Une fois de plus, je ne me sens pas bien
Avril 2011
Bonjour,
je reviens
vers vous car une fois de plus, je ne me sens pas bien.
Pourquoi
est-ce que je ressens tant de haine et tout cela déclenché par un
petit rien qui me fait me sentir si mal.
Mal au point
que j'ai envie de tout casser autour de moi, même au point de
vouloir faire du mal à l'autre ou me blesser moi même.
Je pensais
être une femme équilibrée capable de surmonter mes problèmes, la
seule explication que je trouve, la seule chose que je dise alors
pour "excuser" mon attitude c'est : j'ai perdu un fils
puis, j'ai divorcé, j'ai tout perdu. La famille que j'ai toujours
voulu avoir n'est plus possible pour moi.
Je me
croyais forte mais je prends le prétexte du décès de mon fils pour
être malheureuse et accuser tout le monde de tort envers moi,
accuser tout le monde de me rendre malheureuse comme si je ne l'étais
pas assez.
Je
m'intéresse à beaucoup de choses mais ce ne sont que des
distractions pour essayer de retrouver un peu d'estime, de confiance
en moi même car au fond, je sens que je perds pied, que bien peu de
choses arrivent à me rendre le sourire, un sourire franc et sincère,
un vrai apaisement du coeur et de l'esprit.
Pourquoi
est-ce que j'ai du mal à pardonner, pourquoi ai-je autant de
rancoeur, pourquoi veux-je à ce point remuer le couteau dans la
plaie au lieu de tourner la page et commencer une journée, une vie
nouvelle sans traîner le passé et les mauvais souvenirs ?
Pourquoi
ai-je autant besoin de me sentir valorisée, désirée, aimée alors
que j'ai pourtant certaines qualités morales et physiques ?
Je me sens
prisonnière de quelque chose que je n'arrive pas à définir ni à
nommer.
je voudrais
retrouver cette femme capable de retrouver le sourire, de retrouver
confiance en l'avenir.
Carmen
Bonjour,
Le décès de votre fils est un malheur et ne
constitue pas un prétexte à votre mal-être ; s'il n'est pas
l'unique cause de ce mal-être, comme vous semblez le dire, il
s'ajoute sans aucun doute à une vision déprimée de votre
être.
Actuellement, vous mesurez l'écart entre la réalité et
vos "idéaux" et vous êtes obligée de faire le constat
d'un certain renoncement, que vous prenez en pleine face.
Cela
vous révolte et peut vous rendre "agressive" : c'est
humain car la vie ne vous a pas épargnée.
Peut-être que jusque
là, vous aviez mobilisé vos forces pour ne pas ployer mais
l'énergie n'est pas toujours renouvelable et à force de lutter, il
est légitime d'être lasse d'autant plus que apparemment, vous avez
tenté de dépasser les drames de votre vie par une certaine exigence
: ce qu'il vous faudrait sans cesse être, ce qu'il faudrait que
l'autre soit, exigence que vous avez constamment soutenue et qui vous
a épuisé.
Aujourd'hui que votre "idéal" vous
apparaît "définitivement" inaccessible, vous imaginez
qu'il y a faillite dans votre vie, vous vous sentez déçue et
trahie, proche de l'effondrement.
Vous vous découvrez brutalement
vulnérable parce que confrontée à l'impossible réalisation de votre
"idéal", malgré tous les efforts déployés, malgré
toutes vos ressources réelles.
Et dans un mouvement "masochiste",
vous vous piétinez, comme si vous n'aviez pas assez souffert.
Le
moment est venu, non pas de "traîner le passé" mais de
revisiter les mauvais souvenirs, afin d'en éprouver réellement
l'impact sur votre psychisme et de les intégrer dans la construction
de votre personnalité.
Ce sera douloureux mais ce remaniement des
identifications est nécessaire pour vous permettre de soutenir un
travail de deuil de vos idéaux et vous autoriser à aborder une
existence plus apaisée voire plus sereine.
Me permettriez-vous,
de publier votre témoignage, anonymement ou non?
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Agent de conseil
Bonjour madame,
Comme toujours, vos réponses me sont
d'un réel secours.
J'ai pris le temps de réfléchir avant
de vous répondre car je ne me suis demandée si j'étais prête à
faire ce que vous me conseillez : revisiter les mauvais souvenirs.
Il m'est déjà arrivé de revivre ces
mauvais souvenirs, rien que d'en effleurer la surface, je sens déjà
une boule dans la gorge, et des larmes me monter aux yeux, le nez qui
me pique.
J'ai peur et j'ai mal car je mesure
toute l'injustice et ma culpabilité dans la mort de mon fils de 18
mois.
je l'ai fortement désiré, je l'ai
planifié : je voulais une famille et je voulais me marier, le père
m'a donc épousée ( nous avions déjà notre aîné ensemble), mais
nous avions des problèmes de couple... ma grossesse n'a dont pas été
sereine à cause de ma relation amoureuse, je me rappelle aussi que
notre maison était en construction et que je gérais cela seule. Mon
frère m'avait conseillé d'avorter, j'ai songé à le faire
sérieusement, j'avais pris un RDV puis j'ai changé d'avis. Mon fils
est né et j'ai allaité pour la première fois pendant 6 mois. La
maison était finie, nous étions enfin chez nous, plus d'harmonie et
d'amour dans notre couple, je me sentais comblée avec mes deux fils,
mon mari, malgré encore des petites difficultés avec mon mari, avec
les soucis financiers. Je supportais tout vaillamment... Je travaille
chez mes parents, c'est pratique car pendant que je travaille, ma
mère garde mon fils.
