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Désir d'enfant et contraintes sociales

 

Pendant longtemps, la sexualité et la fécondité étaient liés par fatalité biologique. Désirées ou pas, les grossesses se succédaient ou se refusaient sans qu'on n'y puisse rien. Encore que ! La contraception a été une préoccupation dès qu'a émergé un minimum de civilisation. Les Egyptiens avaient déjà inventé le stérilet, ils introduisaient un diamant. Mais c'est seulement très récemment que la contraception permet enfin une certaine maîtrise de la fécondité.

Le Planning se bat depuis 1956, mais la loi Neuwirth ne date que de 1967 (droit à la contraception). C'est une étape décisive dans la condition de la femme (pour Elisabeth Badinter, c'est une mutation, une cassure). Le désir sexuel et le désir d'enfant se séparent et suivent leur logique propre. Mais, alors tout se complique, car ce qui relevait du hasard relève d'une décision personnelle. Alors, qui dit choix, dit liberté, responsabilité, maturité, réflexion …, risque d'erreur … d'où le choix de mon intervention pour tenter d'y voir plus clair sur le désir ou le non-désir d'enfant.

© Juliette Michel
Photo : Juliette Michel

Par Bernadette MATHIEU, psychologue,
Mouvement Français pour le Planning Familial
de Haute-Marne (coordonnées).
Texte écrit à l'occasion d'un colloque sur l'IVG,
8 mars 2000
(Journée Internationale des Femmes),
Chaumont, 52.


Un enfant quand je veux

Le désir d'enfant est universel.

Avant d'être une aventure personnelle, le désir d'enfant s'enracine dans notre nature de mammifère. L'espèce a besoin de se reproduire.
Dans le règne animal, la reproduction est strictement gérée par l'instinct. Même s'ils sont très compliqués, les rituels qui régissent le choix du partenaire, l'accouplement et la protection des petits, ne laissent aucune place à la fantaisie personnelle. Ils sont identiques pour tous les individus d'une même espèce. L'accouplement est entièrement soumis à la reproduction et il est déterminé par les périodes de fécondité des femelles.
Pour l'être humain, la sexualité n'est pas liée uniquement à la reproduction. Sauf dans les fantasmes des petits enfants. Lorsqu'ils commencent à comprendre quelque chose au mystère de leur naissance, ils imaginent que leurs parents ont fait l'amour une fois par frère et sœur et je dirais que les gens qui refusent l'accès à la contraception et à l'avortement sont restés à ce stade puisqu'ils ne parviennent pas à séparer le devoir conjugal de la nécessité d'avoir des enfants.
On sait depuis Freud que la sexualité est le moteur de la construction psychique de l'être humain. C'est d'abord, pour le tout petit enfant un attachement à ses premiers objets d'amour : ses parents.
La mère est le premier objet d'amour, le père intervient en tiers dans la bulle mère-enfant. La qualité de ce premier lien va déterminer pour l'avenir sa capacité à aimer en permettant que se constitue le narcissisme primaire.
Vient ensuite, la prise de conscience d'une identité fille ou garçon que l'enfant devra assumer en s'identifiant au parent du même sexe et en éprouvant sa séduction sur le parent du sexe opposé.
Puis au cours de sa découverte d'un monde extérieur au cercle familial, il va diversifier ses objets d'amour, découvrir des Autres semblables et différents.
A l'adolescence, avec la puberté, la découverte d'une sexualité génitale qui précise vers quel objet s'oriente le désir et donne sens à la rencontre de l'Autre.
Et seulement ensuite, quand la femme est parvenue au bout de son évolution sexuelle et affective, quand elle a rencontré - ou cru rencontrer - le partenaire qui lui convient, émerge véritablement le désir d'un enfant.
Françoise DOLTO pense que l'expérience de la maternité est la dernière mutation dans la vie d'une femme après la puberté puis la première expérience sexuelle, le premier orgasme. Viendront ensuite, à la ménopause les renoncements nécessaires à la fécondité et à la jeunesse. Elle dit aussi que la maternité est un besoin dans le corps d'une femme. L'impossibilité de remplir ce besoin entraîne le sentiment d'être mutilée. Lorsqu'un besoin fondamental est contrarié, apparaît la sensation de manque, qui envahit tout le champ de la conscience. Toute l'énergie disponible est alors tendue vers le seul but de faire cesser la tension douloureuse provoquée par ce manque.
C'est ce que nous entendons au cours des entretiens avec des femmes qui sont confrontées à des problèmes de stérilité. Le besoin est si fort et la souffrance si intolérable que le désir d'enfant se transforme en une quête d'enfant à tout prix. Elles multiplient les traitements, les tentatives d'insémination, parfois compulsivement, au prix de contraintes et de souffrances considérables.
Pour s'humaniser le besoin doit devenir désir. Il faudra un long cheminement pour que le désir d'un enfant dans ses bras, le désir d'enfant pour l'élever et le voir grandir, se dégage du besoin d'un enfant dans son ventre, rendant possible la démarche d'adoption. Certaines n'y parviennent pas et se sentent mutilées, d'autres n'osent pas parce qu'elles en viennent à douter de leur capacité à donner de l'amour et d'autres ne se sentent pas suffisamment soutenues par leur compagnon.

