Abusée
par mon instituteur en CP, je réagis à l'émission
d'Envoyé Spécial (12.10.00) sur les victimes de
viol
Comme
beaucoup d'autres jeunes femmes dans mon cas, j'ai regardé Envoyé Spécial
hier sur France 2 l'émission sur le viol.
J'ai
moi même vécu à l'age de 6 ans, en CP des abus sexuel de mon instituteur.
En écoutant le témoignage de personnes de SOS Viol, l'une d'entre elles,
parlait au téléphone avec une jeune femme aujourd'hui majeure ayant
elle aussi subi des abus sexuel venant de son instituteur. Pendant un
instant je me suis dis que c'était peut être le même que moi !
Elle disait qu'il avait été inculpé et peut être allait-il être condamné.
Mais là je rêve !!!
J'ai aujourd'hui 25 ans, je vis avec ce poids depuis des années. Je
sais que je n'était pas la seule à subir ces abus, d'autres camarades
aussi "y sont passées". J'ai suivi une thérapie, car je ne supportais
plus mes cauchemars et mon incapacité à avoir des rapports sexuels avec
des hommes, j'avais même peur que mon père me prenne dans ses bras.
Aujourd'hui, je vis avec, un peu mieux, j'ai un compagnons qui m'aime,
à qui j'ai raconté brièvement mon histoire et qui comprend que
je ne peux pas le "satisfaire" autant que je le souhaiterais.
Je ne sais pas ce que j'attends de vous, peut être seulement une écoute
autre que celle de mes proches. J'avais 6 ans et lui était mon instituteur
de CP, il a donc du "détruire" des filles avant et après moi !
Ca me fout tellement les boules ! Il a détruit mon enfance, mon
adolescence, je ne veux pas qu'il me pourrisse d'avantage mais c'est
dur, très dur. Je n'ai pas porté plainte car je ne vois pas ce que je
pourrais prouver, ça fait tellement longtemps ! Mais si seulement
d'autres filles avaient elles porté plainte contre cet enfoiré, ce salaud
qui profitait de nous comme des jouets, comme SES jouets ! Pardonnez-moi,
je m'emballe mais quand j'y pense ça me rend folle !
Il avait le pouvoir, c'était l'instituteur, l'autorité toute puissante.
J'aimerais tellement lui casser la gueule !!! Bon, je crois que
je vais en rester là, encore une fois, je suis impuissante face à mon
passé.
Merci d'avoir pris le temps de lire mon histoire.
Bonjour,
J'ai bien sûr également regardé Envoyé Spécial hier soir.
Je comprends tout à fait ce que vous avez vécu et les conséquences sur
vous et votre relation aux hommes, jusqu'à aujourd'hui, terriblement
éprouvantes et dramatiques. De nombreuses personnes témoignent de même
que vous en nous adressant des emails.
Je suis très heureux pour vous que vous ayez trouvé un compagnon aimant
et compréhensif. Je suis également content - même si ça peut vous sembler
bizarre a priori - que vous vous emportiez (ce sont vos mots), que vous
soyez révoltée ainsi : c'est plutôt bon signe pour votre évolution
personnelle et c'est bien meilleur que le silence et certaines formes
de "résignation à la honte, à la culpabilité et à la souffrance" que
l'on voit malheureusement beaucoup trop souvent chez certaines victimes.
Donc, continuez à vous révolter ainsi et ne vous taisez jamais !
Vous avez 25 ans aujourd'hui. S'il y a eu viol de la part de votre instituteur
(par "viol" - désolé pour ces descriptions un peu crues, mais elles
sont je crois nécessaires pour être tout à fait clair -, vous devez
entendre [définition pénale] toute pénétration vaginale ou anale par
un quelconque "objet" [pénis mais aussi doigt, crayon, ...] ou
encore buccale par un pénis), le délai de prescription pour porter plainte
n'est pas dépassé : il est de 10 ans après la date de votre majorité
; donc jusqu'à 28 ans.
