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Message ou FAQ

 

Je profite de cet instant de solitude pour me lamenter, enfin, sur mon sort sans subir cette « pseudo » compassion. En réalité, je n’y ai eu le droit que peu souvent, je sais me contenir ! Je passe d’ailleurs beaucoup de temps à cela, c’est sans doute pour cela que lorsque je craque ça va loin.

Aujourd’hui je craque et je veux en finir, non plus comme autrefois, je veux tout simplement que tout s’arrête et commencer enfin à vivre. Vous êtes, je crois, ma dernière chance. Je me sens prête à tout sortir, pour peu que cela me libère enfin. Je veux être capable de traduire mot pour mot ce que je ressens et ce qui défile sans cesse dans ma tête, seul moyen, j’en suis persuadée d’exorciser cette « saloperie ».

Je ne sais en réalité pas par où commencer. Je vais remonter à ce qui vous concerne, c’est en fait la seule excuse dont je sois consciente, celle qui expliquerait le mal qui me ronge depuis ces dix dernières années bien que celle-ci soit l’aboutissement d’un mal qui m’animait bien avant et dont je n’ai aucune idée. Pourquoi faire simple, me direz-vous !? Avant d’en venir au fait, il me faut absolument vous restituer le contexte.

Je venais d’avoir 14 ans. Je n’étais de loin pas une enfant facile, je vivais, je crois ma crise d’adolescence depuis ma naissance. Mon plus lointain souvenir remonte en réalité à l’âge de 7 ans. Nous avions des haies à boules rouges dans le jardin, mon papa les disait empoisonnées. Un matin, j’en ai pris une grosse poignée et je ne sais pour quelle raison, je les ai avalé, je voulais mourir.

Je ne me rappelle que de très peu de choses à cette période, j’étais amoureuse de mon père, ma maman était une sorcière qui détestait les enfants et je crois que je n’aimais pas cette vie là !

Vers la fin de ma treizième année je ne me sentais pas plus en accord avec moi-même. Je commençais à sortir les après-midi, des copains venaient me voir le soir devant la maison, ce qui énervait mon père. C’est à cet instant qu’il a cessait de me considérer comme sa petite fille.

J’ai volé un flacon d’acide dans les produits d’entretien de ma mère, je le promenais avec moi, sans avoir rien décidé. Je buvais beaucoup à cette époque et je ne me souviens pas du nombre de fois où j’ai souhaité ou tenté de mourir. Un mardi matin, le lendemain du week-end de la Pentecôte, j’ai avalé ce flacon mais ça n’a pas été suffisant pour disparaître. Trois jours d’hospitalisation et trente minutes devant un psy et c’était reparti pour reprendre le cours de ma vie. Rien de grave, pas la peine d’en faire un plat, ce n’est qu’une petite crise d’adolescence dirons-nous.

Pour rattraper le coup, je suis partie un mois plus tôt en vacances cette année là, le 14 ou 15 juillet. J’ai eu le droit à des reproches d’une de mes tantes pour avoir causé de la peine à mes parents, que c’était honteux qu’une fille qui a tant de chance que moi fasse de tels choses. Rien n’y faisait, cuites, tentatives … à l’insu de ma famille bien sûr.

Jusqu’à ce mercredi 15 août 1990. Je me suis levée tôt pour me rendre au marché avec un ami qui m’offrit un de ces jolis bracelets tant à la mode durant l’été. 13h30, grand départ, avec cette même personne, pour la plage. Petit détour vers un autre camping ou nous avons rencontré mes amis de l’ivresse, je ne sais combien de verre de wisky-coca j’ai pu ingurgiter ce jour là, le taux était de 2,2 grammes, m’a t’on dit au moment de la reconstitution, bien trop pour une si jeune fille.

Nous sommes donc allés à la plage et voici maintenant les quelques souvenirs qu’il me reste après des années de torture, de réflexions pour comprendre pourquoi, trouver un souvenir susceptible de m’innocenter face à moi-même.

