Un enfant quand je veux
Le désir d'enfant est universel.
Avant
d'être une aventure personnelle, le désir d'enfant s'enracine
dans notre nature de mammifère. L'espèce a besoin de
se reproduire.
Dans le règne animal, la reproduction est strictement
gérée par l'instinct. Même s'ils sont très compliqués, les
rituels qui régissent le choix du partenaire, l'accouplement
et la protection des petits, ne laissent aucune place à la
fantaisie personnelle. Ils sont identiques pour tous les
individus d'une même espèce. L'accouplement est entièrement
soumis à la reproduction et il est déterminé par les périodes
de fécondité des femelles.
Pour l'être humain, la sexualité n'est pas liée
uniquement à la reproduction. Sauf dans les fantasmes des
petits enfants. Lorsqu'ils commencent à comprendre quelque
chose au mystère de leur naissance, ils imaginent que leurs
parents ont fait l'amour une fois par frère et sœur et je
dirais que les gens qui refusent l'accès à la contraception et
à l'avortement sont restés à ce stade puisqu'ils ne
parviennent pas à séparer le devoir conjugal de la nécessité
d'avoir des enfants.
On sait depuis Freud que la sexualité est le moteur
de la construction psychique de l'être humain. C'est
d'abord, pour le tout petit enfant un attachement à ses
premiers objets d'amour : ses parents.
La mère est le premier objet d'amour, le père
intervient en tiers dans la bulle mère-enfant. La
qualité de ce premier lien va déterminer pour l'avenir sa
capacité à aimer en permettant que se constitue le narcissisme
primaire.
Vient ensuite, la prise de conscience d'une identité fille
ou garçon que l'enfant devra assumer en s'identifiant au
parent du même sexe et en éprouvant sa séduction sur le parent
du sexe opposé.
Puis au cours de sa découverte d'un monde extérieur au
cercle familial, il va diversifier ses objets d'amour,
découvrir des Autres semblables et différents.
A l'adolescence, avec la puberté, la découverte d'une sexualité
génitale qui précise vers quel objet s'oriente le désir
et donne sens à la rencontre de l'Autre.
Et seulement ensuite, quand la femme est parvenue au bout de
son évolution sexuelle et affective, quand elle a
rencontré - ou cru rencontrer - le partenaire qui
lui convient, émerge véritablement le désir d'un enfant.
Françoise DOLTO pense que l'expérience de la maternité
est la dernière mutation dans la vie d'une femme après
la puberté puis la première expérience sexuelle, le premier
orgasme. Viendront ensuite, à la ménopause les renoncements
nécessaires à la fécondité et à la jeunesse. Elle dit aussi
que la maternité est un besoin dans le corps d'une
femme. L'impossibilité de remplir ce besoin entraîne le
sentiment d'être mutilée. Lorsqu'un besoin fondamental est
contrarié, apparaît la sensation de manque, qui envahit tout
le champ de la conscience. Toute l'énergie disponible est
alors tendue vers le seul but de faire cesser la tension
douloureuse provoquée par ce manque.
C'est ce que nous entendons au cours des entretiens avec des
femmes qui sont confrontées à des problèmes de stérilité. Le
besoin est si fort et la souffrance si intolérable que le
désir d'enfant se transforme en une quête d'enfant à tout
prix. Elles multiplient les traitements, les tentatives
d'insémination, parfois compulsivement, au prix de contraintes
et de souffrances considérables.
Pour s'humaniser le besoin doit devenir désir.
Il faudra un long cheminement pour que le désir d'un enfant
dans ses bras, le désir d'enfant pour l'élever et le voir
grandir, se dégage du besoin d'un enfant dans son ventre,
rendant possible la démarche d'adoption. Certaines n'y
parviennent pas et se sentent mutilées, d'autres n'osent pas
parce qu'elles en viennent à douter de leur capacité à donner
de l'amour et d'autres ne se sentent pas suffisamment
soutenues par leur compagnon.
Les hommes sont également concernés.
Car les hommes et les femmes ne se situent pas de la même
manière par rapport au désir d'enfant. Mais les hommes sont
également concernés par la parentalité.