La dernière fois que nous avons vu mon
fils, c'était de loin, juché sur un escabeau, en train de jouer
avec l'eau d'un bassin rempli d'eau. Nous le cherchions et nous nous
demandions où il était. Nous l'avons vu et nous l'avons laissé là.
Ma mère savait que mon père n'était pas loin, et puisqu'elle a
jugé qu'il ne craignait rien, je l'ai donc laissé également seul
dehors.
Je suis retournée à mon travail, elle
faisait la sieste. Et puis, elle a commencé à me dire que ça fait
un moment maintenant, que fait-il ? Alors je suis allée voir. Le
silence était affreux. J'ai vu mon père endormi devant la télé,
et j'ai découvert mon fils flotter à la surface de l'eau. Il y
avait du vomi, il était froid, il était lourd. Je l'ai sortit de
l'eau : j'ai crié qu'il était mort. Ma mère est sortit en courant,
mon père s'est brusquement réveillé. Le reste n'est qu'un
cauchemar, pénible, monstrueux. Je ne savais pas quoi faire, j'ai
pris la voiture, je voulais l'emmener chez un médecin, je l'ai
emmené chez les pompiers. Aurais-je pu le sauver si je n'avais pas
gâché ces précieuses minutes ? J'ai appelé mon mari, et lui ai
annoncé la nouvelle au téléphone, je crois que j'ai fait pareil
avec mon frère.
Il y a eu une horrible dispute entre
mon mari et ma mère. IL ne voulait pas qu'on ramène le corps de
notre fils chez nous, ma mère insistait pour qu'on fasse ainsi car
c'était impensable pour elle que mon fils ne passe pas sa dernière
nuit sur terre ailleurs que dans sa maison. Quant à mon mari, il ne
voulait pas de mort dans la maison : deux cultures différents en
confrontation. Dois-je ajouter, que ma mère n'a jamais beaucoup
apprécié mon ex mari ?
Nous l'avons enterré 24H après.
C'était mon fils, et j'en étais si fière.
Deux jours après, j'ai repris mon
travail comme si de rien n'était. Je ne parlais guère à mes
parents et de toute façon, nous ne discutons jamais. Alors de cela,
encore moins. De mon fils, très rare. Pendant longtemps, je n'avais
pas les moyens de faire sa plaque, ce n'était qu'une motte de terre
pleine de mauvaises herbes. Je répugnais à y aller pour
l'entretenir. Lorsque j'ai fait mettre du marbre plusieurs mois après
son décès, j'ai pleuré de joie et en même temps de désespoir. Je
n'y vais que par nécessité pour essuyer de temps en temps la plaque
pleine de poussière.
Entretemps, j'ai insisté pour avoir un
autre enfant et j'ai eu ma fille, mais mon couple s'est délité et
nous avons divorcé.
J'ai l'impression d'avoir tout perdu.
Oui vous pouvez publier mon témoignage.
Merci à vous de me lire et de m'aider.
Carmen
Bonjour,
Dans votre tout premier
message, vous écriviez ceci :
"J'ai presque honte de me
plaindre de ma situation car il y en a de tellement pire."
Et
vous passiez sous silence le drame de la mort de votre enfant, sans
doute, parce qu'il est "impensable".
Par contre, vous
évoquiez une autre tragédie, celle de l'inceste, mais que vous
sembliez, d'après vos mots, avoir gérée.
Aucune haine ne
transparaît à l'égard de votre père et de votre mère.
Vous
avez, comme on dit, "pris tout sur vous"...
Alors que
finalement, vos parents ont, par deux fois à divers degrés, trahi
votre confiance.
Vous avez été encore une fois la victime
impuissante lors de la dispute "horrible" entre votre mère
et votre mari.
J'ai l'impression que vous n'avez jamais pu
exprimer votre légitime colère à vos parents et que, cette colère,
vous la gardez en vous.
Vous avez peut-être peur de ce sentiment
hostile que vous ressentez à leur égard, de cette agressivité
intériorisée, dont vous culpabilisez?
Peut-être parce que,
comme je vous l'ai déjà dit à plusieurs reprises dans nos
entretiens, vous avez un degré d'idéalisation très fort qui vous
amène à éviter le conflit et à passer sous silence ce qui vous
affecte, d'où votre incapacité à exprimer votre colère par
crainte de détruire.
Ce processus vous a permis de protéger
votre représentation de la famille parentale mais ne vous a pas
permis de préserver votre propre famille, comme si, vous étiez à
jamais redevable par rapport à vos parents.
Vous avez connu des
situations extrêmes et votre exigence à l'égard de vous-même a
fait, que vous vous présentez dans la vie, presque "comme si de
rien n'était".
Vous avez vécu des épreuves de perte,
d'abandon, de trahison : vos idéaux ont été déçus ; il vous faut
vous représenter cette déception sans avoir peur de vous détruire
en abordant la destruction de ces images.
Le travail analytique
vous permettra d'aborder cette décomposition de votre souci
"d'idéalité" et vous autorisera à vous réapproprier
votre socle pulsionnel, jusqu'à faire apparaître la détresse
contre laquelle vous vous êtes construite, afin de pouvoir repartir
sur une autre base.
C'est un travail de transformation de vos
idéaux, de vos appartenances, de vos identifications.
Ne résistez
plus coûte que coûte et osez exprimer vos émotions négatives, ce
qui ne veut pas dire, que vous allez rompre avec vos parents mais
vous allez donner de la place à votre véritable "je".
Je
reste à votre disposition.
Bien à vous,
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Agent de conseil |