Jusqu'ici, tout
va bien ...
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en pied de message.
Avril 2004
Je vous
écris ce petit message pour vous parler de la relation difficile
que j’ai avec mon ami, un homme jaloux et parfois violent verbalement.
Voilà un an et quelques mois que nous sommes ensemble.
J’ai 28 ans, il en a dix de plus. Grâce à ma ténacité
et malgré son insistance, nous ne vivons pas ensemble… du moins
pas officiellement (il a les clés et passe la majeure partie
de son temps chez moi). Bien qu’il me parle très régulièrement
de faire sa vie avec moi (ce que je vis comme une pression), je n’ai
pas de projets d’enfants, ni de mariage. C’est que j’ai conscience d’être
avec un homme qui me prive et m’a déjà privé d’un
certain nombre de libertés ; aussi je suis bien déterminée
à ne lui laisser aucun moyen de faire régner encore plus
sa loi sur moi. Sans mariage, sans enfant de lui, je m’en sens encore
assez libre de partir. De ce fait, mon témoignage va paraître
bien léger par rapport aux situations dramatiques que j’ai pu
lire sur votre site.
Paul travaillait
dans le même laboratoire que moi, comme contractuel. Il a 38 ans,
et se trouve dans une situation professionnelle très précaire.
Je le voyais souvent dans les couloirs, sans bien comprendre ce qu’il
y faisait, puisqu’il changeait souvent de contrat. Il était mystérieux,
et très beau. Il me plaisait. Il était assez demandeur
de discussions, mais se laissait assez peu approcher dès qu’il
s’agissait de sa vie intime. Une fois, j’ai trouvé l’occasion
de lui laisser mon numéro de portable, et il ne s’en est pas
servi. Si bien qu’on s’est côtoyé durant quatre ans, en
parlant beaucoup dès qu’un prétexte se présentait
(pause café, conférence…), en ressentant mutuellement
un grand plaisir à se parler, mais toujours avec beaucoup de
pudeur et de timidité.
J’ai fini par être très attirée par lui, bien que
ne le connaissant pas tant que ça. Mais je le vivais plutôt
bien : je sentais que je lui plaisais et j’appréciais qu’il ne
me drague pas… Un jour il y a eu un événement au laboratoire,
et il a ressenti le besoin de m’en parler. Il m’a appelée. Rendez-vous
le soir même au café, discussion qui s’enclenche et qui
ne finit pas, il se confie enfin à moi sur des choses personnelles,
me racontant qu’il a été battu par son père étant
petit, puis me dit qu’il a très envie de m’embrasser, ce que
je l’invite à faire puisque je ne
pense qu’à ça depuis 6 mois. Le café ferme à
2h du matin, on finit chez moi au lit, lit dans lequel on est resté
3 jours de suite tellement on était heureux de se découvrir.
Manque de bol, j’avais complètement oublié que j’avais
rendez-vous le soir même avec mon amant, (un homme doux avec lequel
j’avais des relations sexuelles pleines de tendresse) : ne me voyant
pas venir au RV, Bruno, s’inquiétant d’un éventuel accident,
m’a appelée chez moi dans la nuit.
Paul a
compris que je n’étais pas une célibataire complètement
seule : il m’a alors fait part de ses doutes et de sa difficulté
d’entamer une relation avec une femme par peur d’être trahi, et
au bout de trois jours, a décidé de mettre fin à
notre relation à peine née. Moi, j’ai compris qu’il était
très jaloux de nature, et je me suis sentie un peu soulagée
qu’il prenne l’initiative de partir. Vexée, j’ai aussi pensé
« de quel droit un mec qui débarque dans ma vie commence
déjà à me prendre la tête ? » ; j’ai
donc marqué mon indépendance en passant une dernière
nuit avec mon amant. Au bout de quelques jours, je suis revenue à
Paul pour que l’on redonne une chance à notre histoire, lui disant
bien sûr que j’arrêtais avec mon amant. Il a accepté.
Les jours qui ont suivi ont été idylliques. Mais lorsqu’il
a appris un mois après, que j’avais repassé une nuit avec
Bruno durant la courte période pendant laquelle on s’était
séparé, alors il l’a vécu comme une trahison, jugeant
que je l’avais trompé.
Ca a été
le début du cauchemar. Je ne détaillerai pas les vexations.
Ce que je peux dire pour être brève, c’est qu’au bout de
quelques mois de pressions où il m’a constamment rappelé
que je l’avais « trompé », j’avais le sentiment d’être
une salope, une allumeuse.
Quelqu’un m’appelait, Paul décrétait que c’était
pour me draguer, et estimait que c’était ma faute.
Culpabilité.
Sortant d’une longue période de célibat, j’avais encore
dans mon carnet d’adresse pas mal de numéro de copains et copines.
