Je souffre encore 25 ans après les faits
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en pied de message Avril 2013
Bonjour
Chantal,
je
suis tombée sur le site sosfemmes en faisant une recherche sur les
délais de prescription pour les crimes sexuels, trouve que le site
est bien fait et aimerais en profiter pour vous demander conseil.
Mon
histoire est assez ancienne mais hélas continue à me faire
souffrir, 25 ans après les faits, et je ne sais pas par où
continuer pour l'enterrer définitivement. Je dis « continuer »
parce que j'ai commencé à m'y attaquer, j'ai entamé un travail
avec une psychanalyste et ça avance, mais j'aimerais faire quelque
chose de plus concret, essayer si c'est possible, d'empêcher
l'agresseur de mon enfance de nuire, le punir, même si a priori il y
a prescription.
Voici
les faits :
Lorsque
j'avais sept ans, en décembre 1986, pendant les vacances de Noël,
nous étions en balade avec mes parents pas très loin de la cité
résidentielle où nous habitions, et j'ai demandé à retourner à
la maison pour faire pipi. Il se trouvait que j'étais à vélo et
suis arrivée vite devant l'immeuble, et un voisin que je connaissais
m'a tenu la porte pour que je puisse entrer tout en poussant le vélo,
mais lorsque j'ai commencé à dire « merci » il m'a fait
« chut ! » et m'a fait signer de me cacher dans
l'entrée. Je précise bien qu'il s'agit d'un homme que je
connaissais, il habitait deux étages en-dessous de nous et ses
enfants étaient à la même école que mes frères et moi, donc j'ai
obéi, même si je ne comprenais pas pourquoi il fallait se cacher.
Une fois qu'on n'entendait plus la concierge et la personne avec qui
elle discutait, il m'a fait monter dans les escaliers, et entre deux
étages, m'a fait baisser mon pantalon et ma petite culotte, a
commencé à me tripoter et à se masturber. Je serais incapable de
dire combien de temps ça a duré, je ne garde dans ma tête qu'une
séquence d'images assez précises, mais je me souviens parfaitement
que le salaud m'a répété qu'il ne fallait en parler à personne,
que ça resterait un secret. Et moi, petite fille qui n'avait pas la
moindre idée de ce qui venait de lui arriver, petite fille
obéissante qui avait confiance en les adultes, j'ai obéi. Je n'ai
rien dit à personne pendant années, alors que j'ai tout de même
compris au fil des années, de lectures de la presse, qu'il
s'agissait d'une agression sexuelle, punissable par la loi. Mais
j'avais trop enfoui les choses pour les sortir si facilement, je
n'osais pas m'imaginer en train de porter plainte...avec le recul je
réalise que j'avais sans doute intériorisé une honte ou une
culpabilité qui m'ont longtemps bloquée, après tout la question
que j'appréhendais c'était « pourquoi n'as tu jamais rien
dit ? ».
Finalement,
à l'âge de 19 ans, donc douze ans après, j'ai fini par en parler,
je l'ai dit à mes parents et à quelques amis proches. Ca n'a pas
été sans douleur, d'autant plus que mes amis n'ont pas tous été
très réceptifs. Mes parents ont fait « mon dieu c'est
horrible ! » et mon père a eu comme première réaction
« je vais aller lui coller mon poing dans la figure »,
mais ne l'a jamais fait, craignant que le type ne porte plainte.
(Ha !). Ma mère en a parlé à une de ses amies dont les filles
étaient dans la même classe que la fille du pédophile, et soit par
elle soit par ma mère, je ne suis plus sûre, tout ça a fini par
arriver aux oreilles de la femme de l'intéressé. Par ailleurs, un
peu plus tard, dans un cadre professionnel, il a eu à contacter mon
père, qui lui a dit, avant de lui raccrocher au nez « je ne
travaillerai jamais avec vous, à cause de ce que vous avez fait à
ma fille, même si ça remonte à quinze ans ». Du coup, lui a
écrit une lettre à mes parents, jurant ses grands dieux que non, ce
dont on l'accusait était horrible et pas possible. Tout ça pour
dire qu'il sait que j'ai fini par parler, et j'ose espérer qu'il a
eu peur qu'on aille porter plainte, que ça l'a empêché de dormir
la nuit.
