J'aimerais qu'il subisse ce qu'il m'a fait
Novembre 2012
Bonjour,
A
vrai dire je ne sais pas comment démarrer ce mail. J'ai 20 ans et
j'ai été abusée sexuellement par mon petit ami quand j'en avais
16. C'était un garçon rencontré à l'anniversaire d'une amie.
J'étais vierge et très vite, nous avons commencé à nous prodiguer
des caresses, rien de méchant. Une exploration du désir mutuel.
Evidemment, ça a fini par dégénéré. Un jour, nous étions dans
ma chambre, au mois de juin. La violence a commencé là. Nous
n'avions pas pu coucher ensemble car nous n'avions pas de
préservatif. Alors, nous avons poursuivi nos caresses. Et, je lui ai
demandé de partir. Je ne voulais plus. Pourtant il continuait à
m'embrasser. Je me souviens lui avoir donné un livre, car il
n'aimait pas lire. Je voulais qu'il lise. Puis je lui ai donné ce
que je pensais être un dernier baiser avant qu'il ne parte. Il a
balancé l'ouvrage à travers à la pièce, et a ri. Je me suis
faussement vexée, mise en colère. Puis, je l'ai de nouveau embrassé
pour qu'il parte. Il a commencé à me toucher. J'ai dit "non".
Il s'est stoppé cette fois-ci. J'ai commencé à le caresser, mais
sentant une gêne, j'ai arrêté. J'ai dit que je ne voulais plus. Il
a saisi ma main, l'a serrée avec force. Pour que je continue. Ce que
j'ai fait. Sur le moment, je ne comprenais pas. Je me disais
"pourquoi il m'oblige, j'ai dit non". J'étais perturbée.
Désorientée.
Une
autre fois, sur une colline, il s'est amusée à mimer la pénétration
devant une petite fille. Il a trouvé cela drôle.
Dans
sa tête, c'était un gamin. Il m'envoyait des messages pour me dire
qu'il m'aimait, mais je savais au fond, qu'il ne m'aimait pas. Moi,
je ne l'aimais pas. Il m'avait offert un bijou de valeur pour mon
anniversaire (qui est en mars mais que j'avais fêté en juin). Mes
amies le voyait comme un bon copain, même s'il avait essayé de
sortir avec deux d'entre elles.
J'écris
les choses comme elle me viennent, désolée, si c'est incohérent.
J'essaye d'être le plus précise possible pour rendre compte de la
situation.
Ensuite,
il y a eu cette nuit après le bac de français. Mon meilleur ami
venait de mettre fin à ses jours et vivait chez moi. Il est donc
venu à cette fête organisée par ma meilleure amie de l'époque. Au
programme : alcool, drogue. Défonce. Je l'admets, je n'étais pas
avec les bonnes personnes, au bon moment. J'ai bu un peu mais ne
supportant pas l'alcool, il m'est vite monté en tête, et même si
je n'ai pas fumé de cannabis, le sentir a suffi à me plonger dans
un état de, pas de défonce, comment dire, de béatitude. La soirée
était calme, et sympa. Est venue l'heure du coucher. Nous avons tous
dormi dans la même pièce. Tous. Nous étions 6.
Et
il a commencé à me toucher. J'ai dit non. Il a continué, j'ai
éprouvé du plaisir. Mais je ne voulais pas. J'ai serré sa main,
jusqu'à le griffer, jusqu'au sang. Il s'est arrêté, quand, guidant
ma main, il l'a faite parvenir sur son organe. Je lui ai donné ce
plaisir, puis plus rien. Dans son esprit, il n'y avait pas de
partage. Mon plaisir était subordonné au sien : la preuve étant
qu'une fois satisfait, mon plaisir s'éteignait avec le sien. Dans
son esprit, du moins.
Mais
le lendemain, je ne me souvenais pas avoir dit "non". Je
crois que je ne voulais pas me souvenir. Je me suis réveillée le
lendemain, je me sentais mal, j'étais nerveuse et agressive.
Le
copain de mon amie, l'organisatrice chez qui nous avions dormi, m'a
fait remarquer qu'il nous avait vus, tous les deux. J'ai eu honte.
J'ai senti dans son ton un peu de perversité. Je n'ai pas apprécié.
