[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @

Message ou FAQ

 

J'ai été frappée et violée pendant des vacances à l'étranger


Juillet 2013

Bonjour,
Merci d'abord pour permettre à votre site d'exister.
Je vous écris pour proposer mon témoignage. Il pourrait peut-être intéresser certaines de vos lectrices qui, comme moi, ont occulté un viol, préférant la recherche de l'oubli à la parole, ne parlons même pas de l'action en justice (qui n'aurait pas été loin dans mon cas)...
Le voici :
J'ai été frappée et violée pendant des vacances à l'étranger lorsque j'avais tout juste 20 ans. Je rentrais d'une fête le soir, d'humeur joyeuse (mais pas alcoolisée). J'ai fait du stop - je sais, pas très malin, mais la pratique était courante à l'époque. J'étais seule, et à l'instant où la voiture a démarré avec son jeune conducteur à côté de moi, j'ai brusquement pris conscience du danger. Trop tard. Je passerai sur les détails sordides qui ont suivi, dont j'ai d'ailleurs oublié une bonne partie. A l'aube, il m'a relâchée en pleine nature. Complètement hébétée, j'ai marché pendant des heures, perdue, me cachant dans les blés à chaque bruit de moteur. J'ai fini par rentrer chez les amis qui m'hébergaient. Je n'ai rien dit. Rien du tout. A personne. Quelqu'un a remarqué que j'étais toute blanche, j'ai ri.
Les vacances se sont terminées, je suis rentrée. J'ai arrêté mes études de lettres. J'ai voyagé, un peu. J'ai fait des petits boulots, beaucoup. Serveuse, par ci, femme de chambre par là. J'ai rencontré un homme gentil et je me suis mariée, et c'est bien la seule chose de bien qui me soit arrivée. Parce que pour le reste...
J'ai 55 ans maintenant. Quand je me retourne sur ma vie (à mon âge, l'exercice est assez courant), je me rends compte que je n'ai rien construit. Je n'ai jamais pu garder un emploi stable. J'ai appris au fil des années que mes ex-copines de lycée étaient devenues cadres, médecins, juges, enseignantes (pas toutes bien sûr, mais enseigner était mon rêve à moi). Je n'ai pas eu d'enfant, je suis très seule à présent, sans aucune vie sociale, plus de famille proche, sans travail, au RSA depuis des années. Comme si je n'avais pas existé du tout. Je ne sais pas pourquoi, je réalise seulement maintenant que ma vie n'est pas ce qu'elle aurait du être. Je réalise seulement maintenant que ma vie aurait pu être belle, féconde et gaie, et qu'elle m'a échappée, et c'est très dur.
J'ai souvent pensé à rencontrer un psychologue, mais tant d'années après ? Pour dire quoi ? Et surtout pourquoi faire au juste, puisque ma vie s'est arrêtée et qu'il est trop tard pour revenir en arrière ? Je préfère me dire que je ferais mieux de penser à autre chose, d'aller faire un tour dehors pendant que le soleil brille, d'écouter de la musique, bref de regarder enfin devant moi.
Quand même, la nuit, je ne dors plus beaucoup. Je pense au temps qui me reste, au vide, et je me sens tellement triste, et la peur monte, c'est insupportable. Le jour, je traîne, sans rien faire, et j'ai honte, alors que tant de gens travaillent dur. Je voudrais bien savoir : le viol pourrait-il être à l'origine de tous mes "états d'âme", ou est-ce que j'essaie simplement de me trouver une excuse facile pour le fiasco de mon existence ? Cela vaudrait-il la peine d'en parler à quelqu'un - 35 ans après, n'est-ce pas inutile au fond ?
Je vous remercie en tout cas de m'avoir lue, et vous souhaite une bonne fin de journée.
Bien cordialement.
Soléna

Bonjour,
Merci pour votre témoignage que nous publierons sans hésiter tant il est riche.
Cependant, permettez moi de m'insurger quand vous écrivez, que vous n'avez rien construit : vous êtes là et vous vous êtes construite sur une énorme faille ; vous auriez pu être anéantie et vous avez survécu et même vécu puisque vous vous êtes mariée.
Je ne sais pas encore quelles opérations psychiques, quels mécanismes de défense vous avez mis en œuvre pour résister mais il est certain que ces mécanismes ont mobilisé beaucoup de votre énergie et cela peut-être au détriment de vos études, de vos réalisations professionnelles parce que justement, vous aviez autre chose à entreprendre : vous défendre contre les conséquences du traumatisme.
Peut-être avez vous fui la représentation de cet évènement tragique, peut-être avez vous employé un mécanisme de "survivance" en repoussant hors de la subjectivité cette terrible expérience mais il est probable que vous n'avez jamais intégré cet événement, parce que l'appréhender était trop angoissant et que vous  ressentiez ce processus comme trop destructeur.
Aujourd'hui, vous osez éprouver le besoin de revenir sur cet évènement parce que la non réalisation de vos désirs professionnels, entre autres, vous laisse un goût amer mais aussi et surtout sans doute, parce que vous avez moins peur de cette angoisse relative au traumatisme.
Vous parvenez enfin à vous poser des questions, à rechercher des "réponses".
Vous parvenez tout doucement à affronter l'épreuve traumatisante dont vous avez cherché à fuir la représentation jusqu'à maintenant.
Vous me semblez prête, je crois, à travailler sur la mémoire traumatique, cette mémoire contre laquelle vous vous êtes construite malgré tout :
*

Mémoire traumatique et victimologie

Site de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, créée en 2009 et présidée par le Dr Muriel SALMONA, spécialiste des psychotraumatismes dus aux violences. Mémoire Traumatique et Victimologie est une association de formation, d'information et de recherche sur les conséquences psychotraumatiques des violences. Elle a pour but d'améliorer l'identification, la protection et la prise en charge des victimes de violences par une meilleure information du public et par la formation des professionnels impliqués, d'améliorer leur orientation et leur accès à des soins spécialisés de qualité, et aussi d'améliorer la connaissance et compréhension des conséquences des violences, dans l'optique de lutter contre toutes les violences et d'améliorer leur prévention.
http://memoiretraumatique.org

Lisez et faites taire vos regrets, votre honte : vous n'avez pas fini de devenir vraiment "vous".
Je reste à votre disposition.
Cordialement,
Chantal POIGNANT
Agent de conseil

[page d'accueil] [retour messages, FAQ et réponses] | @