Les hommes sont également concernés.

Car les hommes et les femmes ne se situent pas de la même manière par rapport au désir d'enfant. Mais les hommes sont également concernés par la parentalité.
Naouri situe le désir d'enfant, le désir de fonder sa propre famille, d'avoir sa propre descendance comme l'ultime étape vers l'autonomie par rapport à ses propres parents. Devenir parent serait le signe ou le moyen du renoncement à l'enfance.
Mais, pour eux, la parentalité est toujours adoptive. L'enfant qu'on leur met dans les bras au moment de la naissance, ils doivent le reconnaître comme le leur, comme témoignage de la confiance qu'ils ont dans la femme aimée.
Cette démarche est essentielle pour que l'enfant trouve sereinement sa place dans sa généalogie, qu'il se construise une identité en s'appuyant sur un nom.

Deux périodes particulières

L'adolescence.

L'adolescence est l'âge de tous les dangers, y compris et surtout, dans le domaine de l'affectivité et donc de la sexualité. C'est l'âge des contradictions et des passages à l'acte, c'est l'âge où le dialogue avec les adultes, notamment les parents, devient difficile. Donc, où l'information, même si elle est donnée correctement (ce qui n'est pas toujours le cas) ne suffit pas
On voit souvent des ados "tomber enceintes" avec la boîte de pilules dans leur poche car "ça n'arrive qu'aux autres" ou bien "je la prendrai le mois prochain".
C'est l'âge des premières découvertes sensuelles, l'apprentissage de la séduction. Dans notre société où le sexe s'affiche partout, les adolescentes ont hâte d'explorer cette voie nouvelle que leur ouvre la pulsion génitale. Il est tentant de jouer à l'adulte, en transgressant des interdits, en s'autorisant des gestes réservés aux parents.
C'est l'âge où on agit avant de penser, donc on ne pense pas aux conséquences.
C'est aussi pour des ados mal aimées une fuite en avant dans des aventures répétitives afin de s'assurer sur sa capacité à être aimée. Il peut s'agir parfois d'une forme de violence, qui sans être un viol caractérisé puisque la fille s'est laissée faire, mais qui prend cette valeur après coup quand elle a le sentiment d'avoir cédé au chantage.

Mais ont-elles pour autant un désir d'enfant ?

