Un viol
... ordinaire ?
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anonyme : supprimé
à la demande de l'intéressé le 13 avril 2001
Je
n'arrete pas d'aller et venir sur votre site mais à chaque fois le courage
me fait défaut et je renonce à raconter mon histoire. Tous les témoignages
que j'ai lu m'ont fait prendre conscience que j'ai besoin d'aide et
que seule, je n'arriverai sans doute à rien. Je ne sais pas très bien
par ou commencer parce que tout me semble confus, je n' arrive pas a
distinguer ce qui a de l'importance de ce qui n'en a pas...
A l'époque de mes 15 ans, je détestais le lycée. On ne m'adressait la
parole que pour me demander des cours ou des explications parce que
j'avais toujours les meilleures notes de la classe. Le perfectionnisme
était mon plus grand défaut. Mon obsession était d'etre la meilleure,
de surpasser tout le monde il n'y avait que comme ca que je pouvais
m'affirmer.
A 15 ans, j'ai participé à un voyage organisé pour jeunes de mon age
durant l'été. Personne du groupe ne me connaissait, donc personne n'avait
d'a priori sur moi. Enfin j'allais pouvoir me débarasser de cette étiquette
de "première de la classe".
Je n'avais jamais eu de petit copain, et je me disais que pour que les
gens changent d'avis sur moi il fallait peut-etre que je m'interesse
un peu moins aux études et un peu plus à ce dont toutes les filles de
mon age n'arretait pas de parler :les mecs.
Bref, le groupe était très sympa, je m'intégrais bien. Vers la fin de
la première semaine, on a eu quartier libre un soir. Des gens
du groupe avaient fait la connaissance de 3 garcons. Je me suis naturellement
joint a eux.
L'un d'entre eux ne détachait pas son regard de moi. quand il m'a adressé
la parole, j'ai senti mon coeur battre très fort. C'était la première
fois que j'avais l'impression d'interesser un membre du sexe opposé.
On a tous été dans un pub. Je ne souviens pas si j'ai bu beaucoup ou
pas. Ensuite,il m'a demandé d'aller faire un tour avec lui. Je n'ai
pas hésité une seconde malgré la mise en garde d'un garcon du groupe
qui m'a dit que ce n'était pas prudent. On a marché un moment et on
s'est retrouvé dans un champ. Il m'a embrassé et à commencé à me toucher.
Il a sans doute senti que j'étais mal à l'aise pcq c'est seulement
a ce moment qu'il m'a demandé mon age.
Je me souviens mal de la suite. Comme tout ce que je raconte jusqu'a
présent, tout cela m'est revenu par des flashs successifs.
Jusqu'a l'age de 19 ans, j'ai continué a mené une vie normale comme
si je n'étais pas assez forte pour surmonter et assumer ce qui m'étais
arrivé. Je suis retombée dans mon petit train-train. Rien n'avait changé
et pour tenir, je me disais qu'une fois mon bac en poche tout serait
différent, je pourrais m'épanouir. J'ai entrepris des études de médecine,
sans vraiment me demander si c'était ce que je voulais faire de ma vie.
Et un beau jour, ma vie a basculé. Ce voyage a commencé à m'obséder,
je faisais des cauchemars, je revoyais des scènes sans trop faire le
lien avec moi. J'avais l'impression d'avoir été témoin d'un film. Et
puis petit à petit, j'ai réalisé.
Cette fille en larmes qui se faisait pénétrer sans opposer de résistance,
la terreur dans ses yeux, l'incompréhension de son regard, c'était de
moi qu'il s'agissait.
Je suis tombée dans une déprime noire. J'ai abandonné mes études, j'ai
été confronté à l'imcompréhension de tous. Trop de questions me torturaient
l'esprit. Je passais mes journées à essayer de me souvenir des moindres
détails mais plus je réfléchissais plus tout s'embrouillait. Je me disais
que personne me voudrait me croire, que si tout cela m'était vraiment
arrivé, j'aurais du m'en souvenir avant. J'ai vraiment perdu pied pendant
un moment, je sortais tous les soirs pour boire, cela me permettait
d'oublier. J'accumulais les aventures sans lendemain. Rien n'avait plus
d'importance, j'avais l'impression que ma vie n'aurait plus jamais de
sens.
Pour oublier et tourner la page, j'ai choisi la fuite. Je me suis installée
dans un pays lointain, celui-la meme ou tout était arrivé. J'y ai rencontré
un garcon qui m'a aidé a me reconstruire. Grace a lui, j'ai réussi à
en parler à mes parents, à maitriser mes crises de colères, mes envies
de suicide, ma peur de l'avenir, ma boulimie latente. Depuis 4 ans,
il me conseille d'aller vers un psy mais j'ai toujours refusé pensant
que ca ne m'apporterait rien de plus.
Aujourd'hui, j'ai 24 ans. On a décidé de se marier. Pour tous ceux qui
savent, je suis une fille forte, j'ai réussi à tourner la page. Mais
au fond de moi, je sais que c'est faux. Je n'ai, jusqu'a présent, pas
réussi à mener à bien des études. Je commence, avec la meme volonté
que jadis, et puis a l'approche des examens, je laisse tout tomber et
simultanément, je me sens mal dans ma peau, je resasse le passé, je
ne peux plus dormir, comme au moment ou tout a ressurgi.
Mon père m'a obligé a refaire des études. Je ne voulais pas mais je
savais que c'était pour mon bien et je croyais que j'en serais capable.
Me voila au pied du mur, incapable d'aller plus loin. Je ne veux pas
que ce qui m'est arrivé gouverne ma vie et c'est pourtant ce qui est
en train de se produire.