En me rendant au bord de l’eau, je rencontre une jeune fille aux cheveux longs et blonds, je crois, qui me montre un ami à elle, T., 21 ans dit-elle, qui aimerait bien faire ma connaissance. Plus que pompette, je continue ma route en lui disant que cela ne m’intéresse pas. Enfin recouverte d’eau, je sens une main me pousser vers le fond, je coule, je me noie, je cherche à m’agripper, je veux de l’air, je voie mon maillot de bain flotter, je lui dis qu’il ne faut pas faire ça, j’ai mal, il est brun, je n’ai plus pied, je coule encore, je vais mourir !

Je me réveille en cris, hystérique dans une tente. Des tas de gens parlent autour et dehors, je les connais. Mon grand frère C. est là, il parle de le dire à mes parents, je le supplie de ne pas le faire. J. lui dit de me couvrir et que je dormirai chez elle. Mon frère part les voir. Je revois ma mère devant moi, mais ne me souviens plus du contact qu’il y a eu, c’est pourtant important !

Nous sommes allées voir l’infirmière de l’endroit, elle m’a fait des trucs, m’a donné un cachet et nous sommes rentrées. A peine étions-nous dans l’entrée du camping que mon père s’est précipité sur la voiture, il m’a insulté, je crois, je me suis sentie agressé toutefois. La gendarmerie était là, ils m’ont posé des tas de questions puis nous sommes allées, ma mère, moi et l’un d’entre eux sur le continent pour y prendre ma déposition et voir un médecin légiste.

J’ai détesté le médecin et son air blasé, aujourd’hui encore il me terroriserait. Les gendarmes eux, quand j’y pense j’ai l’impression qu’ils se foutaient de moi avec leurs questions, comme si j’avais pu désirer une chose pareille.

Le lendemain, je me réveille et la vie continue. J’aurais aimé être loin, ne plus avoir à voir tout ce monde. J’aurais souhaité être seule un certain temps, ne voir personne. Mais la vie à repris son cour quasi normal, hormis quelques visites à la gendarmerie. J’étais effrayée à l’idée de devoir traverser le camping et rencontrer des dizaines de personnes rien que pour me laver ou aller aux toilettes.

Si vous avez déjà rêvé d’être une petite souris pour entendre ce que l’on pouvait bien avoir à dire sur vous et bien moi, j’y ai eu le droit, quel honneur ! A cet instant, je m’en serais passée volontiers. Non contente de devoir longer les murs la peur au ventre à l’idée que quelqu’un m’approche, il fallait en plus que je supporte les « qu’en dira t’on » de ces messieurs-dames les campeurs

Quoiqu’il en soit, mes parents ne se sont pas retenus non plus. J’attendais un commentaire de leur part et j’y ai eu le droit, dans le genre : "tu nous as gâché les vacances !" Bref, on en parle pas dans ma famille, on change un truc : L’année suivante, je suis allée au même endroit avec une correspondante … mais on ne parle surtout pas. Comme je vous le disais précédemment, ma vie à donc repris son cours normal, les même pulsions, les mêmes vices en pire. Ma vie n’avait plus aucune sorte d’importance.

Au début je ne suis plus sorti, pendant deux années, j’ai gonflé comme une baudruche et voilà. C’est après que tout a changé, j’ai dégonflé et je me suis mise à faire des choses sans aucun sens et sans conscience des risques dans l’espoir de rencontrer quelqu’un capable d’en finir à ma place.

Ma première vraie relation sexuelle, j’avais 18 ans … je l’aimais bien, il était gentil … mais il fallait que je boive pour passer à l’acte … impossible autrement … et mon corps se mit à trembler. Je n’ai pas pu rester avec, je ne pouvais pas…« blocage ». Par la suite, il m’est arrivé de me laissé faire de peur de leurs réactions face au refus, ce qui me conduisait le plus souvent à l’hôpital après une purification du sang (j’ai un poignet en piteux état).

