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La poupée
brisée Novembre 2002 Si j'ai
accepté la proposition de Maître Nicole Milhaud de porter
témoignage, c'est qu'elle arrivait au bon moment. "Le
viol est un meurtre qui laisse la victime vivante" écrit
Philippe Bessoles dans son ouvrage Le meurtre du féminin,
la clinique du viol. Avant tout,
il est important de savoir que le monde dans lequel vit la "petite
fille", Et pour pénétrer dans ce "monde", il faut tenir compte de son langage trés spécifique, qui inclut en lui toute la cruauté de l'acte. - Sidération,
pétrification. Mes parents ne pouvant partir en vacances, une de leurs amis dit connaître une "famille trés bien" qui pourrait nous accueillir mon petit frére et moi, afin de changer d'air. Nous partîmes pour deux mois. Cette famille
était composée des parents, d'un fils et d'une fille. Première
image : je dors avec mon petit frére, je suis réveillée
en sursaut, la porte et la lumière sont ouvertes brutalement,
je me frotte les yeux et voit le père qui me montre une chose
immonde. Je ne comprends rien, je ne sais pas ce qu'est un sexe d'homme.
Puis je vois le fils derrière lui et qui me sourit bizarrement. Deuxième
image : le fils m'entraîne vers une pièce dans la pénombre,
c'est l'heure de la sieste. Il essaye de m'attirer à lui, il
a une voix très douce, me dit des choses gentilles. Je n'ose
pas bouger, alors il s'énerve un peu, j'ai peur. Alors, je me
laisse faire. Je comprends qu'il y a quelque chose à cacher. Troisième
image : je suis avec le fils sous le porche de la maison, il me coince
contre un mur, m'écrase de tout son poids et cela recommence. Quatrième
image : je suis avec le père et le fils dans une petite cabane
de bois, il fait trés chaud, ils me font boire du vin mélangé
d'eau et de sucre. Ils recommencent. Cinquième
image : je suis avec le pére et le fils dans la chambre rouge
des parents. Dès le début, j'ai dû ressentir quelque chose d'étrange, puisque je me revois encore en train de regarder mon petit frère (1ère image) et de demander de ne pas le réveiller. Il fallait que je le protège. "Sidération,
pétrification. La petite fille se formalise dans la pétrification
statufiante." Mais la petite fille ne comprend rien à tout cela, elle ne sait qu'une chose, c'est qu'elle n'existe plus, elle ne devient que la pure volonté de l'autre. C'est une poupée de porcelaine cassée en mille morceaux, une poupée de chiffon totalement désarticulée. Et pour éviter de mourir, elle se précipite dans le trou noir, elle se rétracte au plus profond d'elle-même, elle ne sent plus, ne voit plus, elle est en elle, mais à la porte de la mort et de la folie. Ne pas s'y engouffrer ! Alors,
elle trouve sa force dans la pétrification de son esprit. "C'est l'impensable rencontre du pur et de l'impur." (P. B.) La violence
exercée sur la petite fille la fait basculer brutalement, sans
prévenir, dans un monde perverti, où elle ne comprend
rien, mais absolument rien. Son esprit cherche des repères, mais
n'en trouve plus aucun. Mais une
chose est sûre, c'est qu'elle a pénétré dans
le monde de la folie, celui où tout est permis, ou toute transgression,
même la plus abominable trouve toujours une justification. Ces cinq images m'ont plongées dans l'horreur, mais je ne savais pas encore qu'elles allaient me poursuivre durant de nombreuses années, sous différentes formes. Tenaces, gluantes, collantes, emprisonnantes, mauvais film qui revient sans cesse, toujours au moment où on ne l'attend pas, au coin du bois… Je me rappelle trés peu mes rapports avec le père en dehors de ces scènes. J'ai occulté. Trés peu de souvenirs également avec la fille. Elle me paraît lointaine, peut-être faisaient-ils pareil avec elle ? Mais les rapports qui m'ont le plus marqués, ce furent ceux avec le fils et la mère. Rapports
avec le fils : il passe d'un extrême à l'autre. Quand il
veut "s'amuser" avec moi, il est d'une trés grande
gentillesse, me parle doucement, me donne l'impression d'être
dans un "conte de fée", et puis tout à coup,
il se montre horrible. Je ne comprends plus rien. Je me sens responsable de sa mauvaise humeur, alors je fais tout pour être gentille. Perdue,
