Violée
par un gynécologue
Février
2003
Bonjour,
J'ai découvert votre site dernièrement. J'étais
alors dans une phase critique : il s'agissait pour moi de reconnaître
le viol dont j'ai été victime il y a maintenant presque
trente ans. Je suis en thérapie depuis environ deux ans et cette
question n'avais jamais été abordée de front. Lorsque
l'évidence s'est manifestée, j'ai cru être folle,
inventer, me tromper, déformer la réalité, mentir,
tricher. Cette sensation de folie et d'égarement, je la connaissais
depuis très longtemps, mais cette fois elle se manifestait plus
fortement encore.
J'ai retrouvé cette même sensation dans certains des témoignages
que vous publiez : ne pas être sûre d'avoir subi un viol,
ne plus rien comprendre à la réalité de nos émotions,
cette impression d'égarement et de folie. Je me suis sentie complètement
proche de
ces femmes, j'avais même l'impression de m'entendre.
J'ai donc décidé de témoigner. Cette démarche
m'est très difficile, car je n'arrive à associer le mot
"viol" à mon histoire que depuis peu.
A l'âge de 16 ans environ, ma mère m'a envoyée chez
un gynécologue, elle ne pouvait répondre à une
de mes questions : comment mettre un tampon hygiénique ? Etait-ce
possible de le faire en étant vierge ?
Je faisais alors beaucoup de sport et plusieurs de mes camarades m'avaient
dit mettre des tampons, que c'était plus simple et pratique.
Je suis donc allée chez un gynécologue que ma mère
connaissait, elle a pris rendez-vous pour moi.
Je ne me souviens pas de mon arrivée, ni des mots échangés,
ni du moment du déshabillage, ni même de mes éventuelles
questions. Toute cette partie est comme inexistante. Seul le souvenir
, la sensation, d'être couchée les jambes écartées,
prises dans les étriers, avec cet homme en blouse blanche debout
devant moi et me regardant. L'impression de quelques mots échangés,
quelque chose comme : vous êtes vierge ?
Puis il s'est approché de moi, et brutalement, il a enfoncé
ses doigts (ou son doigt) dans mon vagin. C'est difficile à décrire
: il a pris son élan, ça n'était pas doux, ça
n'était pas pour m'ausculter: Il a lancé ses doigts, j'ai
senti un coup profond au fond de mon vagin. J'ai eu très mal,
j'ai inspiré comme lorsqu'on se fait mal brusquement et que la
douleur est très violente.
Puis plus rien. Je me revois seulement habillée, assise en face
de lui, souriant et me disant : "J'ai des filles de votre âge."
Je suis sortie, il y avait des escaliers à descendre, Je tremblais,
mes jambes étaient sans force, je sentais mon bassin boursouflé,
enflé, épais. Je suis montée sur mon solex, j'avais
très mal à l'entrejambe. J'avais de la peine à
rester assise. J'étais dans un état très bizarre
: lointaine, sans réaction, je ne pleurais pas.
Arrivée chez moi, je suis allée vers ma mère et
je lui ai dit : " Je ne veux plus aller chez ce bonhomme, il m'a
fait très mal."
Elle m'a répondu :" Ah oui ? il est bizarre hein ? "
C'est tout .
Je sais que les jours suivants, j'ai porté des bandes hygiéniques,
j'avais très mal à l'entrée du vagin. Aucun souvenirs
de mon état intérieur. Je ne sais plus rien de moi à
cette époque.
Mais actuellement, la peur de perdre du sang me poursuit : chaque fois
que je vais aux toilettes, je susi angoissée, persuadée
que je perds du sang, alors que je ne me souviens pas en avoir perdu
à cette époque.
Quelques temps après (un an ?), on a diagnostiqué une
plaie au col de l'utérus. Il a fallu la cautériser. Puis,
j'ai eu salpingites sur salpingites, des règles trop fréquentes
ou trop rares, très douloureuses, l'impression d'avoir le ventre
déchiré.
Je n'ai parlé à personne de cet épisode. Je me
suis tue. Pendant plus de vingt ans, je me suis tue. J'avais périodiquement
la sensation d'étouffer, des insomnies, l'impression d'être
folle à lier. Lorsque me venait à l'esprit l'éventuel
lien entre mon état (psychologique et physique) et cet événement,
je niais énergiquement. Je me disais : " Il est connu que
les victimes de viol souffrent énormément, et que les
séquelles d'un viol sont graves. Puisque tout va bien dans ta
vie, c'est que ça ne t'a pas affectée, donc ce n'est pas
un viol. Tu débloques. Tu es simplement folle. Occupe- toi plutôt
des autres, au lieu de fabuler. "
Je me suis mariée, j'ai eu deux fils. Ce sont maintenant de grans
adolescents. Quand ils étaient petits, je vivais dans la peur
constante qu'ils soient victimes d'un viol. Je n'avais confiance en
aucun adulte. Je les ai surprotégés. Je n'avais pas conscience
de cette peur, elle était mon quotidien, je la trouvais normale.
Je me réjouissais intérieurement qu'ils grandissent, deviennent
forts, puissent se défendre. Grâce à ma thérapie,
je me rends compte maintenant des implications de ce viol sur toute
ma vie: la culpabilité, la honte, la sensation de jamais pouvoir
assumer ma sexualité, de la subir, le dégoût des
hommes, la peur, le mépris de mon corps, la sensation de ne pas
être une femme.
Les souvenirs liés à cet événement étaient
dans l'ombre. Je me souvenais de ce moment, mais l'image était
figée, statique, floue, sombre, comme une photo ratée.
Puis petit-à-petit, elle s'est mise à bouger, à
devenir plus claire, plus précise. J'accepte lentement, par étapes,
avec la sensation récurente d'être folle, de tricher, de
mentir etc..
Mais le chemin parcouru est magnifique, et je découvre la vie
avec joie.
Voilà mon témoignage. Je ne sais pas s'il pourra être
utile à certaines personnes. Je préférerais avoir
votre avis avant d'accepter sa publication sur votre messagerie.
Et j'aimerais qu'il reste anonyme ainsi que mon adresse e-mail.
Je vous remercie d'avance du temps que vous prendrez à lire mon
histoire, ainsi que pour votre présence sur ce site. C'est un
soulagement réel pour moi de pouvoir par ce biais entrer en contact
avec les autres, leurs témoignages et ainsi avec ma propre histoire.
Recevez mes meilleurs messages.
I.
Bonjour,
Tout d'abord, sachez que vous n'êtes pas la seule dans ce cas,
à avoir été la victime d'un gynécologue
...
D'un point de vue pénal, une cour ne retiendrait bien sûr
(probablement) pas la qualification de viol, puisque l'acte pratiqué
est censé avoir été strictement médical
...
Reste que les conséquences sur vous sont entières et que,
acte médical ou autre motif, volonté de nuire ou simple
(mais noire) imbecillité, tous les symptômes dont vous
avez souffert jusqu'à présent sont ceux d'une victime
de viol.
Je vais publier votre message, anonymement et sans adresse électronique
puisque c'est votre volonté : je suis certain qu'il peut servir
à d'autres personnes. Par ailleurs, puisse certains praticiens
le lire ...
Cordialement,
Yves LAMBERT
Je
vous remercie
vivement de m'avoir répondu si rapidement. Après vous
avoir écrit, j'ai eu très peur de ne pas être crue,
entendue. Je me sentais ridicule et la honte me revenait. Et je banalisais
à nouveau cette épisode douloureux.
Votre réponse m'a soulagée.
Merci pour votre aide.
Cordialement.
I.