Comment qualifier
ce que j'ai laissé cet homme me faire ?
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en pied de message.
Octobre 2003
Bonjour,
Je vais tres mal en ce moment, je me tourne vers vous pour essayer de
trouver d'autres femmes avec qui je pourrai en parler, je cherche un
groupe de parole pour essayer de depasser ce que j'ai vecu, qui est
beaucoup moins grave que ce que subissent les femmes qui temoignent
sur votre site, mais qui m'empeche de vivre sereinement et d'etre heureuse...
En septembre 2001, j'ai quitté un homme qui etait violent avec
moi. Il a rarement été violent physiquement, mais il me
dominait, m'empechait de vivre, de voire mes amis, de faire les stages
que je voulais, de m'habiller comme je voulais... J'etais tres mal dans
ma peau a cette epoque et persuadee que je n'etais pas assez forte pour
vivre seule et pour etre sans lui. Il etait tres exigeant sexuellement...
je ne sais pas exactement comment vous expliquer cela, mais en fait,
il ne m'a jamais forcée dans le sens ou il n'y a jamais eu de
contraintes physique. c'etait plutot moi qui me forcais de peur qu'il
me quitte, qu'il aille voire ailleurs... j'avais bcp moins de desirs
que lui (voir plus du tout de desir a la fin) et il me mettait la pression.
alors je me forcais... et finalement, je suis tombée malade;
j'ai ete operee pour une infection des trompes. Il n'a rien compris.
il a continue a me metre la pression, a etre exigeant, il n'a jamais
compris mes difficultes a me remettre de cette operation, ni le besoin
que j'avais de me reconcilier avec mon corps apres cette operation.
mon sexe etait devenu un lieu de douleur et non plus de plaisir ou de
desir. j'ai fait pas mal de petites infections, mycoses et autres complications.
je crois que cette maladie a ete le debut de ma prise de consience.
je l'ai quitté 6 mois apres : un matin, il voulais que nous fassions
l'amour, je n'en avait pas envie. il a alors voulu que je lui fasse
une fellation. je lui ai expliqué (pour la premiere fois!!) qu'une
fellation etait un rapport sexuel, au meme titre que la penetration,
et que si je n'etais pas excitee pour l'un, je ne l'etais pas plus pour
l'autre. Il a passe les 24 heures suivantes à m'ignorer, ne repondant
pas a mes questions... finalement je lui ai dit que je sortais. on s'est
disputé, je suis sortie en claquant la porte, il l'a rouverte,
m'a attrapée le bras et m'a giflée, puis m'a cogné
le dos... c'etait peut etre la 4eme fois qu'il me frappait en un an
et demi, mais ce fut celle de trop. je suis partie.
Je voyais deja un psy alors, ca va faire 3 ans maintenant, je pense
que c'est grace a ca que j'ai reussi a quitté cet homme. La periode
apres la rupture a ete geniale : je me suis coupee les cheveux, ai trouvé
un appart, le bolot de mes reves, ai renoué avec pleins d'amis...
J'ai commencé a prendre conscience de tout ca qq mois apres,
mon psy m'a alors prescris des anti depresseurs.
j'ai rencontré un autre homme exceptionnel, tres comprehensif
et rassurant. j'ai passé plusieurs nuits a pleurer dans ses bras
avant d'etre capable de faire l'amour avec lui. Je l'aimais tres fort.
Il m'a quitté en mai dernier. je me suis remise de cette rupture.
Tellement bien que mon psy m'a encouragee a arreter mes anti-depresseurs
cet été. j'ai eu d'autres petite aventures, enfin non
en fait, pas d'aventures... je n'y arrive pas... J'ai l'impression depuis
quelques semaines que cette histoire me reviens en pleine tete et je
ne peux rien faire. hier j'ai du quitter le boulot tellement j'avais
mal "aux trompes" et j'ai passé la journee a pleurer,
et sentir mon vagin se contracter. je ne sais pas, c'est dur a expliquer.
il a beaucoup de colere et de souffrances en moi. j'en parle avec mon
psy, avec lequel j'avance aussi sur pleins de choses, mais je crois
que j'ai aussi besoin d'en parler avec des femmes. Il y a beaucoup de
colere en moi, elle est dirigé contre mon ex bien sur, mais surtout
contre moi. Comment ai-je pu laisser un homme me manquer de respect?
detruire mon intimité? je sais pourquoi j'ai laissé faire
ca, j'ai progréssé sur moi et je sais que je ne vivrais
plus jamais une relation similaire, mais j'ai peur, je suis angoissee
et, tout simplement, je ne m'en remets pas... je vais avoir 26 ans en
novembre, et je me sens tellement perdue.
