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J'ai bien été abusée

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 Avril 2012


Bonjour,
Cela fait déjà un nombre incroyable de fois que je consulte ce site web. J’y ressens le réconfort immense de savoir que je ne suis pas seule, qu’il y a des lieux où nous pouvons parler sans crainte de regards, de jugements, de réactions plus ou moins inappropriées, un lieu de rencontre et de solidarité. Je suis restée tout d’abord 2 ans dans le refus obstiné de ce qui m’était arrivé, puis je suis encore restée 4 ans dans un silence en partie contraint. Aujourd’hui encore, j’ai de grandes difficultés à me convaincre que j’ai bien été abusée. Pourtant les signes ne trompent pas, et je me suis reconnue dans tant de portraits, tant de descriptions, tant de messages qui disaient mieux que moi la souffrance. Je n’ai pas eu la chance d’être bien entourée lorsque j’ai voulu parler mais depuis bientôt 3 ans, j’ai laborieusement franchi les étapes de ma reconstruction : personnelle et sociale. Loin d’avoir vaincu tous mes démons, il y en a un qui me terrifie plus que les autres : affronter mon agresseur. En effet, j’ai dit non, mais il a continué, j’avais bientôt 16 ans lorsque cela s’est produit et je suis restée pétrifiée : aucune preuve, aucun témoin. Rien  ne me reste si ce n’est la mémoire. J’ai lu, entendu dire et redire qu’il fallait passer le pas, qu’il fallait affronter, mais j’imagine bien qu’un procès parole contre parole ne m’apportera pas la justice. Et contre cette impuissance là, je ne sais pas quoi faire. Je voudrais pouvoir dire à voix haute, pouvoir exister pleinement avec cette partie de ma vie, avec cet événement qui malgré tout fait partie de ce que je suis. Mais j’ai la sensation que je ne pourrais jamais franchir l’ultime étape, obtenir la « reconnaissance » des faits, ou la justice. Je me suis battue corps et âme contre moi-même pour tout reconstruire. Aujourd’hui heureuse en amour, il me reste toujours cette ombre, et je vois le temps qui passe, il me reste un an et demi, je ne peux pas me sortir cette échéance de l’esprit mais je ne sais pas quoi faire… Je ne sais pas quelles solutions s’offrent à moi… J’ai la sensation horrible de devoir me préparer à faire le deuil de la justice. Après avoir hésité de si longs mois, j’ai donc enfin décidé de solliciter votre avis, votre aide ou tout conseil que vous semblerez utile
Merci d'avance.

Bonjour,
Vous vous êtes battue corps et âme contre vous-même, écrivez vous, pour tout reconstruire ; "contre" vous-même ou plutôt contre l'envahissement de l'odieuse réalité extérieure en vous pour aboutir à une réorganisation de votre monde intérieur ; vous êtes redevenue peu à peu actrice de votre propre histoire et avez gagné un certain apaisement mais il vous manque la reconnaissance des faits, de ce que vous avez subi, par un regard extérieur, par la justice. Votre démarche est tout à fait compréhensible et légitime.
Certains professionnels mettent cependant en garde les victimes : "leurs attentes (face à la justice) sont trop souvent inadéquates car ces victimes attendent de l'extérieur ce qui ne peut se régler qu'à l'intérieur, sur la scène intime" in "La victime : enjeux au carrefour du juridique et du psychologique". Association des psychologues de la Haute-Marne nov 2011.
"Dans ce cas, le combat judiciaire n'est qu'un leurre..."
Vous avez réussi, vous, à dépasser le seuil traumatique et vous avez retrouvé du plaisir à vivre ; vous n'entrez donc pas dans cette catégorie de victimes qui, d'après ces professionnels, attendent trop. Il semble, par ailleurs, que vous ayez parfaitement conscience des limites de la justice (me préparer à faire le deuil de la justice), parce que vous avez tardé à "revendiquer" mais aussi, parce que vous craignez que votre parole compte moins que celle de votre agresseur ; or, même si la justice ne condamne pas cet individu, faute de preuves, cela ne veut pas dire qu'elle ne croit pas en votre parole mais qu'elle applique la loi. Ainsi, votre parole de citoyenne sera dite et entendue par la société de même que votre agresseur sera entendu. Autrement dit, votre histoire qui se déroulait jusque là dans la sphère de l'intime sera sur la scène sociale.
Mais supporterez vous, en cas de non-lieu, c'est à dire dans le cas où la justice ne pourra déclarer publiquement votre agresseur coupable faute de preuves, supporterez vous cette représentation ou est-ce que le fait d'avoir combattu et révélé publiquement cet homme en tant que "violeur" (même s'il n'est pas condamné) vous apportera le sentiment d'avoir été jusqu'au bout de votre prise de conscience et de votre réflexion?
Selon les éléments que vous avez à faire valoir, selon la personnalité de l'agresseur qui peut avouer, le procès pénal n'est pas joué d'avance.
Vous pouvez ensuite faire entendre votre voix au civil.
Votre témoignage est très intéressant et j'aimerais pouvoir le publier même anonymement si vous le voulez. Dans l'attente,
Cordialement,
Chantal POIGNANT

