Détruite
par ceux qui l'aiment et qu'elle aime
Août
2004
Bonjour
et félicitations à tous pour votre site!
J'ai 23 ans et je n'ai pas confiance en moi, profondément, viscéralement.
Mes parents ont divorcé alors que je n'avais que 3-4 ans et j'ai
été élevée par mon père. Ma mère
ne pouvait pas s’occuper de moi, matériellement et psychologiquement.
Nous avons vécu seuls, comme un vrai couple (fille unique + pas
de femmes, de belle-mère, etc.) jusqu'à mes 11 ans. Sans
entrer plus dans les détails, beaucoup d'indices me mettent à
l'évidence que j'ai grandi dans un climat d'inceste psychologique
(voyeurisme, photos tendancieuses, regard visqueux sur moi insupportable
– mon père me prenait beaucoup en photo) avec une certaine forme
d’érotisation de l’amour. Mais tout cela est encore très
flou en moi.
Et pourtant, j'adore mon père et je ne peux accepter qu'il m'ait
fait du mal, qu'il ait brisé quelque chose en moi, même
à son insu (lui même a déjà subi la pédophilie
dans son enfance qu'il a refoulée; tout est à l'état
d'inhibition chez lui).
A 11 ans, mon père rencontre une femme (une folle) et de leur
union naît ma (demi-)sœur. C’est la pire année de ma vie
: je n’existe plus pour mon père, je me sens orpheline, abandonnée.
Cette femme me fait du mal ; mon père ne prend jamais ma défense,
pire il s’allie avec elle contre moi. Je ne comprends pas ce rejet soudain,
moi qui était à ses yeux la petite princesse sur un piédestal
dans une relation fusionnelle. J’entre dans l’adolescence je suis en
plein métamorphose, je hais mon corps et je sens que je n’intéresse
plus mon père : je ne suis plus une enfant, je deviens une jeune
femme : il a peur, il fuit..
Mon adolescence est difficile, je suis isolée, souvent le bouc
émissaire à l'école, en colonie, très influençable,
incapable de me défendre ou même de répondre à
quelque forme d'agressivité que ce soit. C'est comme si je consentais
à ce que l'on me fasse du mal.
Et cela me révolte: pourquoi et comment puis-je à ce point
être incapable d'agir, de répondre? Pourquoi est-ce que
je me laisse autant faire, autant modeler, pourquoi n'ai-je pas la force
de dire NON?
A cette époque, je n'ai que le théâtre, l'écriture,
la musique et quelques amis comme échappatoire. Je suis mal dans
ma peau. Je fantasme beaucoup mais ne vis rien. Je suis en décalage
avec les filles de mon âge.
Ma mère est lointaine, absorbée par un mal-être,
une dépression et ne veille que très partiellement sur
moi.
A 16 ans, tout naturellement, je deviens anorexique et tombe dans une
forme de dépression (je n’ai goût à rien, je ne
mange plus, ne me lave plus, n’ai aucune force, suis seule, désespérée,
tous les soirs je m’endors avec l’envie de ne pas me réveiller).
C’est un enfer.
Mon père ne voit rien, ne s'inquiète pas. Pire, il m'engueule,
il aboie sans arrêt après moi, il m’insulte quand je pleure
(au lieu de me prendre dans ses bras et de me consoler comme le ferait
toute personne normale), il m’envoie chez un médecin qui me prescrit
des vitamines et cela suffit à le rassurer. Il ne se préoccupe
plus de moi.
Je fais aussi de la boulimie, je malmène mon corps.
A ce moment, sur mon chemin, un homme. Mon professeur de chant, beau
et gentil : 41 ans.
Je me livre entièrement à lui. Il est mon seul rayon de
vie et j'en tombe folle amoureuse, naïve, sincère, prête
à tout.
Il est marié et a un enfant. Je deviens sa maîtresse tout
en étant jalouse de sa femme, même si j'ai "la plus
belle part de lui", comme il dit.
Il est habitué à avoir des maîtresse (il trompe
sa femme depuis 8 ans) mais je suis de loin celle qu’il aime le plus,
celle pour qui il plaquerait tout si je le lui demandais.
Notre histoire, passionnée, perverse et destructrice, va durer
pendant plus de quatre ans, mais ce n'est qu'aujourd'hui que je me sens
salie, souillée, abîmée, que j'ai l'impression d'avoir
été manipulée, d'avoir été victime,
abusée (et pourtant il m'aimait plus que tout lui aussi). Mais
je ne lui en veux pas. Je lui ai aussi fait beaucoup de mal (presque
sadiquement). C'est à moi et à moi seule que j'en veux
: de m'être laissée ainsi faire, modelée, moulée,
accroc à son amour, tellement en manque d'affection que j'étais...
