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Je me sens sale et sordide

Email anonyme myoho.bikuni@laposte.net
Réservé aux femmes victimes de viol. Merci des respecter ces conditions.

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Bonjour,
Je viens de consulter votre site ; c'est la première fois que je prends des renseignements concernant le viol. C'est aussi la première fois que je tente un contact pour essayer de comprendre et de faire quelque chose de positif de ce qui m'est arrivé il y a déjà longtemps.
C'est suite à une énième discussion avec mon compagnon sur le sujet que je me décide ; je souffre et il souffre. Et pourtant, j'hésite à vous confier mon histoire : j'ai peur de tout ce que vous pourriez me renvoyer sur moi-même. J'ai peur d'être coupable et aussi ridicule, et, paradoxalement, j'ai peur d'être rabaissée encore une fois dans mon histoire vécue, minorée dans ma souffrance de vie ; j'ai tellement connu cela.
J'ai longtemps étouffé tout cela : mon environnement familial était déplorable, le manque d'amour et de respect de ma personne étaient patents, ma culpabilité immense et mon refoulement très efficace.
J'ai aujourd'hui 32 ans et cela fait seulement un an et quelques mois que je me "souviens" progressivement, toujours avec beaucoup de souffrances et de culpabilité. C'est aussi progressivement que j'essaie de me reconstruire intérieurement, de tisser un peu de bonheur dans ma vie, tout simplement d'avancer.
Je crois que ce qui est le plus abject, c'est la culpabilité que je ressens et tout le poids de la faute que je porte sans réussir à m'en sortir.
J'avais 15 ans et demi/16 ans et je sortais profondément fragilisée d'une enfance dure et douloureuse. Je suis la troisième de trois filles, venue très tard (mère 41 ans et père 44 ans, à l'époque) dans une famille où l'on ne m'attendait pas et qui me l'a souvent rappelé. Ma mère, névrosée et profondément malheureuse dans sa vie, m'a fait payé un nombre de fois incalculable ma présence et sa propre culpabilité envers son comportement, sa fragilité et ses angoisses aussi. Je n'ai jamais eu le sentiment que ma vie avait une quelconque importance aux yeux de ma famille. Mon adolescence était dure, profondément meurtrie et marquée par la solitude. Je connaissais mes premiers émois sexuels et j'avais profondément besoin de plaire, de ne pas laisser indifférente pour une fois.
Nous avions à l'époque, chez mes parents, des voisins : un couple qui, en ce temps, devait avoir entre 35 et 45 ans ; ils étaient "libérés", à savoir qu'ils avaient chacun amants et maitresses de passage ; ils étaient aussi un couple qui ne s'entendait pas et l'homme battait sa femme.
Un soir, ils m'ont invitée à venir chez eux ; ils avaient une bouteille de champagne. Nous avons bu ; cela me faisait du bien que l'on s'intéresse à moi. Cette attitude et le champagne me tournaient la tête.
L'homme a commencé à se rapprocher de moi, en présence de sa femme qui "l'aidait" ; il a commencé à me déshabiller et à me caresser, toujours avec l'aide de sa femme, jusqu'à ce qu'il me pénètre.
J'étais à la fois tétanisée, incapable de réagir, dégoûtée et en même temps comme envoûtée : je me laissais faire. J'avais peur et étais incapable de prendre la mesure de ce qui se passait, de réagir, de faire une action quelle qu'elle soit.
Avant qu'il n'éjacule, sa femme lui a dit d'arrêter parce que je "n'avais pas de protection". En vous écrivant tout cela, j'ai profondément envie de vomir.
Je suis ensuite rentrée chez moi, serrant douloureusement toutes les fibres de ma vie ; je me sentais disloquée, incapable de faire quoi que ce soit de cette situation et surtout pas d'en parler. Et après, j'en ai fait le pire.
Ce n'est qu'aujourd'hui que je parviens un peu à mettre un nom sur ce que je pouvais ressentir.
Par la suite, j'ai revu cette femme (lui je l'évitais sans prendre conscience de la peur et du dégoût qui faisaient que je l'évitais) et je l'ai provoqué d'une manière abjecte - et de cela je ne peux encore en parler à personne - pour moi sur ce qui c'était passé.