double langage, vous êtes enfermés, quelque soit la route
que vous prenez, ce ne sera jamais la bonne avec ces gens-là. "L'enfant violé semble habiter un temps morcelé." (P. B.) Dans ce rapport, la petite fille est coupée en deux, le travail de désintégration est en marche, elle rencontre le pur/l'impur, permis/interdit, douceur/cruauté. Mais une fois cassée en deux, elle est plus vulnérable et peut se casser en mille morceaux. Il faut balayer jusqu'à la plus petite parcelle de poussières. Rapports
avec la mère : ils furent des plus sadiques. En la voyant rentrer
dans la chambre, je me suis crue enfin sauvée, mais désespoir,
au lieu de me prendre dans ses bras comme toutes les mamans, pour me
consoler, pour me protéger, elle me hurle dessus des mots que
je ne connais pas, mais son visage haineux me fera comprendre que je
suis fautive de quelque chose. Mais de quoi ? La petite
fille comprend qu'elle ne fait plus partie des humains, elle est persuadée
d'avoir commis la faute, la souillure lui couvre le corps. Elle est
rejetée, marginalisée, objet du désir aveugle de
ces pervers, elle est repoussée au-delà de ses limites. Un jour,
mes parents et mon grand-père sont venus nous rendre visite. Je suis
rassurée, enfin elle est gentille avec moi ! Et là,
le peu qui me restait dans la tête s'écroula : comment
pouvaient-ils nous laisser là ? Ces gens m'avaient apposé à jamais le signe de leur déshumanisation, ils m'ont marqué au fer rouge. "Le
viol est l'hérésie du sexuel. Il défroque, en le
profanant l'espace du sacré féminin. Il souille la virginité,
toutes les virginités, et pas seulement celle de la Vierge. E,
désaccordant les portées de l'harmonie humanitaire, il
barbouille les accords du sexuel pour jouir de sa cacophonie. La clé
de sa partition (perdition) déshumanise et désinstitue.
L'interprétation qui suit fait œuvre de saccage." Et voilà
ce que furent ces "gens trés bien", et le bon air. Dans ce traumatisme, tous les ingrédients étaient réunis, en même temps, au même moment. De là, l'explosion totale de ma personnalité. Ils m'ont déviée de ma route et entraînée sur des chemins de traverse où je me suis totalement perdue. Le double
langage est le plus fort, de par sa dualité, il est déjà
soupçonné de perversité. Il ne donne pas de réponse,
bien au contraire, il enferme, emprisonne. Trahison
de l'image parentale de substitution, double trahison encore avec le
départ de mes parents. Trahison plus abandon. Beaucoup en même
temps pour la petite fille qui ne peut plus s'arrêter de pleurer,
tellement elle est perdue. "Le viol profane. Il est sacrilège. Comme l'indique l'étymologie du mot sacrilège (Larousse, 1990), il est "voleur d'objet sacré" et tels les marchands hors du temple (profane signifie "hors du temple"), il en détourne la valeur sacrée. Son hérésie est dans son imposture du sexuel puisque le viol n'est ni une déviance sexuelle, ni sexualité pathologique : il est a-sexuel. Tandis que le sexuel est humanisant. Il sépare le sacré et le profane comme le permis et l'interdit." (P. B.) Violence, coups, mots blessants, haine, abjection, peur, cruauté. Comment
vivre après tout cela ? A huit
ans, je vais à l'Eglise pour me confesser, j'étais en
pleine crise mystique. Le prêtre m'emmène dans la sacristie
pour la confession. Je ne comprends pas. D'habitude, c'est dans le confessional.
Mais pour moi, la sacristie, peu de gens y entrent, c'est un lieu encore
plus sacré/secret et je suis fière d'y aller. "L'empreinte indélébile odorante envahit l'espace tant il est vrai que l'odeur de transpiration, comme l'haleine du violeur colle à la peau !" (P. B.) Mes pêchés ? avoir mangé trop de chocolat. Puis c'est ma fuite de l'Eglise et la conviction suprême que Dieu n'existait plus pour moi et perte de confiance totale dans les prêtres. Cette fois-çi encore, je n'ai rien dit à mes parents, puisqu'ils n'avaient pas vu la première fois. Et puis cela devait être sûrement moi qui avait dû provoquer ! Peur, honte ! Alors,je suis restée de nombreuses années à garder mon secret. Je reçus
une éducation en complet déclage. J'étais marquée du sceau du diable ! "La
femme violée a vu le diable. Elle est contaminée."