Mais
maintenant, plus de 20 ans après, à l'âge de 33 ans, ça me
travaille encore, je ne me sens pas libérée, même si j'ai parlé
et brisé le secret. Je précise aussi que j'ai surmonté beaucoup de
mon traumatisme d'enfance (hélas en grande partie toute seule), j'ai
fait de bonnes études, j'ai du travail, j'ai un petit ami, j'ai
connu des hauts et des bas en amour mais pas plus que tout le monde,
là j'ai une vie sexuelle épanouie avec mon amoureux, bref, je
fonctionne normalement, entre guillemets. Pourtant je suis en colère
que lui – cet agresseur - n'ait jamais été inquiété, n'ait
jamais été puni par la loi. Après tout, si ça se trouve, je ne
suis pas la seule victime. Comme je l'ai mentionné plus haut, je
vois une psychologue-psychanalyste, avec qui j'ai beaucoup parlé de
cela depuis plusieurs mois. Sur ses conseils, j'ai écrit une lettre
assez violente pour me défouler (jamais postée, écrite pour moi).
Nous avons aussi évoqué une lettre demandant des excuses, à poster
réellement, mais j'avoue que cela me fait peur, comme si je donnais
prise (même si je vis actuellement à Paris et non plus en banlieue
toulousaine, où habitent encore mes parents tout comme l'agresseur).
Mon copain, à qui j'en ai parlé récemment, m'a demandé si je
voulais qu'on aille lui casser la gueule ou peindre le mot
« pédophile » partout sur sa voiture et la façade de sa
maison, mais je ne sais pas si c'est ce dont j'ai envie.
J'ai
aussi essayé de voir les délais de prescription pour porter
plainte, au moins pour le symbole, mais sur votre site (et aussi en
étudiant les articles de loi en vigueur), je crois comprendre que
pour des faits qui se sont déroulés en 1986, tout est prescrit sur
le plan pénal. C'est bien le cas, n'est-ce pas ? Je crois aussi
comprendre que même une action au civil comprend un délai de
prescription de 20 ans (là encore, écoulé). De toute façon, ce
n'est pas d'aller réclamer des réparations financières qui me fera
me sentir mieux, ce sera le fait de le savoir hors d'état de nuire à
d'autres enfants, voire puni derrière les barreaux, même si c'est
vraiment tard et je n'y crois pas.
Sur
le site du Collectif féministe contre le viol, il est suggéré
aussi d'écrire au procureur de la République pour éventuellement
« prendre des mesures pour protéger des enfants qui seraient
en contact avec lui », ou « le confondre dans le cadre de
plaintes existantes » (à ma connaissance il n'y en a pas). A
votre avis, est-ce que ce serait utile ? A la fois pour protéger
d'autres éventuelles victimes (même si en tant que géologue à la
retraite, ses propres enfants sont majeurs, pas sûre qu'il soit trop
en contact avec des mineurs). Et aussi pour qu'il ait la peur de sa
vie en voyait les flics sonner à sa porte et lui dire qu'il a fait
quelque chose de mal – ça, d'avoir des représentants de la
justice le confronter, même s'il ne peut plus aller en prison
maintenant, je crois que ça me soulagerait plus que de le confronter
directement, moi.
Qu'en
pensez-vous ?
Merci
d'avance.
Andy
*
vivrealetranger@yahoo.fr
Bonjour, Effectivement,
il y a prescription mais je vous invite aussi à écrire par lettre
recommandée avec accusé de réception au procureur de la République
du tribunal de grande instance du département où ont eu les faits,
afin comme on vous l'a déjà suggéré "éventuellement prendre
des mesures pour protéger d'autres enfants" ou le "confondre
dans d'autres plaintes". Même si, ses enfants sont majeurs,
il peut avoir de petits enfants ou en aura peut-être par la suite ;
personne ne peut savoir ce qui se passe dans l'intimité d'une
famille à priori "respectable" et malheureusement, des cas
d'incestes peuvent se vivre sans être détectés jusqu'à ce qu'un
jour, une victime trouve le courage de "dire" grâce à un
facteur déclenchant. Ce n'est peut-être pas le cas de cet homme
mais, on ne sait jamais, d'autant plus que son comportement à votre
égard révèle une perversion de sa personnalité. Il peut passer
de nouveau à l'acte à l'occasion d'une rencontre impromptue avec
n'importe quel enfant. Et puis, c'est vrai que vous aurez ainsi,
par ce signalement, une sensation de ne pas être tout à fait
impuissante face à l'auteur de ces actes indignes que vous avez
subis. Cependant, bien évidemment, ce signalement ne suffira pas
pour vous "réparer" et le travail thérapeutique que vous
avez entrepris vous apportera, associé à ce signalement, le
bénéfice d'une démarche majeure car seul un travail intime avec
soi-même soutenu par un psy vous confortera dans votre réalité
psychique, dans votre identité. Peut-être souhaitez vous que
votre témoignage soit publié dans notre espace échanges?
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Agent de conseil
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