Il a peut-être pris son pied. Je ne sais pas.
L'été
est passé, et j'ai retrouvé mon amour de jeunesse (enfin, jeunesse
à 16 ans, tout est relatif), avec qui j'ai eu ma première fois.
C'était le frère jumeau de mon meilleur ami, et d'ailleurs, il ne
se ressemblait absolument pas. Tout s'est très bien passé. Il a été
par la suite au courant de toute l'histoire, il m'a laissée me
débrouiller.
Pendant
le reste de l'été, j'ai rêvé que Guilhem, (je dis "il",
mais il s'appelle ainsi) me violait. A la fin de l'été, j'ai pris
la décision de le quitter. Je lui ai rendu le collier qu'il m'avait
offert.
Un
jour de septembre, en parlant l'amie qui était présente le jour de
la fête, pas l'organisatrice, l'autre, m'a rappelé que j'avais dit
"non". J'ai eu un flash, et je me suis souvenue à cet
instant précis que durant cette nuit-là, j'avais dit non plusieurs
fois, dont une fois, pleinement audible, pour qu'on me vienne en
aide, si jamais...S'en ai suivi des mois de dépression. Mon amie
organisatrice, qui s'était faite violée, m'a dit "ce n'est pas
un viol, c'est un abus". Plus tard, quand j'en ai parlé à
l'infirmière du lycée elle m'a dit "c'est le même ressenti".
Peut-être que c'est moins douloureux qu'un viol, je n'ai pas non
plus vécue séquestrée dans un cave violée par mon père tous les
jours, mais je pense qu'importe la forme que revêt la violence, elle
est grave, et insupportable.
Je
l'ai dit à certains de mes profs. La seule réponse que j'ai eu
c'est "va voir un psy, on ne peut rien pour toi". On
laissait les filles qui venaient de rompre avec leur copain ne pas
faire leur devoir, et moi, non. Je me désintéressais complètement
des cours, de la vie tout court. J'étais dans une phase de
dépression terrible : j'avais du mal à me toucher, à me laver, à
me brosser les cheveux. Je me lavais les dents 8 fois par jours. Je
me suis mise à fumer, et à aller dans des soirées où je buvais
jusqu'à ne plus tenir debout. De plus en plus régulièrement.
J'avais un sentiment d'inexistence.
En
plus, j'en voulais à mes parents. Deux ans plutôt, ma soeur avait
été retrouvée dans un parking, bourrée. Un "pote" avait
essayé d'abuser d'elle. Mais il n'avait pas réussi. Mes parents ont
porté plainte, ils ont mené la procédure juridique jusqu'au bout.
Ce qui est en soi louable. Ils en ont parlé à toute la famille, et
sa sexualité a ainsi été exposée. Impudiquement. Aujourd'hui, je
comprends le choc. Je comprends, ils ont essayé de la soutenir,
maladroitement, mais ils l'ont fait.
A
seize ans, je voyais cela comme un double viol. ça n'allait pas du
tout entre nous, surtout avec ma mère. Quand je refusais de faire
quelque chose, ils avaient souvent recours à la violence. Je me
souviens plusieurs fois d'avoir dit "arrête papa de me serrer
comme ça, tu me fais mal". Des nuits sans sommeil. Je n'étais
pas une ado facile, et ils n'étaient pas des parents exemplaires. On
en a jamais vraiment discuté, mais je sais qu'ils regrettent. Et moi
aussi. Aujourd'hui nous avons de très bonnes relations.
Je
ne leur ai donc pas parlé. Je leur ai caché toutes les soirées
auxquelles j'ai été. Tout le monde dans mon entourage se défonçait;
c'était monnaie courante.
Et
puis, je me suis mise à fumer de plus en plus, à boire de plus en
plus. Boire, en plein après-midi, après le bac, en soirée posée,
puis tous les jours. J'ai obtenu mon bac avec mention, comment, j'en
sais rien. J'ai cumulé 300 heures d'absence cette année-là. Et
l'été est passé, je suis partie avec une amie en Auvergne, ça m'a
apaisé. J'ai beaucoup dessiné, j'ai beaucoup écrit. Je sortais
avec un gars qui traînait avec mon groupe d'amies. Je l'ai quitté
au retour des vacances. J'étais au plus mal. Ma soeur sortait avec
une loque, et fumait et buvais aussi beaucoup.