Depuis cette fameuse journée, il m’est arrivé d’accomplir la chose sans être à la limite du coma éthylique, sans même un gramme d’alcool dans le sang qu’avec une seule personne. Cela a duré trois ans, ce qui n’a jamais empêché mon corps de trembler et mon être de vouloir mourir. Depuis notre rupture, soit un an, je régresse, me replie, m’enfonce dans une solitude et une peur de plus en plus présente. A croire que je deviens dingue. Je me force à croire que c’est impossible, que j’hallucine, que je n’ai rien à craindre, mais c’est plus fort que moi, je sais que ça va encore m’arriver et je reste figé au moindre bruit en regardant l’endroit d’où va apparaître mon bourreau. Le souffle coupé, les membres paralysés je reste sans voix quelques instants transpercées par la peur, jusqu’au moment où la raison me revient et que je me rassure à nouveau.

Mes nuits sont de plus en plus difficiles, je me suis installée à proximité de la porte d’entrée, dans le salon. Je n’ai jamais pu dormir dans une autre pièce que celle-ci depuis que je vie seule, dans chacun de mes appartements. La seule idée de devoir me rendre aux toilettes ou de voir quelqu’un dans l’obscurité, le visage à la vitre me terrifie. Et c’est de pire en pire. Je ne peux plus avoir de relation avec personne, l’idée de me retrouver seul à discuter avec un homme, à moins d’être ivre, reste inconcevable. Je les imagine tous capable du pire. Nombreux sont mes cauchemars sur le sujet depuis dix ans et j’en ai assez.

J’essaie depuis peu de regarder des films sur le sujet, de chercher des informations sur le net afin de trouver des réponses, des raisons à mon comportement et des moyens pour y remédier, car je n’en peu plus. Je viens d’avoir 24 ans et je crois qu’il est grand temps que je commence à vivre !

23h06
En réalité j’attends de ne plus être ennuyé par tout cela et je ne sais quoi penser, je me sens vide de tout après avoir fini de traduire mes émotions. Pas de larmes en relisant pour la dernière fois ce résumé de ma vie, suis-je guéri ? Malgré cela, je ne pense pas ! La nuit est tombée, tout est fermé, l’alcool, la musique, la lumière, rien n’y fait, j’ai toujours aussi peur. Peur des grincements, d’éteindre la lumière.

Quand je dis que vous êtes mon seul espoir, je n’exagère pas. Je ne vois vraiment pas comment me faire oublier tout ça. Pour vous ce n’était peut-être rien, en ce qui me concerne, je le considère comme la loi le dit même si je me rends responsable de la chose en ayant bu, mon corps me le rappelle assé souvent !

J’ai déjà consulté 2 médecins, même si je disais et redisais ce que je viens de vous écrire, rien ne changerait ma détresse. Je deviens folle. A vrai dire, je n’ai que 24 ans, il me reste en gros 50 années à vivre et ça peut encore m’arriver, certainement en pire ! Je ne sors plus la nuit, je ne vois personne que je ne connais pas déjà.

Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, j’ai pourtant un caractère tellement fort. J’aimerais pouvoir demander à quelqu’un de venir dormir ici, on me prendrait pour une dingue. A croire que j’ai plus de fierté, c’est peut-être grâce à cela que je reste normal aux yeux des autres.

Cette nuit, je n’ai pas dormi pendant 45 minutes durant lesquelles je suis restée figée, complètement contractée par la peur car j’entendais des bruits dans la cave. Mon reste de lucidité me disait que c’était un des chats, mais je ne pouvais plus bouger, plus un son ne pouvait sortir de ma bouche. J’attendais simplement que quelqu’un ouvre cette satanée porte.

Je pourrais téléphoner à mon frère, mais ce serait admettre que je suis vraiment folle. Ma dernière tentative de suicide officielle m’a coûté deux semaines d’internement et avec mes parents, on n’a pas réellement la même conception des choses, du genre, à la question comment vous sentez-vous, j’entends, de tout votre être, eux, ils estiment que si vous n’avez pas à vous plaindre tout va très bien.