Naouri situe le désir d'enfant, le désir de fonder
sa propre famille, d'avoir sa propre descendance comme
l'ultime étape vers l'autonomie par rapport à ses propres
parents. Devenir parent serait le signe ou le moyen du renoncement
à l'enfance.
Mais, pour eux, la parentalité est toujours adoptive.
L'enfant qu'on leur met dans les bras au moment de la
naissance, ils doivent le reconnaître comme le leur,
comme témoignage de la confiance qu'ils ont dans la femme
aimée.
Cette démarche est essentielle pour que l'enfant trouve
sereinement sa place dans sa généalogie, qu'il se
construise une identité en s'appuyant sur un nom.
Deux périodes particulières
L'adolescence.
L'adolescence
est l'âge de tous les dangers, y compris et surtout,
dans le domaine de l'affectivité et donc de la sexualité.
C'est l'âge des contradictions et des passages à
l'acte, c'est l'âge où le dialogue avec les adultes,
notamment les parents, devient difficile. Donc, où
l'information, même si elle est donnée correctement (ce qui
n'est pas toujours le cas) ne suffit pas
On voit souvent des ados "tomber enceintes" avec la boîte de
pilules dans leur poche car "ça n'arrive qu'aux autres" ou
bien "je la prendrai le mois prochain".
C'est l'âge des premières découvertes sensuelles, l'apprentissage
de la séduction. Dans notre société où le sexe s'affiche
partout, les adolescentes ont hâte d'explorer cette voie
nouvelle que leur ouvre la pulsion génitale. Il est
tentant de jouer à l'adulte, en transgressant des interdits,
en s'autorisant des gestes réservés aux parents.
C'est l'âge où on agit avant de penser, donc on ne
pense pas aux conséquences.
C'est aussi pour des ados mal aimées une fuite en
avant dans des aventures répétitives afin de s'assurer
sur sa capacité à être aimée. Il peut s'agir parfois
d'une forme de violence, qui sans être un viol caractérisé
puisque la fille s'est laissée faire, mais qui prend cette
valeur après coup quand elle a le sentiment d'avoir cédé au
chantage.
Mais ont-elles pour autant un désir
d'enfant ?
Peut-être
que oui, car il n'y a pas d'âge limite pour construire
une relation affective stable et un désir d'enfant
partagé, c'est culturel !
Peut-être que oui parce que le rêve d'un beau bébé
à pouponner quand on a soi-même été mal aimée
est une grande tentation. C'est un vrai problème car
c'est souvent la première fois que ces filles éprouvent un
attachement profond, un lien authentique qui pourrait les
aider à se reconstruire. Il faudrait que la société leur donne
les moyens de faire face humainement à cette grossesse, ce qui
n'est pas vraiment le cas.
Mais le plus souvent, la question du désir d'enfant ne
s'est même pas posée.
La première relation sexuelle, qui est très importante, car
elle va les faire devenir femme, est une
rencontre avec soi-même et avec l'autre sans qu'un tiers y
soit désiré. Je voudrais citer ici Françoise DOLTO qui
écrivait en 86 dans Sexualité Féminine : "La
contraception devrait être un moyen extraordinaire chez les
jeunes filles qui commencent leur vie relationnelle et qui ne
sont pas en âge affectif d'être mères." On ne peut pas dire
qu'elle avait de la complaisance pour les idées féministes,
son attachement aux valeurs catholiques était bien connu, mais
elle avait un très grand respect pour toutes les personnes.
La quarantaine.
A
l'approche de la ménopause, alors que les enfants sont
élevés et deviennent autonomes, la tentation est forte de se
donner le plaisir de pouponner à nouveau, de se
prouver à soi-même que l'on peut encore donner la vie.
Certains échecs de la contraception peuvent être interprétés
de cette manière comme si le désir trop bien refoulé se
faisait un passage malgré toutes les bonnes raisons
raisonnables qu'on a de ne pas mettre un nouvel enfant en
route.
Pour certaines, le deuil de la jeunesse est déjà
clairement amorcé et la balance penche du côté de l'IVG.
Pour d'autres, ce sera la naissance d'un petit dernier.
L'enfant de la dernière chance sur qui pèsera la
responsabilité de la vieillesse des parents.