J'ai
couché avec pas mal de garçons aussi. Dont un avec qui je suis
sortie. Une nuit, il m'a prise, car il avait envie. Je me suis
laissée faire, en me disant, tout au fond de moi "alors je ne
sers donc qu'à ça?"
Un
m'a même donné espoir en l'amour. Même si paradoxalement, c'était
un salop et un gros con.
Voilà,
à l'été 2009, j'étais au point culminant de ma dépression.
J'étais de surcroît fumeuse, alcoolique, et dépendante au sexe.
Puis j'ai fait une semaine de stage BAFA, le stage théorique. ça
m'a sauvée, en quelques sortes. Je n'ai pas bu, très peu fumé. Je
me suis sentie en confiance, et bien dans ma peau. Pour la première
fois. J'avais des troubles de poids à cause de la dépression ; je
pesais 46 kilos tout juste, même pour 1m58, ça fait peu. Je n'étais
pas anorexique, mais je ne sais pas, je n'aimais plus manger. Je
mangeai peu.
A
la rentrée, j'ai repris un peu de poids, j'ai fait une double
licence qui s'est mal passée. J'ai rompu avec ce groupe d'amies qui
m'empoisonnait la vie, en réalité. J'ai cherché l'amitié
ailleurs. Je crois que j'ai pris cette décision pour plusieurs
raison : la dépendance affective qu'il y avait entre nous et qui
nous empêchait de nous construire, le fait aussi qu'elle ait gardé
contact avec Guihlem, le fait qu'elle n'est pas voulu témoigner de
ce que j'avais vécu à la police, et pour des histoires d'ado
banales et évitables. Alors que mes amies ont prétendu ne se
souvenir de rien, ou du moins, mal s'en souvenir, mon meilleur ami
s'est rappelé de tout, avec une précision une exactitude qui m'ont
troublée. Quand j'avais parlé à mes amies de porter plainte, leur
version des faits a été déformée, oubliée. Et par lâcheté,
elles n'ont pas accepté. Parce oui, j'ai essayé de porter plainte.
La seule chose que ces abrutis de policiers m'ai dite fut "mais
mademoiselle, on dirait que vous en voulez à votre ex-petit ami.
Vous êtes sûre que vous n'inventez pas toute cette
histoire?"...J'ai voulu porter plainte en 2010 pour une histoire
qui s'était passé en 2008. Je leur avais pourtant précisé que je
n'avais plus aucun contact avec lui. Rien à faire. J'ai pas osé
porter plainte. C'était du parole contre parole, sans témoin, avec
des flics réticents, quelle chance j'avais de gagner?
De
toutes façons, personne ne veut me croire quand j'affirme que les
policiers ne sont pas formés à recevoir ces cas pour la plupart.
Pourtant, c'est une réalité.
Aujourd'hui,
quatre ans plus tard, je me reconstruite, comme j'ai pu. J'essaye
d'avancer. Je préfère porter des vêtements sombres, pour
m'effacer. Je me sens mieux, effacée. Malheureusement, mon boulot
m'oblige à être sur le "devant de la scène" : je suis
chroniqueuse. Au début, je ne devais pas faire d'interviews, mais à
présent, elles sont publiées sur le site internet. Quelque part,
j'ai de la chance.
Etre
devant, ça m'oblige à me mettre en valeur : me maquiller, me
coiffer, bien m'habiller. Je n'ai pas l'habitude. Les personnes
extérieures interprètent mon choix vestimentaire comme une volonté
de donner plus d'importance à mon intellect. Mais si j'osais, si
j'apprenais à aimer mon corps, je m'habillerai autrement. Je me suis
réapproprié mon corps, mais je ne l'aime toujours pas. Je ne sais
pas comment faire.
Je
vous écrit car je suis en couple depuis presque trois ans, avec un
homme gentil et adorable. Pas un pervers, quelqu'un qui m'aime, et
qui prend soin de moi. Nous habitons ensemble. Mais quelques fois, je
déprime beaucoup, comme aujourd'hui. Je suis alors dans l'incapacité
de travailler, de faire quoi que ce soit. En réalité, j'ai beaucoup
de mal à donner un sens à ma vie. J'essaye, car c'est très
important pour moi. Depuis trois ans, j'ai commencé à reprendre
goût à la vie, mais ce n'est pas facile, ni évident tous les
jours. Vraiment pas.