Ce n’est pas par ce que l’on a un bon job, un ami aimant et des gens qui vous entourent que tout va forcément bien, on peut se sentir mal aussi. En ça je suis pour ma famille très bizarre, ils ne le disent pas mais je sens qu’ils me pensent folle. C’est pourquoi je ne peux vraiment leur parler de tout ce que je ressens depuis mon enfance, ils ne comprennent pas. Remarquez, moi non plus ! Bon, il est sans doute temps de vous laissez tranquille, pour peu que vous ayez lu ceci. Merci de m'avoir laissé user de votre temps.

A.

Bonjour, A,

Merci de nous avoir adressé votre long email que j'ai lu avec beaucoup d'attention.

Vous n'êtes en rien coupable ou responsable de ce qui est arrivé sur la plage, ce soir de cuite. Je suis formel.

Réfléchissons : OK, vous êtes en quelque sorte responsable d'avoir trop bu. Et alors ? Le fait de profiter de l'ivresse d'une jeune fille pour abuser d'elle ne change rien au fait qu'un viol est un crime considéré comme tel par la loi pénale. En quoi le fait de profiter de la faiblesse de quelqu'un rendrait un criminel moins criminel ? Bien au contraire, l'acte en est encore plus odieux.

Vous devez commencer par vous ôter cette idée de responsabilité de l'esprit - et, pourtant, ce ne sera pas facile à faire car le sentiment de culpabilité chez la victime est une conséquence quasi automatique des agressions sexuelles, quelles qu'aient les conditions de l'événement. Ce sentiment va parfaitement de pair avec celui de honte, que vous avez ressenti à l'époque, peut-être encore maintenant, et que vous décrivez fort bien.

Dans votre situation, ce sentiment trouve un appui facile dans votre comportement de l'époque (la boisson en excès) mais dites vous bien qu'il s'appuierait tout aussi bien sur n'importe quel autre "prétexte" : le fait d'être jolie, de porter des vêtements courts, de s'être laisser draguée, de ne pas s'être méfier, de ne pas avoir su résister, etc., tous "prétextes" volontiers invoqués par d'autres victimes d'agressions sexuelles.

Donc, non seulement ce sentiment de culpabilité est extrêmement fréquent chez les victimes mais encore, dans votre cas, il a probablement été renforcé par les attitudes de tout le monde :

# celle de vos parents qui vous accusent du coup de gâcher leurs vacances - alors que ce qui vient de vous arriver est tellement plus grave ! Vous n'êtes pas responsable et vos parents sont irresponsables ...

# celle du médecin "blasé" qui ne vous a pas donné l'impression que votre situation méritait plus d'attention que cela. Il aurait bien sûr dû montrer beaucoup plus de compassion ... mais souvent les médecins se réfugient derrière un faux air blasé pour masquer leur embarras à traiter la situation psychologique, et non seulement clinique, qui se présente à eux ...

# celles des gendarmes qui vous ont donné l'impression que vous aviez pu désirer "une chose pareille" comme vous l'écrivez ... Hélas, les gendarmes, comme beaucoup d'autres personnes surtout de sexe masculin (mais pas seulement ...), sont victimes des stéréotypes concernant le viol ... Il aurait bien mieux valu pour vous être reçue et entendue par une femme inspectrice, par exemple.

Vous ne me dites pas si l'auteur a été poursuivi et condamné. C'est pourtant une information importante pour comprendre votre situation. Pouvez-vous me faire savoir ce qu'il en est ?

Vos problèmes actuels sont bien entendu le produit à la fois de votre enfance, c'est-à-dire de vos relations avec vos parents, et de ce qui s'est passé ce soir-là sur la plage. Il est possible de se débarrasser de tous ces fantômes qui hantent votre vie et la rend impossible ... Vous n'êtes pas folle, loin de là. Vous avez une souffrance terrible en vous, cela n'a rien à voir.

Vous me dites avoir été hospitalisée en CHS à plusieurs reprises, avoir rencontré des psys et des médecins. Mais avez-vous essayé une psychothérapie ? J'attends votre réponse.

Très cordialement,

Yves Lambert

PS : j'aimerais publier votre mail dans notre section FAQ, bien sûr de façon strictement anonyme. Votre histoire peut aider d'autres personnes. Etes-vous d'accord ?

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