On voit même émerger des pratiques douteuses comme
l'insémination après ménopause, comme si la science devait
trouver des solutions pour tous les caprices, pour les
fantasmes d'éternelle jeunesse. Mais je me demande
quelle place est faite à ce pauvre enfant phénomène, objet
fétiche d'une mère incorrigiblement narcissique.
Le désir d'enfant est parfois empêché.
Au
cours des entretiens pré-IVG, les femmes nous disent leur
désir d'enfant.
Soit elles ont déjà eu des enfants et nous expriment tout le
bonheur qu'elles ont éprouvé, soit elles n'ont en pas encore
et elles parlent avec émotion des enfants qu'elles espèrent
avoir plus tard.
Les femmes sont toujours du côté de la vie.
Il y a trois raisons principales pour qu'une femme refuse la
grossesse :
la peur de l'avenir ou la peur
de ne pas pouvoir élever son enfant correctement.
La peur de perdre un emploi ou de ne pas être retenue
pour un job tant attendu arrive en tête des motivations. Mais
les raisons économiques ne sont pas seules en
cause. La pression médiatique sur l'enfant, cible
privilégiée des campagnes publicitaires, fait que les femmes
ont le sentiment de ne pouvoir assumer tout ce qu'on attend
d'elles en temps, en argent, en disponibilité … Elles
veulent toujours le meilleur pour leur enfant et se sentent
"bouffées" par trop d'exigences. S'il n'a pas tout le confort,
de beaux vêtements avec des marques, les jouets proposés par
la télé, si papa n'a pas une belle voiture ou une belle
maison …, il ne pourra pas vivre, le cher petit ! A
force de promouvoir le règne de l'enfant roi, on se décourage
d'en faire.
On observe la même inflation sur les exigences éducatives.
La psychologie mal digérée véhicule l'idée que c'est très
difficile d'élever des enfants, il faut tout leur donner tout
le temps, il ne faut pas les frustrer, pas les culpabiliser,
les traumatiser. Ce sont les mères alors qui culpabilisent,
qui n'ont plus confiance en elles, qui ne s'autorisent plus de
vie personnelle. Plus on réfléchit et plus on hésite. Alors
que des familles qui vivent de manière très précaire ne se
posent aucune question.
Les travailleurs sociaux connaissent bien ces familles où il
est impossible de mettre en place une planification des
naissances, faute de pouvoir se projeter dans l'avenir. Seul
compte le besoin immédiat, et pour le reste, le RMI y
pourvoira.
la solitude parce que l'homme
s'est soudain dérobé à l'annonce de l'événement, même s'il
était prévu à deux. La place de l'homme actuellement
est difficile, les femmes changent et ils ne savent
pas toujours se situer par rapport à cette évolution alors
certains préfèrent fuir leurs responsabilités, rester des
enfants, changer de femme dès qu'elle se tourne vers un désir
d'enfant, comme si cet enfant allait prendre leur place.
L'accès à la parentalité est aussi pour eux une étape
importante mais les femmes sont au premier plan dans cette
affaire, ils ne savent pas bien comment s'y introduire.
Les femmes ne les y aident pas toujours tant est forte
la tentation de garder l'enfant pour elles
seules.
L'avènement des "nouveaux pères" n'est pas encore pour tout de
suite. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, que les pères se
transforment en mères auxiliaires, car les enfants ont besoin
que papa se sente bien dans sa peau d'homme. Il faut que les
hommes inventent leur manière propre d'être pères. Lire Naouri
: Une place pour le père.
Donc, beaucoup de femmes finissent par se retrouver seules
pour élever leur enfant. Certaines le font, c'est possible,
mais c'est dur. D'autres ne s'en sentent pas capables et
personne ne peut le savoir à leur place.
la haine de ce qui arrive à leur
corps défendant à l'intérieur d'elles-mêmes dans le cas
où la relation sexuelle aurait été plus ou moins contrainte.
Je ne parle pas seulement de viol qualifié mais de relations
vécues sans enthousiasme, sans véritable adhésion. Soit
pour faire plaisir au conjoint alors que la relation affective
dans le couple ne soutient plus suffisamment l'élan vers
l'autre ; soit, pour des adolescentes, parce que cette
relation a été plus ou moins imposée par le garçon ("si tu ne
veux pas, je te quitte") ou qu'elle était prématurée dans son
évolution, acceptée simplement par curiosité, envie de jouer à
l'adulte.