Peut-être que oui, car il n'y a pas d'âge limite pour construire une relation affective stable et un désir d'enfant partagé, c'est culturel !
Peut-être que oui parce que le rêve d'un beau bébé à pouponner quand on a soi-même été mal aimée est une grande tentation. C'est un vrai problème car c'est souvent la première fois que ces filles éprouvent un attachement profond, un lien authentique qui pourrait les aider à se reconstruire. Il faudrait que la société leur donne les moyens de faire face humainement à cette grossesse, ce qui n'est pas vraiment le cas.
Mais le plus souvent, la question du désir d'enfant ne s'est même pas posée.
La première relation sexuelle, qui est très importante, car elle va les faire devenir femme, est une rencontre avec soi-même et avec l'autre sans qu'un tiers y soit désiré. Je voudrais citer ici Françoise DOLTO qui écrivait en 86 dans Sexualité Féminine : "La contraception devrait être un moyen extraordinaire chez les jeunes filles qui commencent leur vie relationnelle et qui ne sont pas en âge affectif d'être mères." On ne peut pas dire qu'elle avait de la complaisance pour les idées féministes, son attachement aux valeurs catholiques était bien connu, mais elle avait un très grand respect pour toutes les personnes.

La quarantaine.

A l'approche de la ménopause, alors que les enfants sont élevés et deviennent autonomes, la tentation est forte de se donner le plaisir de pouponner à nouveau, de se prouver à soi-même que l'on peut encore donner la vie. Certains échecs de la contraception peuvent être interprétés de cette manière comme si le désir trop bien refoulé se faisait un passage malgré toutes les bonnes raisons raisonnables qu'on a de ne pas mettre un nouvel enfant en route.
Pour certaines, le deuil de la jeunesse est déjà clairement amorcé et la balance penche du côté de l'IVG.
Pour d'autres, ce sera la naissance d'un petit dernier. L'enfant de la dernière chance sur qui pèsera la responsabilité de la vieillesse des parents.
On voit même émerger des pratiques douteuses comme l'insémination après ménopause, comme si la science devait trouver des solutions pour tous les caprices, pour les fantasmes d'éternelle jeunesse. Mais je me demande quelle place est faite à ce pauvre enfant phénomène, objet fétiche d'une mère incorrigiblement narcissique.

Le désir d'enfant est parfois empêché.

Au cours des entretiens pré-IVG, les femmes nous disent leur désir d'enfant.
Soit elles ont déjà eu des enfants et nous expriment tout le bonheur qu'elles ont éprouvé, soit elles n'ont en pas encore et elles parlent avec émotion des enfants qu'elles espèrent avoir plus tard.
Les femmes sont toujours du côté de la vie.
Il y a trois raisons principales pour qu'une femme refuse la grossesse :

 la peur de l'avenir ou la peur de ne pas pouvoir élever son enfant correctement.
La peur de perdre un emploi ou de ne pas être retenue pour un job tant attendu arrive en tête des motivations. Mais les raisons économiques ne sont pas seules en cause. La pression médiatique sur l'enfant, cible privilégiée des campagnes publicitaires, fait que les femmes ont le sentiment de ne pouvoir assumer tout ce qu'on attend d'elles en temps, en argent, en disponibilité … Elles veulent toujours le meilleur pour leur enfant et se sentent "bouffées" par trop d'exigences. S'il n'a pas tout le confort, de beaux vêtements avec des marques, les jouets proposés par la télé, si papa n'a pas une belle voiture ou une belle maison …, il ne pourra pas vivre, le cher petit ! A force de promouvoir le règne de l'enfant roi, on se décourage d'en faire.
On observe la même inflation sur les exigences éducatives. La psychologie mal digérée véhicule l'idée que c'est très difficile d'élever des enfants, il faut tout leur donner tout le temps, il ne faut pas les frustrer, pas les culpabiliser, les traumatiser. Ce sont les mères alors qui culpabilisent, qui n'ont plus confiance en elles, qui ne s'autorisent plus de vie personnelle. Plus on réfléchit et plus on hésite. Alors que des familles qui vivent de manière très précaire ne se posent aucune question.
Les travailleurs sociaux connaissent bien ces familles où il est impossible de mettre en place une planification des naissances, faute de pouvoir se projeter dans l'avenir. Seul compte le besoin immédiat, et pour le reste, le RMI y pourvoira.