Je les ai rayés les uns après les autres, j’ai demandé
à mes ex de ne plus m’appeler, j’ai effacé les adresse
e-mail, j’ai jeté des lettres qui auraient pu remuer le couteau
de la jalousie dans son cœur sensible. On était en été
et je baissais les yeux quand des mecs me regardaient passer des terrasses
de café. Je me souviens d’un soir plus
traumatisant que les autres, où Paul m’a fait signer une «
décharge » dans laquelle je l’autorisais à coucher
avec une fille tout en m’engageant à ne pas lui en faire le reproche
par la suite. Je l’ai pris pour fou, puis j’ai signé, pensant
que si une nuit pouvait résoudre sa jalousie, elle en valait
bien la peine. Il a jeté le papier, son but était «
juste » de voir si j’accepterais de signer. Ça n’a bien
sûr rien réglé.
Paul me disait qu’il m’aimait, il me l’a même dit au bout des
trois premiers jours (j’aurais du me
méfier…). Mais selon lui, je ne lui laissais pas assez de place,
je ne le mettais pas en confiance. Il m’a donné les clés
de son appartement, alors du coup, je lui ai aussi donné les
miennes, et je lui ai dit de faire comme chez lui. Ce que je n’ai pas
eu besoin de lui répéter…
Autre sujet de dispute : il estimait que je ne l’intégrais pas
assez dans sa vie, que je raisonnais seule. Il a fallu que j’apprenne
à dire « on est allé au cinéma » au
lieu de « je suis allée au cinéma avec Paul ».
Petit à petit, j’ai appris à « lui faire part de
mes projets » pour ne pas qu’il se sente exclu : ce qui en gros
revient à lui demander l’autorisation de faire les choses qui
me tiennent à cœur avec les gens que j’aime.
Je lui tenais tête quand même, en lui expliquant que je
ne souhaitais pas d’une relation fusionnelle, en lui disant que ses
je t’aime me gênaient parce que je sentais qu’ils appelaient une
réponse et que j’y entendais de la peur… On a commencé
à s’engueuler de plus en plus régulièrement, et
avec une violence croissante. Pour lui, la vertu du couple, c’est de
se
parler, et donc nous commencions par parler… Mais ces discussions viraient
rapidement à des tentatives de sa part de me convaincre sur sa
vision du couple, ou de me culpabiliser sur ce que je faisais ou je
ne faisais pas. Je prenais sur moi, puis au bout d’une heure ou deux
à bouillonner de l’intérieur, je finissais par éclater,
par lui dire de se taire et de partir sur le
champ. Les rôles étaient alors inversés, en apparence
du moins, puisque c’était alors moi, la violente, l’hystérique.
Alors il montait le ton, il m’empêchait de partir quand je voulais
fuir, et me « maîtrisait ». Je lui intimais de me
lâcher. Et ces scènes de ménage pouvaient durer
plusieurs heures, et après, je pleurais pendant des jours entiers.
Un jour, toujours chez moi, je l’ai supplié de partir, j’étais
à bout.
Il n’est pas parti. J’ai eu le sentiment de ne plus exister : mon avis
n’avait pas la moindre importance, j’ai baissé les bras, j’ai
senti que je me résignais à rester avec cet homme que
je haïssais (à ce moment-là) en faisant semblant
que tout allait bien. C’est comme ça qu’on perd l’estime de soi…
Il ne m’a jamais tapé. Il a lui-même été
tapé pendant son enfance, et ça lui fait très peur.
Quand je suis hors de moi, il a peur que je le tape. Lorsqu’il y a eu
le décès de Marie Trintignant, on en a parlé, et
on s’est avoué qu’on avait tous les deux très peur que
l’autre nous frappe. Ça m’a rassuré parce que j’ai compris
qu’il ne ferait pas ça sur moi. Cependant il lui est arrivé
de lancer des objets avec violence, de frapper sur le lit où
je m’étais réfugiée. Ça fait peur.
Au premier
semestre de l’année universitaire 2003-2004, le pire de ma vie
entière, j’ai été prise entre ces engueulades sans
fin et un nouveau travail très stressant. Malheureuse, je n’arrivais
pas à travailler. J’avais l’impression d’avoir la tête
sous l’eau et qu’on m’y replongeait dès que je voulais la ressortir.
Il a fallu que je parle de lui à ma famille, que je renvoie à
tous l’image d’un couple parfait. Maintenant chaque fois que ma mère
m’appelle, elle finit la conversation par «Paul va bien ?»,
ce qu’elle ne faisait jamais avec mes copains d’avant. Assez symptomatique,
Paul s’inquiétait aussi régulièrement de ce que
je parle à ma famille et à mes ami(e)s de la violence
de nos disputes.
J’ai donc tout gardé pour moi. Je ne pouvais pas parler alors
je me sentais infiniment seule. J’ai fait le vide autour de moi parce
que mes proches ne pouvaient plus me comprendre. J’ai lu des ouvrages
sur la maltraitance (Cirulnik) pour comprendre le malaise qui pouvait
naître chez les gens qui vivent avec des anciens enfants maltraités.
J’ai commencé à consulté un psychologue qui m’a
aidé à me recentrer sur moi, et à arrêter
de me mettre toujours à sa place pour le soutenir et le plaindre…
Maintenant j’ai un peu plus de temps. J’ai commencé à
parler à mon entourage, pas forcément pour charger Paul,
mais pour leur passer le message que tout n’est pas si rose entre nous.