Bonjour,
tout d'abord un très grand merci pour votre réponse qui me dit à voix haute certains aspects que j'avais envisagés. Je vous autorise entièrement à publier mon témoignage et ne réclame pas nécessairement l'anonymat. Je crois en effet que je dois exister pleinement et ouvertement avec mes blessures sans en avoir honte. (souvent plus facile à  dire qu'à faire). J'avoue très sincèrement que je ne me sens pas (encore?) capable d'affronter mon agresseur, capable de rendre tout public. J'ai même conscience d'avoir dans mon entourage (hélas) des proches plus  enclins au silence et à vouloir cacher... des personnes qui m'en voudraient probablement de dire publiquement. Pour reprendre cette expression de combat contre soi-même, j'avoue qu'après avoir passé une phase de colère intense, puis de profond désespoir, j'ai eu l'impression de devoir presque à proprement parler combattre mes propres penchants autodestructeurs. C'était la colère le plus difficile dernièrement, et j'ai finalement rencontré des personnes qui m'ont permis de parler, de dire sans être jugée, d'être simplement écoutée et j'aimerais que tous nous ayons cette chance. Mais parfois, j'ai également l'impression de ne pas avoir fini... une impression d'être encore dans le ressassement, et de ne pas parvenir à me rappeler, d'avoir encore certains blocages. J'ai souvent la sensation, par exemple, que je pourrais mieux vivre encore ma vie intime avec mon conjoint, bien que j'aie conscience d'avoir fait de grands progrès. En revanche, peut-être que je me trompe en croyant que la justice pourrait me faire avancer dans la cicatrisation, et il y a une grande différence entre se préparer au "deuil de la justice", en avoir conscience et l'accepter une fois venu. J'ai en tout cas une profonde volonté de m'engager, de lutter personnellement et socialement dans des associations comme celle-ci, peut-être n'ai-je pas encore totalement fini de cicatriser, j'ai souvent voulu consulter  un psychologue également, mais je n'ai jamais été jusqu'au bout de ma démarche. Je me dis que la démarche d'engagement me permettrait également de franchir une étape... Enfin, voilà les considérations que je ressasse, dans l'ensemble je suppose que le temps aide toujours à prendre les décisions les plus abouties... Je vous remercie encore pour votre écoute, votre présence et votre réponse. Je vous confirme de nouveau mon autorisation à la publication, cordialement.

*irissia9@hotmail.com


Merci d'accepter la publication et plus encore l'apposition de votre adresse mail qui permettra à d'autres de vous solliciter en tant que "résiliente".
Merci de bien vouloir participer à notre combat.
Je vous encourage effectivement à vous engager dans une association.
Voici des adresses selon votre lieu de résidence :
* http://www.sosfemmes.com/ressources/liens_inceste.htm
J'ajouterai "le monde à travers un regard" et l'association "San Violentine" Lorraine.
D'après Carole DAMIANI, psychologue à l'INAVEM, la réparation se joue sur deux scènes, celle de l'intime et celle du collectif, ce qui impose de prendre en compte, dit-elle, la réalité psychique et la réalité judiciaire, deux positionnements et deux modes de fonctionnement différents, deux logiques différentes, un double cheminement.
Vous avez mené à bien le cheminement de l'élaboration psychique car vous avez eu la capacité d'affronter votre réalité interne mais la scène pénale est redoutable et "le judiciaire n'est pas thérapeutique" écrit C.Damiani mais il peut prétendre à la réparation si celle-ci est comprise comme "un échange qui va permettre à l'individu de retrouver sa place dans une communauté sociale" car la réparation a pour étymologie "parare qui signifie se procurer de nouveau ou en échange et ceci parce que l’événement traumatique a eu des répercussions déstructurantes".
Selon, C.Damiani, voilà ce qu'on peut attendre d'un procès mais certaines victimes risquent de se trouver défaites, si elles recherchent un sens à ce qu'elles ont vécu, une réponse à leur sentiment de culpabilité par une reconnaissance publique de la culpabilité pleine et entière de l'accusé..."
Autrement dit, la reconnaissance des préjudices subis ne suffit pas pour "guérir"et encore moins, quand le procès se termine par un non lieu faute de preuves.
"Réparer n'est pas gommer une blessure qui fera toujours partie de la victime".
Le plus souvent possible, je conseille aux victimes de porter plainte, surtout quand la personne peut retirer quelque chose de positif d'un procès mais les propos de C.Damiani mettent cependant en évidence les limites, parfois, d'une procédure judiciaire.
in "La victime : enjeux au carrefour du juridique et du psychologique" nov 2011
Cordialement,
Chantal POIGNANT


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