C'est de toutes ces circonstances dont je me sens profondément coupable : ne pas m'être défendue, j'ai honte de ce que je ressens comme quelque chose qui aurait été chez moi de la provocation, je me sens comme une criminelle à mon égard et j'en ai très honte.
Pendant les années qui ont suivi, j'ai connu beaucoup d'autodestruction ; j'ai été boulimique et anorexique et la dépression ne me quittait pas, les tendances suicidaires non plus. Depuis bientôt 7 ans, j'ai entamé un travail sur moi et une lente progression pour voir le bout de mon tunnel. J'ai aussi, parallèlement grossi d'environ 40 kg et me suis laissée totalement allée en ce qui concerne mon image physique. Ce n'est que depuis quelques temps que je me préoccupe à nouveau de mon apparence, avec beaucoup de résistances et de tatonnements.
Une thérapie m'a permis de sortir avec beaucoup de résultats de la boulimie et de l'anorexie. J'ai rencontré un homme bon et profondément aimant. Mais, intérieurement, je me sens toujours aussi sale et sordide ; je ne parviens pas à vivre une sexualité épanouie. Et c'est un enfer.
Voilà, j'ai besoin d'aide et de réponses.
Merci.
M.

Bonjour, M.,
Merci de votre email que j'ai lu avec beaucoup d'attention, et merci de nous avoir confié votre histoire.
Avant toute chose, sachez que vous n'êtes (je reprends vos termes) ni coupable, ni ridicule, loin s'en faut. Il ne peut rien y avoir de ridicule dans la souffrance qui est la vôtre depuis si longtemps : elle existait depuis votre premier jour et le viol que vous avez subi n'a pu qu'exacerber tout cela, et pire.
Coupable, vous ne l'êtes pas non plus. Vous avez subi un viol en réunion, au cours duquel deux adultes mûrs et parfaitement responsables ont profité d'une ado mal dans sa peau qui ne pouvait pas se défendre. C'est abject, c'est un
crime d'un point de vue pénal, et ces voisins auraient été condamnés aux assises si vous aviez porté plainte avant vos 28 ans (hélas, désormais, il y a prescription ...).
A 15-16 ans, vous cherchiez à plaire, à séduire : extrêmement classique pour une adolescente en recherche d'elle-même, commençant à se confronter au regard des hommes.
Celles des adolescentes qui ont une enfance semblable à la vôtre se réfugient souvent dans une sorte de papillonnage frénétique avec les garçons, multipliant les aventures et acceptant à peu près n'importe quoi (y compris d'un point de vue sexuel) pourvu qu'elles aient le sentiment de plaire et d'être aimées, ce qui leur manque et leur a tant manqué. Parallèlement, elles n'ont qu'un rêve : trouver un prince charmant romantique et tendre ... à l'inverse du comportement irrespectueux des garçons qu'elles rencontre en général (pas forcément "irrespectueux". Disons que ces premières aventures sexuelles sont rarement épanouissantes pour la jeune fille). Cela semble évidemment paradoxal et elles sortent souvent de cette période (qui peut durer longtemps) très aigries, convaincus que le prince charmant n'existe pas, que les hommes sont tous des salauds qui ne pensent qu'à ça et se soucient comme de leur première chemise du bien-être féminin.
Certaines en viennent parfois à se convaincre que, si elles n'atteignent pas le bien-être amoureux et sexuel, c'est parce qu'elles sont nulles et, donc, responsables de ce qui leur arrive.
Elles ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, elles sont complètement victimes de la nature des relations parents-enfant qu'elles ont subies, et leur comportement n'est que la conséquence de cela, ce dont il est difficile de prendre conscience, et douloureux aussi.
Dans votre cas, ce qui s'est passé n'a pu que provoquer un écho désastreux au fond de vous : si plaire, c'est se condamner à ce que des gens vous nient, vous manquent à ce point de respect qu'ils pensent pouvoir faire ce qu'ils veulent de votre corps, ne tiennent aucun compte de votre consentement et vous proposent une sexualité bestiale, sans amour et sans sentiments, ...