(P. B.) Violences
nombreuses : A 15 ans,
l'enfer recommença, bien sûr sans que je m'y attende. Réaction
saine : se défendre. Moi, j'étais
totalement sidérée, la scène initiale venait de
se rejouer et j'en étais encore l'enjeu. Je n'ai toujours pas
compris sur le moment. Et les
deux autres ont suivi ! J'appris
des années plus tard, pourquoi je n'avais rien pu dire à
mes parents dès la première fois, en plus de ce sentiment
de culpabilité. Le "non-dit"
avait bien fonctionné, mais il ressortait chez moi trés
violemment - sexe, alcool. Non seulement, si j'avais parlé à
l'époque, la douleur aurait été trop forte pour
eux, en un sens je les ai protégés. Il est
intéressant de voir aussi la répétition dans la
vie d'une personne, mais aussi la répétition du secret
d'une génération à l'autre. Il faut en tenir compte.
Nous étions tenus en esclavage par ce que chacun avait vécu,
et j'étais la gardienne de ce secret. Après
cette dernière agression, je tombais dans la drogue. Je quittais
le foyer familial à 20 ans pour vivre avec un homme qui buvait,
se droguait. Il me méprisait, à l'époque, je peignais,
il alla jusqu'à taillader une de mes toiles. Jalousie. Puis j'ai
vécu avec un malade mental, qui ne se retournait jamais vraiment
contre moi, sa violence se retournait contre lui, tout en me rendant
responsable de son état. Il me faisait du chantage au suicide
en permanence. J'ai rencontré
celui qui devait devenir mon mari et le père de ma fille. Il
me traitait de folle. Quand ma fille atteint ses 5 ans, comme par hasard,
je le quittais. Puis ce fut la descente encore plus bas dans l'enfer. L'alcool m'attendait au bout du chemin ! Pour P.
B. "Si le raz-de-marée du viol met la géographie
corporelle sens dessus-dessous, il le fait aussi pour la géographie
sociale, c'est-à-dire qu'il gomme les repères et les pervertit
laissant derrière lui un désordre cataclysmique parfois
impressionnant." Et quoi
de plus destructurant que l'alcool ? Au départ, c'était
des petites fêtes oû je retrouvais brusquement une certaine
magie. Ce "chemin
d'erre", je l'ai parcouru dans tous les bars de mon quartier. Et
après les rires, les cœurs chavirants de faux bonheur, les promesses
que l'on ne tiendra pas… Parfois,
cela se terminait trés bien. "Là, où l'esthétique donnerait à voir le balcon du beau, le viol pousse la femme contre la rambarde - le garde-fou - dit-on et la menace de la jeter dans le vide. Ce vide est synonyme de néant. En ratant son esthétisation, il le condamne à une simple béance." (P. B.) Et puis,
tout à coup, à nouveau le "trou noir" ! Décomposition
psychique et physique. L'inverse
de la scène initiale ! Encore
une fois je me demandais ce que j'avais pu bien faire durant ces longues
heures d'errance. Qu'avais-je dit ? qu'avais-je fait ? encore responsable
? "Plus
qu'un garde-fou, le viol se fait garde-chiourme de la folie, mais tels
ces sinistres kapos des camps de la mort, le violeur sait l'horreur
pour laquelle il travaille. Il en est moins excusable." "La
géographie corporelle étant sans dessus-dessous",
je ne voulais jamais rentrer chez moi, je n'avais plus de maison, plus
de corps, ni d'esprit. J'étais
toujours sur le fil du rasoir ! Par contre,
j'avais un jeu machiavélique, j'arrivais à les attirer
dans ma toile d'araignée, pensant qu'ils pourraient m'aider à
la démêler. Mais aucun n'en était capable, alors
je me vengeais et lorsque je sentais qu'ils étaient vraiment
amoureux, brusquement je les quittais. Vengeance vaine, puisque tout
le monde en souffrait, moi la première. Je n'en regrette aucun ! Triste constat ! Quant aux
"hommes biens", ils n'étaient pas pour moi. La marque
de l'infamie ne pouvait que les faire fuir. Du moins, m'en suis-je persuadée. "Le
viol profane le sacré de la femme - et de la mère - et
en dévoile son mystère, il ne cesse de l'interroger." Puis, il
y a six ans, j'ai entrepris une cure de désintoxication. Je ne
savais pas que cela allait être aussi douloureux. "Le