Un enfant si je veux
Le désir d'enfant n'est pas permanent.
La
vie d'une femme ne se résume pas au désir d'enfant. Ce
qu'elles nous disent la plupart du temps, c'est "pas
maintenant".
Comme tout désir humain, le désir d'enfant peut être sublimé.
C'est à dire que ce besoin de créer, de donner vie qui nous
anime au plus profond de nous même peut être détourné vers
d'autres tâches jugées plus essentielles. Je pense à Simone de
Beauvoir qui ne voulait pas d'enfants parce que sa création
littéraire lui semblait un plus beau cadeau à faire à la
postérité qu'un enfant en chair et en os. On peut aussi
désirer créer une entreprise, se consacrer à un métier qu'on
aime ou à l'humanité, les causes ne manquent pas. On peut être
une femme épanouie sans avoir eu d'enfants.
Mais la plupart du temps, il y a un temps pour tout.
Grâce à la contraception, les femmes parviennent à gérer
leur désir d'enfants et d'autres projets. Les
femmes peuvent poursuivre des projets personnels sans se
mutiler de leur vie affective et sexuelle.
Cependant, tout n'est pas parfait.
La
contraception repose encore entièrement sur les femmes,
la recherche n'avance pas beaucoup sur la contraception
masculine. Il y a bien le préservatif que la jeune génération
commence à utiliser mais la sécurité n'est pas totale et
l'utilisation pas évidente. Certaines femmes ne supportent
aucun moyen et restent donc avec leurs angoisses. La pilule,
qui est le moyen le plus sûr, demande un minimum de maturité
et de sens des responsabilités, il faut notamment ne pas
l'oublier, la contrainte de la prise régulière est
insupportable pour certaines. D'où, pour les ados l'importance
de cette pilule du lendemain dont on parle beaucoup en ce
moment pour rattraper les conséquences de l'imprévoyance qui
est normale à cet âge où on agit avant de penser.
Et puis, surtout, il reste toujours le jeu de
l'inconscient. Si la partie raisonnable de moi ne veut
toujours pas d'enfant, mais une autre partie de moi en a bien
envie, alors la porte est ouverte pour tous les
ratés.
Il reste alors le recours à l'IVG.
Je
ne pense pas que les femmes prennent cet acte à la légère.
Sauf quelques incorrigibles immatures qui seront
multirécidivistes sans qu'on y puisse rien. Mais la plupart du
temps, les femmes réfléchissent, hésitent et
se culpabilisent. Je trouve très important que la loi
ait prévu un entretien à ce moment toujours difficile du choix
d'interrompre une grossesse. Je suis toujours très étonnée de
la facilité avec laquelle les femmes racontent leur vie dans
toute son intimité comme si ce moment les poussait à faire le
point sur leur vie de femme, leur choix de vie, leurs enfants,
leur homme. C'est l'histoire du désir qui est illimité et de
la réalité qui impose ses limites et sa frustration Elles
arrivent souvent coupables et agressives mais, en général
elles repartent apaisées, réconciliées avec elles-mêmes. Elles
n'ont pas trouvé de solution à leurs problèmes mais, en
sortant, elles se poseront sûrement les bonnes questions qui
les guideront vers une meilleure prise de conscience de leur
dignité.
En conclusion
Il
faudrait d'autres lieux, d'autres occasions pour que les
femmes puissent trouver une écoute respectueuse ou la
parole sur les choses de la sexualité soit authentique.
On parle beaucoup en ce moment des infirmières scolaires et je
trouve très positif qu'on les encourage à dialoguer avec les
jeunes, pas seulement pour leur distribuer des pilules mais
pour les aider à prendre leurs responsabilités. Mais la
réflexion sur ce sujet devrait concerner toutes les personnes
qui ont une fonction d'accueil. Si l'intervenant est réceptif,
les confidences émergent, la parole se libère et ce
qui paraissait compliqué, lourd à porter, culpabilisant,
devient simplement humain.
De telles occasions, de tels lieux sont encore à inventer,
et vous avez peut-être des idées sur la manière de construire
ensemble une société où les femmes seraient aidées à mettre au
monde des enfants dans des conditions plus humaines ...
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