J'en veux à
ma mère
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en pied de message
Février 2003
Je viens
de regarder [le 10 février 2003] avec beaucoup
d'émotion l'émission diffusée sur France 3,
parlant de l'inceste et de la période de prescription qui a cours
pour le moment.
Mon témoignage est un peu différent de tous ceux que j'ai
entendus dans cette émission et d'autres, que je regarde souvent
avec beaucoup d'attention, essayant de trouver quelqu'un ayant le même
ressenti que moi.
J'ai actuellement
47 ans.
A l'âge de 6 ans, j'étais en classe de CE 2 dans une école
religieuse, ainsi que ma sœur aînée âgée de
7 ans, de ma petite sœur âgée de 5 ans, et de mon plus
jeune frère de 4 ans. Mon frère aîné, âgé
lui de 8 ans, était dans une école de frères, à
l'autre bout de la ville.
Nous allions seuls à l'école, distante de la maison d'environ
150 mètres. Nous passions tous les jours devant le presbytère,
et là, l'un des prêtres m'attendait et me faisait entrer
dans son bureau. Mes deux sœurs et mon petit frère rentraient
donc seuls à la maison, sans que ma mère ne me pose jamais
aucune question sur mes retards.
Ce prêtre ne m'a jamais pénétrée avec son
pénis, uniquement manuellement. Le souvenir que j'en ai ? Douleur,
honte, dégoût car ensuite il m'offrait des dragées
sans même se laver les mains. Pendant tout le temps où
il me tripotait, il transpirait à grosses gouttes, soufflait,
devenait rouge, et je garde de cette époque une répulsion
incontrôlable des gens qui transpirent.
J'ai fini un jour par en parler à ma mère -mon père,
voyageur de commerce, étant rarement présent. Ma mère
m'a interdit de lui en parler, et n'a rien fait d'autre !
J'ai fini l'année scolaire de cette façon : ma mère
n'a même jamais fait l'effort de venir nous chercher à
la sortie de l'école pour que cesse cette horreur. J'ai eu dès
cette époque le sentiment que l'on est seul dans la vie, qu'il
n'y a jamais personne pour nous protéger, même petit, il
faut se défendre seul, et à six ans, dans une famille
catholique intégriste, il est hors de question de mettre en cause
un prêtre ! L'année suivante, nous avons changé
d'école car les sœurs voulaient que ma sœur aînée
redouble sa classe pour avoir confondu le mystère de l'Immaculée
Conception avec le Mystère de la Rédemption !
Ces faits ne se sont donc plus reproduits.
A quarante
ans, lors de mon divorce, j'ai entrepris une thérapie, et le
thérapeute me ramenait toujours à cet épisode,
que j'avais oublié, ou plutôt classé comme de peu
d'importance puisque j'y avais survécu. Je n'y repensais jamais
; je le savais, c'est tout.
J'ai voulu en reparler avec ma mère, qui a d'abord nié
avoir compris à l'époque de quoi je lui parlais. Je lui
ai fait remarquer qu'elle avait très bien compris puisqu'elle
m'avait interdit d'en parler à mon père !
Elle m'a alors répondu que… " il fallait bien le comprendre,
ce pauvre homme ! C'était un grand blessé de guerre !
"
Ma douleur à moi, ce n'est pas ce viol de la petite fille de
six ans, c'est le refus de ma mère, deux fois de suite, à
35 ans d'intervalle, de reconnaître cette douleur et cette demande
d'aide à la seule personne à laquelle une petite fille
peut faire appel. Elle m'avait une nouvelle fois rejetée, j'étais
au mauvais endroit au mauvais moment : pas de chance !
Par la
suite, j'en ai parlé avec mes frères et sœurs : ma sœur
aînée a été victime d'une tentative de viol
par l'un de mes oncles, moine, et mon père ayant entendu ses
cris est intervenu à temps. Elle avait une dizaine d'années.
Ma plus jeune sœur, âgée de 13 ou 14 ans à l'époque,
a été victime d'un inceste, plusieurs fois répété,
de la part de mon frère aîné, qui lui-même,
mis en pension à l'entrée en sixième dans un collège
de jésuites a été violé régulièrement
pendant les deux années de sa présence là-bas.
De plus, pendant un séjour de vacances en Bretagne, ma mère
avait rencontré un prêtre anglican, qui a été
par la suite invité plusieurs fois à la maison, et je
me souviens parfaitement de son comportement : assis dans le salon,
mon frère aîné sur les genoux, il lui glissait la
main dans le pantalon pour le caresser tout en continuant sa conversation
avec ma mère !
Et pour parfaire l'apprentissage de l'Anglais de mon frère, alors
en 6e, ma mère l'a envoyé faire un séjour de 3
semaines en Angleterre chez ce prêtre !
Seul mon plus jeune frère a échappé à tout
cela, et est tombé des nues lorsque nous avons commencé
à oser en parler entre nous. Mon frère aîné
avait alors 45 ans, et n'en avait jamais soufflé mot avant. Il
m'en a parlé lorsque je lui ai raconté ce que moi j'avais
vécu, mais il termine en disant que, pour lui, notre mère
est la meilleure mère que l'on aurait pu souhaiter.
Je suis la seule des quatre concernés à en vouloir à
ma mère, et je n'ai jamais pu par la suite faire confiance à
quiconque, ce qui me pose des problèmes dans ma vie relationnelle
de couple. Je ne sais pas accepter l'aide de quelqu'un, et cherche à
tout assumer seule.
Cet été,
j'amenais les deux plus jeunes de mes cinq enfants à leur père
pour leur mois de vacances avec lui, et le lendemain matin la gendarmerie
m'avertissait que la maison avait entièrement brûlé
durant la nuit, et que seul mon plus jeune fils de 15 ans avait pu s'échapper,
ma fille de 17 ans et son père sont morts dans l'incendie.
Lorsque ma mère m'a proposé de venir de suite m'aider
à supporter le choc, les démarches, l'arrivée de
la famille, l'enquête de gendarmerie, cela a été
pour moi un refus de tout mon être, un rejet total : ce n'était
pas à ce moment-là que j'avais besoin d'elle ! Ma plus
jeune sœur est venue de Bretagne -j'habite en Auvergne-, et nous sommes
tellement proches affectivement qu'elle m'a aidé à surmonter
l'anéantissement que je ressentais à ce moment-là.
Je n'aurais en aucun cas toléré la présence de
ma mère, et elle n'a pas compris.
Je refuse toujours ses tentatives d'affection, et lorsqu'elle essaie
de me dire qu'elle m'aime je ne peux décrire ce sentiment de
rejet qui me saisit toute entière : c'est à elle que j'en
veux, ma souffrance à moi vient de là, et elle ne peut
pas prétendre m'aimer après avoir accepté de me
laisser subir tout cela à 6 ans !
Cet homme,
je n'ai jamais oublié ni son nom ni son visage, mais curieusement
ce n'est pas à lui que j'en veux : pour moi, la responsable c'est
ma mère.
Je suis
maintenant enseignante, et c'est souvent que lors de cas d'inceste ou
de violences sexuelles sur enfant il est révélé
que la mère savait et refusait de "faire un scandale".
Et pour moi, la douleur la plus difficile à effacer, c'est celle
de l'accord tacite de la mère.
gaia.amamus@laposte.net
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