Neuf ans de silence
Juillet 2014
Bonjour, Il
est très difficile de vous écrire, mais je crois qu'il est temps
pour moi de franchir le cap… J'ai 22 ans dans quelques jours, et je
crois que plus les années avances, plus ma souffrance est
grandissante, et moins je peux garder le silence. Car cela fait bientôt 9 ans que je garde le silence de ma première expérience
sexuelle, Elle était loin d'être romantique, mais plutôt préparée
et perverse. Il a forcé mon intimité, ma pudeur, mon âme, sans
l'avoir autorisé. Nous étions mineur tout les deux, et je sais
qu'il n'y a aucune chance de le retrouver. Je vous écris cela
simplement pour que vous puissiez comprendre la suite de ma vie.
Après cela, je suis passé par une phase difficile, je suis entrée
dans une profonde mélancolie : je me suis droguée, j'ai enchainé
mes conquêtes, je couchais avec n'importe qui, n'importe où. Il y a
deux ans j'ai rencontré un homme qui m'a sauvé la vie, j'ai cru que
je l'aimais et je savais qu'il m'aimait aussi, mais je crois qu'il
est allé un peu loin dans nos relations sexuelles. Nous devions
faire l'amour chaque jour car il disait que les couples de notre âge
le faisait aussi, je devais faire beaucoup de chose que je détestais
faire mais il disait que c'était normal, que les autres couples
aussi le faisait. Je n'ai jamais rien dit, mais je n'ai jamais
consentit, il m'arrivait souvent de pleurer après chaque chose qu'il
me faisait et à la fin son sexe ne pouvais plus rentrer à
l'intérieur de moi, j'ai préféré le quitter mais cette fois ci la
séparation à été extrêmement douloureuse pour moi. Je vous écrit
aujourd'hui car il y a beaucoup de questions qui surviennent depuis
cette séparation. Je n'ai jamais connu de relation saine, et je ne
sais encore moins ce qu'est de bonne relation sexuelle. Je pensais
seulement que si j'étais en couple tous ce qui se passerait entre
nous ne pouvais être que sain. Mais je crois que je me trompe, car
j'ai autant de culpabilité et de honte dans cette relation que dans
la première. Je me sens sale, et j'ai beaucoup de colère contre
lui. J'ai toujours eu un profond dégout pour les hommes, et je vis
de ma vengeance chaque jour. Mais est ce que ce qu'il m'a fait rentre
dans de la violence conjugale? Où est ce que c'est tout simplement
moi qui a une mauvaise perception des faits à cause de mon vécu ? Adriane
Bonjour, Vous avez apparemment beaucoup de mal à vous affirmer
et notamment à affirmer ce que vous ne désirez pas, ce que vous ne
voulez pas et vous cédez donc aux demandes de votre partenaire sans
consentir (au fond de vous) mais sans exprimer un "non"ferme
et définitif. Qu'est-ce qui vous empêche de formuler clairement
votre refus? Peut-être est-ce parce que vous ne savez pas
vraiment quel est et où se trouve votre réel désir ? Sans doute,
parce que vous doutez de vous, de votre identité que vous n'avez pas
trouvée ou qui est probablement en voie de construction... Une
relation saine, une "bonne relation sexuelle", c'est quand
vous écoutez votre corps, votre envie et que vous partagez sans
contrainte ce moment de rapprochement qui devrait être un moment de
plaisir, de réconciliation, de partage ou même seulement un jeu
auquel s'adonnent des adultes consentants. Si vous éprouvez
tristesse, colère, honte, écoutez votre corps et ne laissez
personne "parler" à sa place (en amour, il n'y a pas de
règle, il n'y a que la volonté d'un désir partagé). Parfois,
il est possible que l'un ou l'autre des partenaires n'éprouve pas le
besoin ou le désir de faire l'amour pour plusieurs "raisons";
à partir de ce constat, il est souhaitable d'en rechercher l'origine
(de cet état de fait) surtout si l'autre partenaire souffre de cette
absence de désir et d'essayer de remédier à cette situation
"déséquilibrée", sans toutefois imaginer que la
"perfection" existe mais jamais, au grand jamais, vous ne
devez céder à votre partenaire et vous mettre dans cet état que
vous décrivez. Vous étiez bien jeune quand vous avez été
forcée par ce garçon et il est probable que cette expérience