C'est peu de dire que l'adolescente que vous étiez n'aurait bien entendu jamais dû subir de tels échanges sexuels, même s'ils avaient été consentis clairement par vous, parce qu'ils ne pouvaient respecter votre propre évolution d'ado, votre propre apprentissage de l'amour qui a son temps et son rythme et doit se faire avec des pairs, pas avec des adultes libidineux.
La culpabilité est une conséquence extrêmement fréquente du viol, contre toute raison. Vous vous sentez responsable, et cela vous torture : les abuseurs font leur lit de cet événement psychologique paradoxal qui explique si souvent le silence des victimes.
Autre conséquence également : la honte, qui la partage avec la culpabilité.
Dans votre situation, il doit être extrêmement difficile de démêler les conséquences de votre enfance/adolescence de cet événement traumatisant pour le moins. Dans un sens, cela fait un tout.
Votre manque de réaction face à ce couple est totalement explicable le jour en question, et vous ne devez en aucun cas vous en sentir coupable.
D'abord, vous aviez peur, ce qui est facile à comprendre. Ensuite, vous étiez envoûtée (ce sont vos mots) : transportée par le plaisir que vous apportait l'attention de ce couple, vous n'aviez probablement aucune idée de ce qui se tramait et les motifs réels de cet intérêt si marqué ... Lorsque vous vous en êtes rendu compte, votre cerveau était nécessairement en léthargie, incapable de vous procurer de quoi résoudre une situation que
vous ne compreniez pas : vous n'aviez pas encore appris à vous défendre, vous étiez une proie facile, et ces gens le savaient bien.
Il y a d'autres choses encore : les enfants sont éduqués de façon à être soumis aux adultes qui les entourent et aux adultes en général : ils représentent l'autorité. Une ado de 16 ans est complètement soumise à ce schéma, même si elle est en révolte. Non seulement soumise à l'autorité des adultes mais en plus, généralement, en admiration devant l'expérience et l'assurance dont elle a tant le sentiment de manquer elle-même. Dans ces conditions, il était impossible que vous révoltiez. La révolte ne pouvait venir qu'après, sûrement pas pendant, mais l'événement a aussi probablement cassé cela.
Par ailleurs, les filles et les garçons, dans notre société comme dans bien d'autres, sont éduqués de sorte qu'ils soient soumis à certains modèles. Un de ces modèles, quoi qu'on en pense, impose l'idée que la femme est passive et l'homme actif, surtout en matière sexuelle. De nombreuses femmes souffrent d'une relative passivité, qui les soumet aux hommes et les rendent incapables de maîtriser leur destin en la matière. Vous comprenez bien que, face à tout cela, vous êtes complètement victime et aucunement responsable.
Vous pouvez vous en sortir et trouver votre bien-être, d'autant que vous dites avoir un compagnon bon et aimant, mais le chemin est sûrement encore long
Avez-vous arrêté votre thérapie ? Avez-vous abordé tous ces événements avec votre psychothérapeute ?
A bientôt. Cordialement,
Yves Lambert

Bonjour,
Je vous remercie du fonds de mon coeur de la réponse que vous m'avez donnée.
J'ai un peu tardé à vous répondre : c'est assez difficile pour moi de réaliser que je ne suis pas coupable, même si j'ai ressenti un soulagement certain à la lecture de votre réponse.
J'ai le sentiment d'avoir fait un grand pas en prenant contact avec votre association et il faut intégrer, à mon rythme, tout ce qu'il en ressort.
Je dois vous dire que je ne suis plus en analyse depuis plusieurs mois. J'ai eu de nombreuses résistances à un travail d'analyse accompagnée et, au moment où le souvenir du viol commençait à faire surface, j'ai arrêté tout travail avec la thérapeute qui me suivait et qui se doutait bien que quelque chose de très traumatisant remontait (ce qui m'a encore plus encouragé à stopper ce travail).
Entre temps, j'ai dû terminer des études longues qui me prenaient beaucoup d'énergie (doctorat [... coupé pour respecter anonymat ...]), dont je suis d'ailleurs sortie vidée. J'ai eu besoin, et ai encore besoin, de beaucoup de temps pour me récupérer physiquement et me reconstruire intérieurement.
