouvais plus en parler
et il le savait si bien qu'il a franchi le pas un mercredi matin, me
prenant à même le sol de la cuisine familiale. J'avais
dit "non", je n'avais pas crié... j'étais aussi
raide qu'un poteau de fer, mais il ne s'est pas découragé.
Alors j'ai serré les dents et fermé les yeux, essayant
de rêver, de penser à autre chose, j'ai même dû
y arriver, je ne m'en souviens pas, je ne me souviens même pas
des vas-et-viens, je n'ai aucune idée du temps que ça
a duré. Tout ce dont je me souviens ensuite, c'est qu'il a remonté
son pantalon, rajusté sa ceinture et m'a simplement dit que ça
ne se produirait plus si je me taisais. En revanche, si je parlais,
d'abord, mes parents ne me croiront pas (il les connaissait si bien)
et en plus, il reviendrait chaque semaine.
j'ai dû acquiescer, presque remercier... j'en ai encore la nausée.
Puis je l'ai vu sortir naturellement. J'ai nettoyé les taches
de sang sur le sol, de peur que ma mère ne soit en colère
pour les salissures, en rentrant du travail. Le soir même, il
venait voir un match de foot avec mon père... j'ai dû lui
faire la bise et lui servir les amuse-gueules, avec le sourire ... encore
une déchirure, morale cette fois, comme si le viol durait encore...
Il a tenu sa promesse de ne plus recommencer, mais les 2 ans qui ont
suivi, je l'ai croisé au quotidien et ai dû faire semblant,
c'est un viol qui a duré 2 ans pour moi ...
La suite de mon adolescence s'est passée presque sans encombre,
une adolescence normale à l'exception du fait que je ne pouvais
abandonner mon corps à des flirts trop prolongés. Je crois
même n'avoir jamais vraiment aimé chacun des garçons
avec lesquels j'ai flirté. J'avais même cette espèce
de satisfaction personnelle d'être la plus désirable à
leurs yeux, de les amener presque jusque dans un lit et de dire "stop"
au moment fatidique. J'avais l'impression ainsi de reprendre le pouvoir,
le contrôle.
C'est à 18 ans que j'ai rencontré l'homme qui partage
encore ma vie aujourd'hui. Lui, sans n'y rien comprendre, je l'ai aimé
immédiatement et savais au fond de moi que je pourrais avoir
des rapports sexuels avec lui. D'ailleurs, il ne lui a fallu que 3 semaines
de patience pour y arriver. Nous n'avons jamais été un
couple exemplaire, amoureux fous. A peine 6 mois après notre
rencontre, il avait déjà commencé à se montrer
violent avec moi. Ça a commencé par une simple gifle,
puis, au fil des mois et des années, c'est devenu coups de pieds,
de poings. je savais bien au fond de moi que je ne devais pas tolérer
ça, mais je l'aimais plus que je ne m'aimais moi-même et
étais prête à mourir si un jour ça allait
trop loin, mourir plutôt que de vivre sans lui...
je savais que j'avais perdu tout contrôle mais tant pis, du moment
qu'il m'aimait ...
Il a fallu attendre la grossesse de mon second enfant, soit 7 années,
pour que je reprenne confiance en moi et que je le menace enfin. C'est
la dernière fois qu'il a été violent.
Depuis ce jour, je n'ai eu de cesse de me reconstruire, de prendre le
pouvoir dans notre couple et de me "venger" à ma façon...
je l'ai trompé, le lui ai avoué, ai essayé de le
quitter à maintes reprises sans y croire moi-même vraiment,
juste pour lui faire peur et le voir se rabaisser face à moi.
Je lui ai tellement pris le pouvoir qu'aujourd'hui mon couple ne me
satisfait plus. Après 20 années passées ensemble,
il n'est plus l'homme que je désirais. Notre couple ne reflète
pas ce à quoi j'aspirais... Plus de confiance, plus d'harmonie,
plus d'amour finalement.
Je sais qu'on fond de moi j'ai toujours des sentiments pour lui mais
je ne peux aimer un homme faible et soumis, même si au final c'est
moi qui ai fait de lui celui qu'il est aujourd'hui.