désastreuse a laissé des séquelles dans votre esprit ce qui se
répercute encore aujourd'hui sur votre corps. Votre dernière
expérience s'est elle-aussi soldée par une désillusion parce que
vous n'avez pas eu la force de préciser, d'affirmer vos désirs et
vos refus. Vous avez eu raison de quitter ce garçon qui n'était
sans doute pas sur la même longueur d'onde que vous. Dorénavant,
prenez le temps de vous trouver, vous, avant de trouver un
partenaire avec lequel partager vos émotions. Essayez justement
de savoir qui vous êtes. Qui êtes vous? Cordialement, Chantal POIGNANT Agent de conseil SOS Femmes Accueil 2, rue Saint-John Perse F - 52100 Saint-Dizier
Bonjour, Suite
à votre e mail, je tenais à vous répondre. J'ai passé beaucoup de
temps à savoir qui je suis justement. Je ne veux pas rentrer dans
les détails, mais j'ai passé quatre ans loin de tous mes proches
pour trouver ma raison de vivre, et enfin, de pouvoir parler. Je peux
dire que je suis une fille qui a réussit dans sa vie
professionnelle, familiale, sociale et je suis brillante dans mes
études. Je suis partie de loin, j'ai voulu tout effacer pour
recommencer. Je suis une filles qui à la rage de vivre, je vis de ma
colère (qui est une énergie très puissante je peux vous l'avouer).
J'ai un sérieux complexe d'infériorité qui fait que je me donne à
fond dans tous ce que j'entreprends pour devenir meilleure que les
autres, et ça paye! Avec les hommes, je crois que j'ai vraiment
envie de rentrer dans la norme, même si je sais que je suis
indubitablement différente des autres. Les hommes sont ma faiblesse
: je les hais autant que je les aime. Je reproduis exactement le même
schéma depuis 9 ans, hormis mon ex compagnon, je domine et eux se
taisent. Mais si je pouvais dire aux hommes ce que je ressens
maintenant, ce serait : s'il vous plait, laissez moi tranquille. Je
me bat contre des moulins, alors qu'ils n'ont même pas demandé le
combat. J'ai un insatiable besoin de vengeance et quand je baisse ma
garde, je fais de mauvaise rencontre. Je sais qui je suis, et la
personne que je vois tout les matins dans le miroir est une fille
heureuse. Mais je sais qu'un jour je ne pourrais plus accepter la vie
que j'ai choisi, j'ai annihilé toute ma tristesse, qui est devenue
colère. Et quelquefois elle revient par vague, à cause d'un parfum,
d'un geste, d'un souvenir. J'ai essayé de raconter ma tristesse, ma
honte, mon histoire à un spécialiste et à ma famille, mais à
chaque fois que je commence, je tombe dans l'aphonie. L'anonymat est
un bon compromis, je me cache derrière mon clavier et personne de
mon entourage sait. Je me sens enfin en sécurité. Cordialement. Adriane
Bonjour, Autrement dit, vous n'êtes pas "vous-même"
puisque vous êtes plus ou moins obligée de "monter la garde"
au risque de "faire de mauvaises rencontres", puisque vous
voyez "dans le miroir une fille heureuse" alors que vous
êtes animée par ailleurs d'une colère voire d'un besoin de
vengeance insatiable", que vous savez "qu'un jour vous ne
pourrez plus accepter la vie que vous avez choisie"et qu'un
sentiment de honte vous paralyse. Or, si la honte s'installe
souvent après une expérience qui a produit un sentiment de
dévalorisation du "Moi"venant déchirer une certaine image
que la personne se faisait d'elle-même et qu'elle ne peut plus
aimer, qu'elle refuse (mésestime de soi), si cette honte devient
indicible au point que dans le miroir la personne se voit heureuse et
dénie sa souffrance, le silence renverra le sujet toujours à
lui-même, ne lui permettra pas de "décoller" de sa honte
et en rendra la résolution impossible. La révolte interne, que
ces expériences malheureuses ont produite en vous, ne pouvant se
décharger vis à vis de "l'agresseur" elle est
intériorisée et transformée en ce carburant que vous nommez colère
et qui vous amène à vouloir dominer "la race" de vos
"agresseurs". Le fait de n'avoir pu réagir
immédiatement accroit l'humiliation de n'avoir pas su vous opposer à
ces hommes, d'avoir laissé dire et laissé faire... La blessure