Voilà, je m'en veux d'avoir été consentante à
tout et de n'avoir jamais bronché. J'ai traversé tout
cela comme spectatrice de marbre de moi-même (une forme de protection,
je suppose), mais c'est seulement aujourd'hui que j'accuse le coup,
que je me sens sale, que je me dégoûte, que la carapace
se fissure.
Je m'explique. Je veux parler de tout ce qu'il m'a fait faire dès
mes 17 ans : visionnage de films pornos dans des sex-shops, clubs échangistes,
rendez-vous avec des couples et j'en passe... Mais je suis aussi responsable
que lui : je voulais faire tout cela pour lui plaire, mais aussi par
curiosité, pour me sentir en avance par rapport aux autres, pour
me dire que j’ai vécu des choses (marginales) et que j’ai de
l’expérience. Quand il m’a proposé tout cela j’y ai aussi
trouvé ma part d’intérêt et je suis donc autant
coupable. Je ne comprends pas pourquoi tout cela me revient aujourd’hui
et me dégoûte (d’avoir été dans ces soirées,
de m’être laissée regardée et prendre par des inconnus,
pour le seul plaisir de cet homme…) Est-ce une forme de viol déguisé
? Consentant ? Il ne me forçait jamais ; il n’avait pas besoin
car j’étais d’accord pour tout. Et c’était un cercle vicieux,
car comme je ne disais jamais non, pour lui, il n’y avait pas de problème.
Il croyait (ou bien cela l’arrangeait-il de croire ?) que c’était
mes propres désirs, et je le croyais aussi et nous tournions
ainsi en rond dans cette mécanique bien rouillée. Je ne
peux donc pas me sentir pleinement victime même si depuis le début
de cette relation, je sentais que quelque chose n’allait pas, que quelque
chose me gênait et je le sens toujours, même si cette histoire
est terminée… Que dois-je penser ?
De plus, il disait m'aimer comme sa fille et jamais il ne me manquait
de respect. Tout ce qu'il disait était pour moi parole d'évangiles.
Et il m'aimait parce qu'avec moi, disait-il, "tout était
possible". Et bien sûr, je ne voulais pas perdre cela. Je
me forçais pour lui faire plaisir, c'est comme si je me prostituais
(avec la même froideur et le même détachement qu'ont
les prostituées, justement). Car il est évident que toutes
ces choses n'attirent pas une jeune fille de 17-18 ans spontanément.
Mais lui, a toujours la sensation d'avoir été "juste"
et "pur" avec moi (ce sont ses mots).
Aujourd'hui, tout est confus : ai-je été abusée?
Est-ce sain de faire ce genre de choses, même consentante, mais
si jeune? Je l'ignore. Je ne parviens plus à trouver la frontière
entre le bien et le mal, l’amour et la perversion, le sain et le malsain,
je ne parviens plus à faire la différence entre le désir
de l’autre et le mien propre (j’ai l’impression de ne pas en avoir et
que tout est conditionnée par l’autre, comme si j’étais
un pantin). Tout se confond, je n’ai plus de repères, c’est le
chaos.
Je me sens piégée. Pour m’émanciper du non-amour
de mon père, j’ai trouvé réconfort dans les bras
d’un homme… et j’ai l’impression qu’à son tour, lui aussi m’a
bousillée, alors que je cherchais à me renforcer, à
prendre confiance en moi et à m’aimer. Si j’analyse, je me rends
compte que les 3 personnes au monde qui m’ont le plus aimée sont
celles qui m’ont le plus détruite : 3 amours, 3 bourreaux :
-Mon père qui, je n’en doute pas, m’aime profondément
mais m’a mal-aimée avec ses comportements plus qu’équivoques
avec moi. Si je le rejette, on me culpabilise en disant que je suis
une fille ingrate, que c’est lui qui m’a élevée, qui a
tout sacrifié pour moi, que je suis dure et pas reconnaissante,
etc.
-Ma mère qui elle aussi m’aime plus que tout (si je disparais,
elle meurt, dit-elle) mais qui ne m’a pas élevée, m’a
abandonnée et m’a laissé grandir toute seule sans me protéger
contre l’adversité.