viol n'a qu'un seul objet, l'extermination." (P. B.) "Les troubles du comportement et de la conduite chez le sujet ayant subi des violences sexuelles se nourrissent de répétition traumatique transportée de scène en scène. La compulsion de répétition les gouverne. La patiente semble jouer sur différents plans - scolaires, professionnels, sociaux - le trauma initial et ses butées d'élaboration psychique." (P. B.) Non seulement ma vie d'enfant avait été détruite, ma vie affective douloureuse, mais je retrouvais également des situations similaires à la "scène initiale" dans le travail. Premier
emploi : apprentie mosaïste. J'adorais ce métier ! Cela faisait
deux fois que j'arrêtais de faire ce que j'aimais. Et par deux
fois par des couples pervers. Après l'arrêt de la peinture, je décidais de devenir maquettiste. Ma route dans ce milieu de la presse m'emmena (comme par hasard) vers un homme totalement pervers, mais je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite. Pervers, paranoïque aigü, un vrai malade mental. Et là, je me suis engagée dans huit ans, pour à la sortie me retrouver entre la vie et la mort dans un lit d'hôpital. Il est intéressant de voir qu'il était secondé dans le mensonge par une femme, un monstre de laideur. Toujours spectatrice, donnant des conseils mensongers, allant dans le sens de chacun sans aucune gêne, mais dés que vous aviez le dos tourné, elle vous donnait un coup de poignard. Ils se
détestaient, se faisaient peur mutuellement, mais leur machiavélisme
était complémentaire. Mais c'était un diable ! Jeunesse
trés perturbée, alcool, sexe, torture était le
lot de ce monsieur. Il passait
d'un état à l'autre sans prévenir. Son humeur changeait
pour des détails. Il mélangeait l'affectif. Il y avait
des phases où il vous considérez comme amie, puis c'était
le tour d'un autre. A chacun, il n'arrêtait pas de démolir
les autres, et cela tournait sans arrêt. J'avais
commencé (sans le savoir) à me casser les bras. La direction n'est jamais intervenue ! Cela s'aggrava d'année en année. Et moi, je restais coincée, je ne me sentais plus moi-même, j'ai vécu huit ans toujours sur la défensive, mais en même temps il me fatiguait, je le trouvais trés bête, trés étroit dans sa façon de voir et vivre sa vie. Je le connaissais par cœur. J'étais sous son emprise, je ne pouvais partir. Mais les deux dernières années furent de plus en plus douloureuses. J'ai commencé par avoir de gros problèmes d'angoisse, de peur, de santé, estomac, gastrite sur gastrite, perte de 15 kilos en six mois, migraines en permanence. Et les pleurs, les pleurs, à la maison. Je mourrais
chaque jour un peu plus. Comme par hasard, je me déboîtais
à nouveau l'épaule. Ce que je ne savais pas à l'époque, c'est que jamais je ne retournerai travailler, je pris la décision de quitter ce journal. Mais je ne savais pas non plus, c'est que je vivais une trés grave dépression. Au moment de rechercher du travail, paralysie totale. Encore une fois on m'avait interdit de faire ce que j'aimais. Encore une fois je me retrouvais dans les tenailles d'un couple pervers, statufiée. Puis une nuit, je fis une tentative de suicide. Je n'avais pas compris combien j'étais dépressive, autant dans le désarroi. Mais encore
une ironie de la vie ! Et là, dans ma tête, tout s'est écroulé, tout revenait, l'horreur de ces souvenirs, toutes ces situations douloureuses, dans ma vie de femme. Toujours le viol revient, toujours, il ne vous lâche jamais. Tout s'enchaîne. Puis, le soir même, j'avalais médicaments plus alcool. Mais entre-temps,
au mois de juillet 1997, les souvenirs remontant avec plus de force
ces mois-là, je décidais d'aller au commissariat pour
voir ce que je pouvais faire. Je fus reçue, ironie du sort, par l'Inspecteur Chabert, à qui je dois beaucoup. Il fut trés respectueux, m'écouta attentivement, ne mettant jamais ma parole en doute, prit bonne note et me demanda plus de renseignements. Je me décidais de retourner sur les lieux, en parla à ma mère qui me proposa de m'accompagner. C'était
une chaude journée d'été. Et j'allais tout retrouver
! J'avais
tellement peur, mais tellement heureuse. C'était vrai, rien inventé.