est d'autant plus vive que c'est ce qu'il y a de plus précieux en
soi qui est touché : notre amour propre. Une fois installée, la
honte devient alors inhibition et le sujet redoute toutes les
situations qui pourraient réveiller sa blessure. Mais la honte
n'est pas inéluctablement un facteur d'impuissance ; elle peut
déclencher la nécessité de "naître à soi-même". Se
libérer de la honte, c'est possible, c'est d'abord pouvoir
"l'externaliser" "en libérant une parole de vérité
qui permette de se réconcilier avec les parties de soi-même
qui ont été altérées". Vous venez de faire le premier
pas. Mais c'est un long processus. J'attends vos
réflexions. Cordialement, Chantal POIGNANT Agent de conseil SOS Femmes Accueil 2, rue Saint-John Perse F - 52100 Saint-Dizier
Bonjour, Vos mots sont justes, et ils me
touchent véritablement. Je pense que la honte est le pire sentiment
humain, car nous sommes incapable de l'exprimer quand vient le
besoin. J'aime ma vie comme elle est maintenant, mais j'ai
l'impression de la brûler, comme du papier entre mes doigts. J'ai
toujours voulu repousser ce moment, mais je pense que je deviens
adulte, et qu'à un moment donné, il faut prendre ses
responsabilités. Grandir m'a toujours fait peur. Les circonstances
ont fait que j'ai mal commencé mon adolescence, je n'ai pas envie de
rater ma vie d'adulte. C'est l'histoire d'une fille qui ne connais
pas les limites de sa raison, j'ai toujours voulu pousser plus loin,
plus haut, oubliant les douleurs, la fatigue. Je suis dans le
paraître, c'est vrai. Mais je suis fière de ce que j'ai construit
grâce à cela. Quand j'étais plus jeune, j'ai du construire un
monde à part, dans mon imaginaire, quand la douleur se faisait
insoutenable. C'est mon univers, ma forteresse, le seul endroit où
personne ne peut y avoir accès. Je pense que j'essaye de transposer
cela dans la réalité. Quand je relis cet email, je me rend
compte à quel point j'ai eu mal. Ce garçon ma complètement
détruite intérieurement, il a ravagé mon âme, comme il a ravagé
mon corps. J'ai failli mourir à cause de lui. Mais le pire des
bourreaux ne serait-ce pas tout simplement nous même ? Ce qu'il y a d'extraordinaire dans la
douleur, c'est que lorsque l'on arrive au plus haut point de
souffrance, elle nous conduit à l'anesthésie. Cordialement Adriane
Bonjour, Quand on a honte, on souffre aussi parce qu'il nous
est impossible de nous fuir pour nous cacher à nous-même. Quand
une douleur devient intolérable, notre "Moi"s'épuise puis
se pétrifie. Par contre, le temps de la souffrance peut prendre
deux directions : l'une pousse à la lutte et à la révolte, l'autre
à la résignation et à la passivité. Vous avez probablement
choisi la première direction puisque vous vous mobilisez toujours
pour aller plus loin, plus haut peut-être. Sans doute pour lutter
et dépasser un certain sentiment d'invalidation que vous avez connu
lors de vos expériences désastreuses. Ne serait-il pas temps de
reconsidérer la situation (et votre image) afin de vous accorder
votre propre "pardon" et soulager votre "être"
profond? En effet, parfois, le"pire des bourreaux, c'est
nous-même!" Souhaiteriez vous être publiée même
anonymement dans notre espace échanges afin de témoigner de votre
expérience? Votre histoire est riche d'enseignement mais je ne
ferai absolument rien sans votre accord. Cordialement, Chantal POIGNANT Agent de conseil SOS Femmes Accueil 2, rue Saint-John Perse F - 52100 Saint-Dizier
Bonjour, Oui, je crois qu'il est temps pour moi
d'en parler, et le premier pas s'est fait lorsque j'ai recherché des
témoignages sur ce site, puis je vous est écrit. La prochaine étape
est de commencer à en parler (oralement), j'ai donc pris rendez vous
chez un spécialiste. Je vous remercie des vifs conseils que vous
avez pu m'accorder, les trois jours ont été une véritable
bousculade intérieur. Je vais essayer de tourner cette page, et
d'ouvrir la porte de mon univers. Si mon témoignage, peut faire avancer
les choses chez certaines personnes, alors oui, je veux bien être
publiée sur le site. Cordialement Adriane
|