Vous pouvez publier ce mail, mais de facon anonyme s'il vous plait.
Je ne souhaite pas forcement echanger par mail sur ce sujet. en fait,
j'aimerais vraiment etre orientee vers une association (je vis a paris)
au sein de laquelle je pourrai rencontrer d'autres femmes.
Merci d'avance pour votre ecoute et votre soutien.
Merci
de votre reponse rapide, et surtout merci de dire que vous avez trouvé
ce mail formidable. j'avoues que j'ai du mal a trouver ce que je fais
formidable en ce moment... Mais vous envoyer ce mail est un pas dans
ma demarche, je crois que pour la premiere fois depuis deux ans je suis
prete a affronter cette souffrance et a assayer de la combattre. Une
de mes principales questions reste la suivante : comment mettre des
mots sur cette souffrance, comment qualifier ce que j'ai laissé
cet homme me faire? Je ne sais pas si je peux parler de viol ou d'agression
sexuelle, puisque, meme si je le faisais sous une sorte de contrainte,
il ne s'agissait pas de contraintes physiques, mais plus une pression
que me mettait cet homme, une contrainte psychologique... Si j'avais
dit non, il ne m'aurait sans doute obligée, enfin je veux dire
il ne m'aurai jamais forcer physiquement a la faire. non, c'etait plutot
une sorte de chantage affectif, de pression psychologique... Pourtant,
quand je lis les temoignages des autres femmes, je me retrouve tres
souvent dans ce qu'elles ecrivent a propos de ce qu'elles peuvent ressentir
suite a ces agressions. Je me sens toute perdue face a cela... je ne
sais pas comment qualifier ce qu'il m'est arrivé.
Je
suis d'accord pour que vous mettiez cet email en ligne, mais je souhaite
que mon nom de famille n'apparaisse pas, vous pouvez donc mentionner
cette adresse mail anonyme : superclem@caramail.com.
Merci beaucoup pour votre soutien, merci, on se sent un peu moins seule...
Sincerement,
Bonjour,
La définition pénale du viol est la suivante : Tout
acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il
soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace
ou surprise, est un viol. La loi ne précise pas le type
de contraintes, la jurisprudence admet les contraintes psychologiques,
le code pénal admet le viol entre conjoints depuis 1993 ...
Bien sûr - et ce n'est pas ce que vous recherchez si j'ai bien
compris -, vous auriez sûrement du mal à obtenir une condamnation
pour viol ou même pour agressions sexuelles ... Néanmoins,
et les conséquences sur vous le démontrent, vous pouvez
considérer que vous avez été victime de viols répétés
ou, à tout le moins, d'abus sexuels.
Les conséquences psychologiques sur la victime sont profondes
et durables. Il serait sûrement utile dans votre cas comme dans
le cas des victimes de viols, à qui nous conseillons une démarche
thérapeutique, que vous n'abandonniez surtout pas votre thérapie
: c'est cela qui vous permettra de vous réconcilier avec vous-même
... et d'admettre que vous êtes une victime. Car, en effet, vos
propos laissent supposer que vous auriez une part de responsabilité
dans ce qui vous est arrivé : or, ce n'est pas le cas. Les pressions
psychologiques exercés sur vous ne visaient qu'à vous
asservir, et cela a fonctionné un certain temps, jusqu'à
vous puissiez vous défaire des rêts dans lesquels il vous
avait enfermée. En fait, pendant longtemps, vous avez adopté
l'attitude qui vous semblait la plus adaptée pour faire face
à ce que vous viviez ..., question de survie.
Cet homme était globalement violent : l'isolement de la victime,
que vous décrivez, est un des signes qui ne trompent pas. Une
des conséquences de ce type de violence est que la victime finit
pas se croire au moins partiellement responsable de ce qui lui arrive.
Je ne peux que vous encourager à travailler cette question avec
votre psy car vous n'êtes en rien coupable ...
Le coupable, c'est cet homme qui vous a fait endurer tout cela ...
Cordialement,
Yves LAMBERT
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