-Cet homme pour lequel, sincèrement, (je n’exagère pas),
j’ai été « la femme idéale », «
l’amour absolu », « son plus grand regret », etc.,
et que j’ai aussi profondément aimé et qui m’a pourtant
fait vivre des choses qui me dégoûtent et surtout pour
lesquelles je n’étais évidemment pas prête, mais
qui lui aussi me faisait culpabiliser : « tu es narcissique, égoïste,
tu ne sais pas m’aimer, tu ne t’abandonnes pas (alors que je donnais
tout pour lui !!!), si tu pouvais m’aimer comme je t’aime, tu ne sais
pas reconnaître les gens qui t’aiment, tu brises l’amour que j’ai
pour toi », etc. Et moi, bien sûr, je ne voulais pas perdre
cet amour. Quand je l’ai quitté, je me suis aussi sentie ingrate
de l’abandonner, pétri dans sa souffrance. Même après
la rupture, alors que nous n’avions plus aucun rapport charnel ensemble,
il disait m’aimer pour toujours, toute la vie, que même cérébralement,
il s’en contenterait… Mais chaque fois qu’on se voyait, il me disait
combien il me désirait, était obsédé par
« ma croupe », « mes seins », « ma chatte
», qu’il voudrait me lécher, etc., qu’il voudrait que je
reste son amante, même si j’avais d’autres histoires à
côté, qu’il voudrait qu’on retourne aux clubs, etc. Je
le prends comme un obsédé, ses désirs pour moi
me révulsent. Est-ce de la manipulation. Et pourtant, je sais
qu’il souffre…
Ai-je raison de faire cette analyse ? Ces personnes m’ont-elles vraiment
aimée pour que j’en sois là aujourd’hui ? OU bien m’ont-elles
toutes manipuler consciemment ? Dois-je leur pardonner ? Dois-je les
attaquer ? Ma vision de l’amour est complètement pervertie, erronée
aujourd’hui et je n’ai plus confiance en personne et surtout pas en
moi. J’ai l’impression de me laisser à chaque fois manipuler,
d’être complètement malléable, passive et de ne
pas avoir de vrai MOI.
Ainsi, aujourd’hui dans ma vie, je me sens (je me mets?) en situation
d'échec. J'ai envie de faire mille choses et je sabote ou alors
je suis impuissante, je ne fais rien, j'abandonne tout au moment où
les choses aboutissent. Mes histoires d'amour sont éparses, stériles,
je tombe toujours sur des hommes plus âgés ou pas libres
ou trop bien pour moi, (comme si je ne méritais pas un homme
bien pour moi toute seule). Je ne fais rien de constructif, je suis
perdue, j'ai un coeur de pierre, je n’ai aucun désir, je n’aime
pas faire l’amour (en fait cela m’indiffère, cela m'ennuie, j’ai
l’impression de perdre mon temps), je séduis mais je me sens
laide, je souffre quand je vois des gens heureux – je souhaite leur
malheur, je suis méchante, je me sens aigrie, raide, coincée,
je me vois mal tourner, mal finir...
J'envisage de commencer une thérapie mais même là,
j'ai l'impression que je ne tiendrai pas, que je ne réussirai
pas à me faire ce cadeau-là, que je truquerai, tricherai,
me défendrai et me cacherai derrière des analyses et des
considérations intellectuelles... J'ai peur.
Aidez-moi, je vous en prie!!
Bien sincèrement.
PS : Je
m'excuse pour la longueur de ce message mais il me paraissait indispensable
de poser les principaux jalons de mon histoire afin d'avoir une réponse
pertinente de votre part. J'espère en tout cas vivement que vous
me répondrez... Je ne m’oppose pas à la publication de
ce témoignage avec votre réponse, mais je tiens à
rester anonyme, merci par avance.
Bonjour,
Je crois que, pour retrouver votre harmonie perdue, il serait vraiment
nécessaire que vous entrepreniez la thérapie que vous
avez envisagée.
Vous tenez beaucoup de clés de votre histoire mais cela ne suffit
pas : comprendre même ne suffit pas, le changement réclame
d'aller au delà.
Votre amant a de toute évidence abusé de vous, de la situation,
de votre jeunesse, c'est assez terrible. Il est bien possible aussi
que les relations sexuelles si peu consenties au fond que vous avez
subies avec d'autres inconnus aient provoqué chez vous les mêmes
dégâts que des viols : les conséquences psytchologiques
sont graves et durables, elles affectent profondément l'estime
de soi, la vie affective et la vie sexuelle.
Faites cette thérapie, c'est la seule voie.
Cordialement,
Yves LAMBERT
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