Témoignage
d'un enseignant à propos des ados de sa classe
Février
2003
Le
texte qui suit n'était pas initialement
destiné
à paraître ici. C'est un ami enseignant dans un lycée
professionnel de la banlieue de Marseille qui l'a écrit pour
un petit cercle de personnes à qui il adresse des nouvelles régulièrement.
Voilà.
Avant de vous quitter, juste une petite histoire du bahut.
Y a un type qui vient chaque semaine discuter avec mes élèves
de tout et de rien... Dans ma classe. Mais surtout de sexualité,
de filles, de drogue, de sida, tout ça. Et la dernière
fois qu'il est venu, c'était intéressant. (D'habitude
on s'emmerde.)
L'heure débute par un petit film vidéo de 10 minutes.
En gros, une nana va dans une boum, elle fait confiance, tout ça,
et sans s'en rendre compte elle se retrouve shootée puis se fait
baiser (c'est le spot qui appelle cette expression) par ses deux petits
dealers qui la prennent doucement par derrière... Genre message
pour ados, assez bien fait finalement, avec les parents en voix off
sur un répondeur téléphonique... Bon. Message.
Avec la nana un peu désemparée-désabusée
au petit matin, qui s'allume une clope.
Impact sur ma classe. Je vous passe l'avancée de la discussion.
Bilan, donc : tout ça c'est de la faute à la nana bien
sûr, qui sort, qui va dans une boum, en petite tenue, donc elle
l'a bien cherché. Point. Y a pas de problème. Tout le
monde est parfaitement d'accord au point que personne ne voit vraiment
où mon intervenant veut en venir quand il parle de respect, d'accord
entre les partenaires qui n'est pas clair du tout, la dépendance,
l'effet de la drogue et cette nana abusée par deux mecs qui profitent
d'elle et risquent de lui refiler une MST, ou un môme, ou le sida
par dessus le marché. Pas de consentement mutuel, tout ça,
tout ça. Mes élèves pètent les plombs. Pour
eux la nana à tous les torts. Et c'est sans appel. Un viol, c'est
chiant parce qu'y a la tôle au bout, surtout si c'est une mineure,
mais là, non, y a pas de problème. C'est clair. C'est
évident.
Moi, je connais assez bien mes élèves... mais l'intervenant,
lui, ne comprend pas tout, visiblement, et ne sait plus trop comment
se faire comprendre... Et puis surtout quand il parle de ces mecs pas
bien, mes élèves prennent ça pour eux. Les tournantes
et surtout le shit, c'est (plus ou moins, suivant les gamins) leur quotidien...
On a quelques cas pas piqués des vers ! Et ils réagissent
aussi par rapport au grand frère qui est en taule pour ce genre
de trafic. Ils le défendent. Ils se mettent à sa place.
(Pour certains, c'est pour bientôt, aucun doute là-dessus).
Bref. Voyant que la discussion tourne vinaigre et qu'on est dans l'impasse,
je me permets d'intervenir. Je fais du rentre dedans. En clair, je dis
que si je traduisais ce que j'entends de la bouche de mes élèves
depuis plus de 10 ans, je dirais, pour faire court, "qu'il y a
deux catégories de nanas : les salopes et celle qu'on peut marier."
Réaction de mes élèves :
- Voilààààààà ! Monsieur
R. il a compris !
J'ai beau repréciser que je TRADUIS ce que j'entends et que ce
n'est pas ce que je pense, ça n'intéresse pas mes élèves.
Il n'entendent pas ça. Pour eux, moi, je sais, c'est tout. C'est
normal, je suis le prof.
La discussion avance soudain d'un cran. On passe au classique : "on
baise les françaises, et on épouse une fille du bled..."
Etc., etc... C'est comme ça.
Mon intervenant perd un peu les pédales. Surtout quand un élève,
pour bien lui faire comprendre la vie, lui dit :
- Vous, par exemple, votre femme, quand vous l'avez épousée,
elle était bien vierge !
Le type, mi gêné par la question, mi décidé
à poursuivre... :
- Non, je peux vous dire que ma femme avait été avec d'autres
hommes avant moi...
Les élèves se regardent, et plus ou moins en sourdine
:
- Ayaaaaaah...
(Traduisez : putain, le con... C'est quoi ce type... Avec qui on parle,
nous...)
Pour l'anecdote, les élèves ne me posent pas la question
à moi. Total respect !!! Peut-être qu'au fond, inconsciemment,
ils auraient peur que je les déçoive...
La discussion se termine en queue de poisson. Ça ne mène
à rien de discuter avec un type qui épouse une nana que
peut-être elle s'est faite baisée par tous les gars du
quartier, peut-être même du bloc d'à côté.
Avant de finir, l'intervenant revient sur les "françaises"
qui seraient toutes des salopes... Histoire de reprendre un peu les
commandes du cours. Mais les élèves ont vite fait de lui
expliquer qu'en boîte y a forcément que des salopes puisqu'elles
sont en boîte. Imparable. Et que si elles étaient pas vraiment
consentantes, mon frère y m'a expliqué, ouais, c'est trop
d'la bombe, tu verses un peu de poudre dans son verre pendant qu'elle
est aux toilettes, et après, le Coran, la vie de ma mère,
t'en fait c' que t'en veux.
Drrrrring !
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