S'il n'y a pas eu viol au sens pénal, les abus dont vous avez été victime
seraient alors considérés comme des "agressions sexuelles" : ce n'est
alors, toujours au sens pénal, plus un crime mais un délit et le délai
de prescription est de 3 ans - il serait donc dépassé aujourd'hui.
Dans tous les cas, vous pouvez peut-être faire quelque chose.
Hypothèse
1 :
il y a eu viol. Vous pouvez porter plainte. Bien sûr, il n'existe plus
de preuves matérielles. Vous avez vu, lors de l'émission, qu'une plainte
peut très bien aboutir même en l'absence de toute preuve matérielle
et très longtemps après (je l'ai constaté moi-même à plusieurs reprises).
Dites-vous qu'une enquête judiciaire sera lancée, qu'elle sera très
sérieusement conduite, et que de nombreux et nombreuses anciennes élèves
de cet odieux personnage seront interrogés : ce serait bien le diable
si des témoignages ne venaient pas recouper le vôtre ... et cela serait
amplement suffisant.
Mais, même si ce n'était pas le cas, sachez que :
# vous devrez subir (le mot est juste car ce sera douloureux, notamment
parce que vous aurez l'impression qu'on met votre parole en doute ...)
des tests psychologiques : ceux-ci démontreront à l'évidence d'abord
que vous n'êtes pas affabulatrice et, ensuite, les traumatismes sérieux
qui sont conséquents de ces abus.
# dites-moi donc pour quelle autre raison vous poursuivriez aujourd'hui,
21 ans plus tard, un instituteur que vous n'avez plus revu depuis votre
CP ?
Hypothèse 2 : il n'y a pas eu viol au sens strict. Si cet homme
est encore en activité, ce qui est possible, ou en relations avec des
enfants (mais peu importe car vous ne le savez sans doute pas), vous
pouvez (vous devez ?) écrire au Procureur de la République (tribunal
ou préfecture du département de votre lieu de domicile) pour signaler :
# que, lorsque vous étiez en CP, vous avez été victime (par exemple)
d'attouchements (et tous détails que vous jugerez bon de livrer) de
la part de votre instituteur, Monsieur Machin, qui enseignait en telle
année dans telle école à tel endroit
# que vous n'avez jamais parlé avant ce jour mais que vous souffrez
toujours de ce traumatisme grave, avec de lourdes conséquences sur votre
vie quotidienne
# que vous ne pouvez plus porter plainte car les faits sont prescrits
# que vous ne pouvez avoir été la seule victime
# que des enfants sont très probablement encore ses victimes ou en danger
# et que c'est la raison qui vous pousse à écrire ce courrier.
Votre courrier sera pris au sérieux et une enquête sera diligentée.
Il est plus que probable que vous devrez être entendue par la police
mais de façon très succincte, simplement pour confirmer par procès-verbal
que vous êtes bien l'auteur de la lettre et que vous confirmez vos propos
; c'est tout. Il est ensuite possible, si un procès devait avoir lieu,
que vous soyez appelée à témoigner (du point de vue de la justice, comme
témoin, non comme victime puisque les faits sont prescrits, s'il n'y
a pas eu viol).
Il ne vous sera jamais reproché de n'avoir pas parlé avant :
les professionnels (procureur, magistrats, travaileurs sociaux, etc.)
savent très bien que ces criminels que sont les abuseurs font leur lit
du silence des victimes parce que, contre toute raison, ce sont elles
qui se sentent coupables et ont honte.
Vous pouvez faire quelque chose : vous pouvez au moins aider les autres
et, indirectement, faire entendre et reconnaître ce que vous avez vécu.
Ce n'est pas rien.
A bientôt.
Yves Lambert
PS : avec votre accord, je publierais volontiers votre message avec
ma réponse. Cela pourrait servir à d'autres. Qu'en pensez-vous ?