J'avais réussi à me convaincre que c'était moi la victime, que je n'étais
pas responsable, qu'il fallait que j'aille de l'avant et que j'étais
capable de vivre avec ca, de l'accepter bien rangé dans un coin de ma
mémoire sans que ca influe plus jamais sur ma vie. Mais aujourd'hui,
je fais machine arrière. Je me demande sans arret : pourquoi moi?
Deux filles qui partageaient ma chambre pendant le voyage sont sorties
avec les deux autres garcons et il ne leur est rien arrivé.
J'avais un tee-shirt court et un jean moulant, j'ai réussi a me souvenir
de ma tenue ce jour la.
Pourquoi je n'ai pas crié ? Pourquoi je n'en ai pas parlé ?
Pourquoi j'ai oublié ? Je me dis qu'il y a peut-etre d'autres détails
qui m'échappent, surement ceux qui jouent en ma défaveur. Peut-etre
que j'étais consentante à 1000 % et que c'est justement ca que
j'ai oublié.
Et puis, il y a ma conception de la vie que personne ne comprend. Moi,
je voudrais avoir plein d'enfants et consacrer tout mon temps à ma famille.
Parallèlement, je voudrais faire du bénévolat,faire quelque chose pour
les autres. Mais faire carrière, pour pouvoir gueuler à la face du monde
que les femmes aussi peuvent réussir, je suis désolée mais ca ne m'intéresse
pas. Personne ne comprend que c'est un choix. Pour ma famille, c'est
un manque d'ambition. Ils ne savent pas combien je me suis battue pour
en arriver la ou je suis, et peu importe ce qu'ils pensent, je suis
fière du résultat.
Ma priorité à moi est de me sentir bien, de casser ce cycle infernal
qui m'empeche d'aller de l'avant. Peut-etre après tout que je suis intellectuellement
limitée parce que je ne suis pas capable à la fois de faire la démarche
d'aller vers un psy et en meme temps d'affronter des examens. Je suis
parfaitement consciente que mon angoisse face aux études est complètement
disproportionée mais je n'y peux rien.
J'ai l'impression d'etre au carrefour de ma vie. Il faut que je prenne
une décision et il faut absolument que ce soit la bonne. Soit je suis
une psychothérapie, soit j'affronte les examens - deux choses qui
demandent de moi un investissement total. Que dois-je choisir ?
Qu'est-ce-qui est le plus important ? A force de réfléchir, je
ne sais plus trop.
Si seulement quelqu'un pouvait m' aider ...
PS : j'accepte que mon e-mail soit publié lauralag@hotmail.com
Bonjour,
(...)
Il y a un point de votre courrier, toutefois, sur lequel j'aimerais
revenir. Vous écrivez que vous étiez "consentante à 1000 %" : je pense
que vous devriez réfléchir à ça ...
Pourquoi ? Parce que tout ce que vous dites de votre histoire montre
que vous avez subi un viol
à 15 ans, ne serait-ce que parce que les conséquences de cet événement,
conséquences que vous décrivez fort bien, constituent bien un syndrôme
de viol, il n'y a aucun doute là-dessus.
Or, viol et consentement sont par définition incompatibles.
D'ailleurs, vous écrivez aussi : "petit à petit, j'ai réalisé.
Cette fille en larmes qui se faisait pénétrer sans opposer de résistance,
la terreur dans ses yeux, l'incompréhension de son regard, c'était de
moi qu'il s'agissait". Le fait de n'avoir pas opposé de résistance ne
fait pas de vous une victime consentante,
en aucune façon.
Le fait de vous chercher et de vous trouver des responsabilités est
aussi une conséquence du viol : la plupart des victimes culpablisent
et se trouvent des responsabilités. Vous, c'est notamment le fait de
n'avoir pas su résister et votre tenue.
Votre tenue :
jeans moulant et T-shirt court : 1) ce n'est pas en soi une tenue provocante
; 2) c'est une tenue exrêmement fréquente en été ; 3) il y a nettement
plus provocant ; 4) et combien même votre tenue aurait été provocante,
cela ne donne le droit à personne de disposer de votre corps et de se
jouer de votre volonté.
Vous n'avez pas opposé de résistance :
vous aviez 15 ans, c'est-à-dire que vous étiez une ado sans expérience,
à un certain stade de votre propre évolution, en train de vous construire,
de construire peu à peu, lentement, votre relation aux autres, aux garçons
notamment, en train de découvrir le monde des sentiments, de la sensualité,
de la sexualité ... Vous avez été sensible au fait qu'un garçon
s'intéresse à vous, un garçon plus âg : vous n'étiez pas habituée,
cela a décuplé l'effet sur vous ; cela ressemble à un amour de
vacances - sauf
que vous n'étiez pas prête à ce qui vous est arrivée
(l'incompréhension de votre regard ...).
Le garçon qui vous a violé, malheureusement, n'en a probablement pas
eu conscience une seule seconde ... Cela ne change rien : il est
lui-même - en quelque sorte - victime de l'éducation des garçons
(nulle. Je prépare des pages à ce sujet ...) qui ne prennent aucun soin
des filles et ne les vivent souvent (surtout à 19 ans) que comme des
"trous à pénétrer" pour satisfaire leur seul plaisir égoïste (piètre
plaisir au passage ...) : n'empêche, il est le seul vrai responsable
parce qu'il a profité de votre âge et de votre inexpérience. Il a aussi
profité du
rôle passif
auquel on prépare les filles qui en sont toujours les premières victimes,
il a également rempli le rôle qu'imposent les schémas psychosociaux
: celui de l'homme actif
et initiateur.
Vous ne pouviez pas résisté à tout cela, vous n'en aviez ni les moyens
ni les capacités : vous êtes une victime et vous n'étiez pas consentante.
A bientôt de vous lire, Cordialement, Yves Lambert