Beaucoup de mes proches ont été très surpris, j’avais
si bien joué la comédie
qu’ils pensaient que j’étais folle amoureuse et sur mon petit
nuage. La parole a simplifié mes relations avec ces personnes
que j’aime (ma meilleure amie, ma sœur…), à qui j’avais avant
l’impression de mentir.
Je ne sais pas si je vais quitter Paul. Il a plein de qualités.
Mais le défaut principal d’être maladivement jaloux et
de ne pas le reconnaître. Il admet juste : «on a le droit
d’avoir peur ; toi aussi t’as peur, moi peut-être plus que toi,
d’accord…». Il a fait une thérapie il y a trois ans, il
veut bien recommencer, il me propose une thérapie de couple.
Mais je sais que ça prend du temps de changer, en attendant,
je paye toujours les frais de son comportement. Hier par exemple, je
suis allée au cinéma avec lui, et il m’a fait une crise
parce que j’avais une écharpe qu’il n’avait jamais vue… Il m’a
demandé d’où elle venait et j’ai répondu soi-disant
«de façon évasive», j’étais «suspecte».
En fait, il pensait que cette pauvre écharpe que j’ai acheté
moi-même m’avait été offerte par quelqu’un. Ça
a fait un drame dans la rue, j’ai dû m’enfuir et aller à
l’hôtel pour qu’il me laisse TRANQUILLE. J’ai
transcrit les messages qu’il a laissé sur mon répondeur
ce soir-là, pour faire comprendre entre
quels sentiments il navigue : culpabilisation, reproche et excuses,
supplication…
Premier
message sur mon répondeur. 1h29. Il pleure.
«Au cas où tu saurais pas, j’existe, hein ? T’as pas l’air
de t’en souvenir. Tu t’rends pas compte à quel point tu fais
mal. J’ai juste eu peur ! J’ai pas eu l’temps de t’en parler et voilà
où on en est. Est-ce que tout ça peut s’arrêter
?»
Deuxième
message. Je l’ai effacé par mégarde.
Troisième
message. 1h47.
«Lili, s’il te plaît, si tu es là, est-ce que tu
veux bien me rappeler ? C’est infernal, cette situation, c’est infernal,
putain, sortons-en, merde ! Pourquoi tu te barres tout le temps en courant
? … D’accord, je me suis excusé, mais t’en veux pas, de mes excuses
! Pourquoi ça part toujours en vrille, pourquoi ça monte
toujours en mayonnaise pourrie ? Gâchons pas tout, Tu vois bien
qu’on est reparti ; tu vois bien qu’on s’écoute, qu’on se parle,
qu’on se regarde. Tu vois bien que c’est joli… On a le droit d’avoir
peur ; ça arrive d’avoir peur, ça veut pas dire qu’on
se fait pas confiance ! Toi aussi t’as peur, moi peut-être plus
que toi, d’accord ! C’est pas une remise en question de qui tu es !
… Je suis incapable de vivre ces moments-là. Je suis sens dessus
dessous à chaque fois que ça arrive. S’il te plaît,
arrêtons ces moments-là, vivons tout le reste. Arrêtons
tout ça. Appelle-moi. Me laisse pas sur un plan où c’est
chacun sa merde ».
Voilà.
Parfois je ne sais plus bien qu’en penser. Je croyais que jamais cela
ne m’arriverait. Et je me suis laissée prendre.
Ma situation
n’est pas «si pire que ça», cependant ce serait une
erreur que de la minimiser. Parce que si je ne m’écoute pas maintenant,
ça peut me mener aussi loin que ces mères qui témoignent
sur votre site. C’est pour ça que j’ai intitulé mon message
«jusqu’ici, tout va bien»… Comme dans le film La Haine,
c’est ce que pense quelqu’un qui tombe d’un immeuble, pendant le temps
de sa chute. Je pense parfois au jour où il m’a fait sa première
crise jalousie, au bout de trois jours : j’ai pensé que je ne
voulais pas de ce type de relation, et qu’il valait mieux en arrêter
là. Je regrette parfois de ne pas avoir su entendre ces signes
avant-coureurs. Mais si je choisis de rester avec lui, c’est avec l’espoir
qu’il change un jour. Il me semble qu’il fait des efforts d’introspection,
que c’est un peu long, que ça ne me satisfait pas complètement,
mais qu’il fait des efforts.
Mais j’ai une certitude. Si je fais ma vie avec lui, je n’aurai pas
d’enfant. Je ne crois pas qu’on guérit complètement de
la peur d’abandon, et si je peux personnellement m’en accommoder, je
ne ferai pas subir un père psychologiquement instable à
mes enfants.
Merci de
m'avoir lue.
Mon message est un peu long, je ne sais pas si mon histoire mérite
autant de développements. Je souhaite juste témoigner
et recueillir si possible des réactions. Merci de votre réponse.
pourparler28@yahoo.fr
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