Cela existait bien, ce n'était pas des tours de mon imagination.
Et ce jour-là, je sus que cette démarche n'était
pas inutile. C'était le début de ma guérison. Le lendemain,
je retournais voir l'inspecteur Chabert, et lui donnait les éléments
manquants. Il me dit son respect pour mon courage. Je ne comprenais
pas vraiment pourquoi. Cela me troubla beaucoup, mais j'étais plus tranquille avec moi-même, c'était inscrit et s'il fallait plus tard, peut-être intervenir comme témoin dans un éventuel procès, je serais présente. Symboliquement, c'était encore plus profond et important que je ne l'imaginais. Cela allait me permettre de me reconstruire. De 1997
à 1999, les rapports de travail, ma vie affective, je ne commençais
à ne plus être du tout d'accord avec ce qui se passait.
Je ne vivais par cela par hasard. Ma tentative de suicide était un viol contre moi-même. Et c'est moi qui le faisait, j'avais détourné la scène intiale. Ce fut pour exorciser le mal. Ce voyage
vers la mort, me permit à partir de là, de reconstruire
sur les ruines d'une guerre, ma guerre. Les deux bras cassés, ces deux petits bras sur lesquels Mme L. me donnait des coups. Et bien des années après, j'avais fait exactement ce qu'elle voulait à l'époque. Bras cassés,
alors on arrête de travailler. Plus de mosaïque, plus de
peinture, plus de maquette. Je fis
un séjour de deux mois en maison de santé psychiatrique
où j'étais suivie par un psychiatre qui me convenait et
me comprenait parfaitement. Depuis l'âge de 23 ans, j'ai été suivie par cinq psychiatres. Cette tentative de suicide m'a fait l'effet d'une purification, d'une renaissance. J'avais fait le tour, j'avais réussi à déchaîner les maillons, j'étais tout à fait en mesure de voir et de comprendre ces répétitions inévitables, cet enchaînement logique qui me rendait prisonnière. Je n'ai plus peurs, car je sais que plus personne n'a le droit de me juger mes "errances", j'ai trop souffert et revient de l'enfer. Je n'étais pas moi. Mais il
faut savoir une chose, c'est que malgrè la compréhension,
l'analyse, la découvert, un enfant violé ne pourra que
passer du baume sur ses plaies et qu'à tout moment cette plaie,
cette béance peut se rouvrir. Pour Philippes Bessoles, "le viol est donc un meurtre redoutable, car le seul réussi, mais non accompli. Le viol condamne à mort, énonce sa sentence, et en suspend l'exécution. La victime reste vivante pour n'avoir de cesse que d'être à perpétuité exécutée. En cela le viol ne peut pas être une question de sexualité, mais bien, irréductiblement et fondamentalement une confiscation du temps." Il m'a
fallu 45 ans pour comprendre enfin le drame que fut ce viol, tout ce
que cela a impliqué dans ma vie de femme. Ils ont
volé mon enfance, ma vie de femme, ils m'ont déposé
sans explications, sur une route ravagée par la guerre. Si je pouvais leur dire : "je te rends ta violence, pour en faire ta question. Je ne suis plus ton prétexte. Je te rencontre enfin dans notre rencontre qui n'a pas eu lieu pour que, dans le regard, la parole, le face à face médiatisé, quelque chose ait enfin lieu. Echanger l'abîme d'une barbarie contre la question sans réponse." (P. B.) Pour tous ces enfants, femmes, hommes qui ont ou vont subir cet enfer ! Pour toutes
ces petites filles et ces femmes qui se sont fait violer durant les
Pour ceux ou celles que l'on a pas cru et qui en sont devenus fous ! Et pour ceux et celles qui en sont morts ! Je n'oublierai jamais ! |