Ma décision de le quitter me fait peur au fond de moi car je
tremble à l'idée de penser que j'ai un problème
avec les hommes. Un problème de pouvoir, de confiance en moi.
Je ne peux plus croire en une relation à long terme... elles
me font peur, d'ailleurs.
Voilà pour ce qui est de mon témoignage... les faits et
leurs conséquences ... et je crois qu'après une agression
sexuelle, on oriente sa vie en fonction du préjudice et que l'on
subit toute sa vie l'affront. La reconstruction me paraît quasi-impossible.
Merci d'avoir eu la patience de me lire.
S.
Bonjour,
Mais, vous vous êtes au contraire plutôt bien reconstruite
car vous avez complètement renversé la situation même
si, elle ne vous satisfait plus aujourd'hui pour des raisons que nous
évoquerons ensuite ; de la petite fille soumise par la force
et la perversion de l'adulte, de la jeune-fille maltraitée par
son compagnon, vous êtes parvenue à devenir une femme qui
a conquis le pouvoir.
D'autres que vous, ayant connu un parcours semblable, sont encore en
proie avec les chaines de la soumission et certaines n'arrivent jamais
à s'en détacher !
Ce qui ne vous convient pas dans cette situation nouvelle, où
vous avez "soumis" à votre tour votre conjoint, pour
vous "venger" dites vous, s'explique simplement par votre
honnêteté, votre valeur morale, votre désir de vivre
un véritable amour.
Et je salue bien sûr votre capacité à comprendre
qu'une relation d'amour n'est pas une relation de domination-soumission.
C'est parce que vous n'êtes pas dans la perversité que
cette relation ne vous satisfait pas !
Vous n'avez aucun plaisir à manipuler l'autre ; vous avez l'envie
légitime de créer une relation d'échange, constructive,
sans que l'un ne soit l'obligé de l'autre...
Vous conservez quelque affection pour cet homme qui a partagé
votre existence mais vous vous rendez compte que vous n'avez plus besoin
de lui, qu'il ne vous apporte plus guère, que vous n'attendez
plus rien de lui d'ailleurs...
Vous n'avez pas de problème avec les hommes ; vous avez subi
la perversion de certains et vous vous êtes battue pour vivre
malgré tout, pour vous construire.
Vous auriez pu être "laminée" par le passé
et votre propre force de vie finit par vous surprendre vous-même.
Alors, comme si vous étiez "coupable" d'avoir survécu
au déluge, vous doutez de la légitimité de cette
force, de votre propre légitimité.
Comme si, vous vous attendiez un jour, à devoir en payer le prix.
Je pense que votre manque de confiance tient au fait que, la petite
fille terrorisée n'a pas encore fini d'élaborer son traumatisme,
que dans sa lutte pour vivre, elle n'a pas pris le temps, n'a pas eu
la possibilité de s'écouter, d'être écoutée
et qu'il est temps aujourd'hui, qu'elle veuille bien finir de soigner
ses blessures avant de repartir sur le chemin d'une femme légitimement
battante.
Ainsi, vous n'aurez plus besoin de mettre en avant des mécanismes
de défense pour vous protéger plus ou moins inconsciemment,
ce qui vous autorisera à vivre plus librement.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Agent de conseil
Bonjour Chantal,
Merci pour votre réponse si rapide et si claire. Je dois vous
avouer que l'analyse que vous avez faite de mon récit me surprend,
elle est des plus logiques à bien y réfléchir,
mais je n'avais jamais songé à l'interpréter ainsi.
ne serait ce que de vous lire, ça m'aide déjà beaucoup.
Je vous autorise, si vous le souhaitez à publier mon histoire,
dans l'espoir qu'elle puisse à son tour aider d'autres femmes.
Bien affectueusement,
S.
vous pouvez utiliser mon nom et mon adresse mail sans problème.
Je suis toute disposée à laisser l'occasion à une
femme en "détresse" de me contacter pour soutien.
Cordialement
* samantha.fulcrand@orange.fr
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