Je ne travaille plus (j'ai beaucoup travaillé pour payer mes études : 5 ans de [...] et 7 ans de thèse en [...]) et vais bientôt bénéficier du RMI ce que je vois d'un bon oeil car, d'un point de vue professionnel, je suis totalement en recherche de moi-même ; je vais faire un bilan professionnel qui, je le crois, me permettra d'y voir plus clair et de choisir de m'orienter dans quelque chose qui me conviendra vraiment et ne viendra pas uniquement compenser des pathologies. J'ai énormément souffert de mes études bien qu'elles m'aient permises d'une certaine manière de trouver de la reconnaissance.
De plus, jusqu'à ce que je rencontre mon compagnon, je vivais chez ma mère (mon père est mort), à [...] ; après avoir rencontré mon compagnon, je suis venue le rejoindre à [...]. Je suis désormais sur [...], à 900 km d'une famille avec laquelle c'est toujours autant difficile ; mais désormais j'apprends à privilégier ma vie avant celle de ma mère ou de mes soeurs. J'ai cherché sur [...] une association telle que la vôtre, sans succès pour l'heure.
J'avoue que je ne suis pas emballée par la reprise d'un travail avec un psychothérapeute. Je ressens surtout le besoin de faire un travail corporel : j'ai le dos "fracassé" et mon bassin se bloque régulièrement (problème de hanche et de lombaires) ; j'étais quelqu'un d'assez sportif jusqu'à ce que j'arrête tout sport du jour au lendemain et je ressens le besoin de passer par la dimension corporelle. Eventuellement, je recherche un groupe de paroles pour partager des expériences, des chemins de vie.
Je ne sais pas si vous êtes en relation avec d'autres associations similaires à la vôtre sur la France et notamment vers [...] ; dans l'affirmative, si vous pouviez m'indiquer une adresse, cela serait bien.
Je vous suis très reconnaissante de votre assistance.
A bientôt,
M.

Bonjour,
Tout d'abord, félicitations pour vos études : c'est une vraie réussite que celle-là.
Malheureusement, je ne peux vous donner d'adresses de groupes de paroles sur [...]. Vous pouvez demander à SOS Viols au 0.800.05.95.95 (anonyme et gratuit) : les répondantes ont un annuaire fourni. Vous pouvez éventuellement vous adresser à SOS Femmes Marseille au 04.91.90.79.07 ... mais je ne connais pas cette association, je ne sais donc pas quels services elle rend exactement.
C'est vraiment dommage que vous ayez arrêté votre psychothérapie au moment où, justement, les souvenirs du viol remontaient à la surface ... Je comprends tout à fait que de revivifier cette douleur vous ait fait reculer mais c'est précisément à ce moment qu'il fallait continuer : cela aurait été une souffrance terrible, sans aucun doute, mais - paradoxalement - c'est le prix à payer pour en être débarrassé définitivement.
A vous de voir, dans l'avenir, si vous souhaitez reprendre ou non ... mais je crains que ce soit un parcours indispensable si vous voulez pouvoir vivre avec. En effet, vous n'effacerez jamais le passé et ce qui est arrivé : vous tenterez de le repousser au fond de votre esprit, vous essayerez de l'assoupir de sorte qu'il ne se réveille pas ... mais il se réveillera toujours et remontera toujours à la surface, peut-être aux pires moments.
La seule solution est d'extirper cela une bonne fois pour toute, de faire remonter ces souvenirs et cette souffrance à la surface pour pouvoir les contrôler, les comprendre et, encore une fois, vivre avec.
Vous vous apercevrez alors que, même si les "mauvais souvenirs" restent (forcément), ils ne font plus mal avec la même intensité, deviennent sans conséquence sur votre "aujourd'hui" et ne vous empêchent plus de vivre.
Vous avez raison de privilégier votre vie : faites même plus : ne vous occupez plus que de vous (et de votre compagnon, dans un échange réciproque). Soyez définitivement égoïste et égocentré.
Prenez soin de vous.
Cordialement,
Yves Lambert

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