Sexuellement,
je suis toujours dépendante. Je recherche un plaisir différent. Je
recherche l'érotisme, la sensualité, tout ce que je n'ai pas eu
pendant toutes ces années de silence. Je me suis inscrite sur un
forum qui parle d'érotisme, et je publie des poèmes. C'est
important, car j'envisage la sexualité sous un autre angle. Avec mon
compagnon actuel, j'ai appris à faire l'amour.
Malgré
tout, j'aimerai qu'il subisse ce qu'il m'a fait. Qu'il comprenne. Je
suis en colère, et en même temps effrayée. J'ai peur de me faire à
nouveau abusée par quelqu'un d'autre.
Je
n'ai jamais osé aller voir un psy, car ma meilleure amie de
l'époque, qui a été violée, en a vu un. Je n'aimais pas la façon
dont elle me présentait les choses qu'il lui avait dites, ça me
choquait plus que ça me réconfortais. J'avais peur.
Voilà
toute ma longue histoire. Je ne sais pas si pourrez m'aider, mais
aujourd'hui, je me sens prête à me faire aider.
Cordialement,
T.
Bonjour, Vous
avez vous-même trouvé un moyen pour commencer à mettre un terme à
votre dérive existentielle : en écrivant et en publiant des
poèmes. Ainsi, vous stoppez les passages à l'acte qui ont été
plus ou moins le fil de votre vie désorientée car finalement, le
passage à l'acte, c'est à dire les différentes conduites liées à
la boisson, la drogue, la sexualité impulsive et désordonnée, est
destiné à atteindre l'autre sans avoir à dévoiler quoi que ce
soit ni à se dévoiler à soi-même les pensées profondes qu'on
peut avoir. Le passage à l'acte court-circuite nos
représentations en sur investissant notre corps et nous évite de
nous affronter nous-même. Il traduit aussi le débordement de
l'angoisse... C'est un signe de désarroi intime mais dans la
fuite. En écrivant vos chroniques, vous acceptez un temps, de
retenir votre image même si celle-ci est sans doute édulcorée
puisqu'il s'agit d'érotisme. Cependant, c'est un premier pas vers
la déprise de votre angoisse et paradoxalement vers votre
indépendance. Vous avez peur d'entreprendre une thérapie, peur
du psy, dites vous, mais non, c'est la crainte de ce que vous allez
trouver en vous-même qui vous retient. J'aimerais pouvoir publier
votre témoignage ; me le permettez vous? Avec cette adresse ou une
autre? Je reste à votre disposition.
Cordialement
Chantal POIGNANT
Agent de conseil
Bonjour,
Je
tiens juste à préciser que j'écris des chroniques sur un site
internet, et que je publie les poèmes sur un autre.
J'ai
en effet peur d'aller voir un psy, pour savoir ce qu'il y a au fond
de moi, et aussi parce que j'ai peur de l'incompréhension. C'est
idiot, je le sais, mais oui, ça m'angoisse.
Ce
que vous dites sur le passage à l'acte est fort juste. J'ai eu la
volonté d'arrêter de me faire du mal, étant déjà victime, je
n'ai pas à être mon propre bourreau. Je dois avancer.
J'accepte
que le témoignage soit publié, de façon anonyme. J'espère qu'il
pourra aider des filles à croire qu'on peut s'en sortir, qu'il faut
garder espoir, même si c'est dur.
Je
pense que je vous recontacterai si ça ne va pas.
Je
vais essayer de trouver un psy, même si je pense que la solution
vient de moi.
Bien
cordialement,
T.
Bonjour
et merci pour votre autorisation. Nous publierons donc votre
témoignage de façon anonyme. Absente de ce poste vendredi, je
n'ai pu vous répondre mais concernant cette expression "je
pense que la solution vient de moi", je m'empresse de confirmer
qu'effectivement, aucun psy ne pourra soulager une personne si
celle-ci n'y met pas du sien mais que le professionnel peut aider à
trouver des orientations qui faciliteront le rapport à soi-même et
aux autres. Cordialement, Chantal POIGNANT
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