 la solitude parce que l'homme s'est soudain dérobé à l'annonce de l'événement, même s'il était prévu à deux. La place de l'homme actuellement est difficile, les femmes changent et ils ne savent pas toujours se situer par rapport à cette évolution alors certains préfèrent fuir leurs responsabilités, rester des enfants, changer de femme dès qu'elle se tourne vers un désir d'enfant, comme si cet enfant allait prendre leur place. L'accès à la parentalité est aussi pour eux une étape importante mais les femmes sont au premier plan dans cette affaire, ils ne savent pas bien comment s'y introduire. Les femmes ne les y aident pas toujours tant est forte la tentation de garder l'enfant pour elles seules.
L'avènement des "nouveaux pères" n'est pas encore pour tout de suite. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, que les pères se transforment en mères auxiliaires, car les enfants ont besoin que papa se sente bien dans sa peau d'homme. Il faut que les hommes inventent leur manière propre d'être pères. Lire Naouri : Une place pour le père.
Donc, beaucoup de femmes finissent par se retrouver seules pour élever leur enfant. Certaines le font, c'est possible, mais c'est dur. D'autres ne s'en sentent pas capables et personne ne peut le savoir à leur place.

 la haine de ce qui arrive à leur corps défendant à l'intérieur d'elles-mêmes dans le cas où la relation sexuelle aurait été plus ou moins contrainte. Je ne parle pas seulement de viol qualifié mais de relations vécues sans enthousiasme, sans véritable adhésion. Soit pour faire plaisir au conjoint alors que la relation affective dans le couple ne soutient plus suffisamment l'élan vers l'autre ; soit, pour des adolescentes, parce que cette relation a été plus ou moins imposée par le garçon ("si tu ne veux pas, je te quitte") ou qu'elle était prématurée dans son évolution, acceptée simplement par curiosité, envie de jouer à l'adulte.

Un enfant si je veux

Le désir d'enfant n'est pas permanent.

La vie d'une femme ne se résume pas au désir d'enfant. Ce qu'elles nous disent la plupart du temps, c'est "pas maintenant".
Comme tout désir humain, le désir d'enfant peut être sublimé. C'est à dire que ce besoin de créer, de donner vie qui nous anime au plus profond de nous même peut être détourné vers d'autres tâches jugées plus essentielles. Je pense à Simone de Beauvoir qui ne voulait pas d'enfants parce que sa création littéraire lui semblait un plus beau cadeau à faire à la postérité qu'un enfant en chair et en os. On peut aussi désirer créer une entreprise, se consacrer à un métier qu'on aime ou à l'humanité, les causes ne manquent pas. On peut être une femme épanouie sans avoir eu d'enfants.
Mais la plupart du temps, il y a un temps pour tout.
Grâce à la contraception, les femmes parviennent à gérer leur désir d'enfants et d'autres projets. Les femmes peuvent poursuivre des projets personnels sans se mutiler de leur vie affective et sexuelle.

Cependant, tout n'est pas parfait.

La contraception repose encore entièrement sur les femmes, la recherche n'avance pas beaucoup sur la contraception masculine. Il y a bien le préservatif que la jeune génération commence à utiliser mais la sécurité n'est pas totale et l'utilisation pas évidente. Certaines femmes ne supportent aucun moyen et restent donc avec leurs angoisses. La pilule, qui est le moyen le plus sûr, demande un minimum de maturité et de sens des responsabilités, il faut notamment ne pas l'oublier, la contrainte de la prise régulière est insupportable pour certaines. D'où, pour les ados l'importance de cette pilule du lendemain dont on parle beaucoup en ce moment pour rattraper les conséquences de l'imprévoyance qui est normale à cet âge où on agit avant de penser.
Et puis, surtout, il reste toujours le jeu de l'inconscient. Si la partie raisonnable de moi ne veut toujours pas d'enfant, mais une autre partie de moi en a bien envie, alors la porte est ouverte pour tous les ratés.

Il reste alors le recours à l'IVG.

Je ne pense pas que les femmes prennent cet acte à la légère. Sauf quelques incorrigibles immatures qui seront multirécidivistes sans qu'on y puisse rien. Mais la plupart du temps, les femmes réfléchissent, hésitent et se culpabilisent. Je trouve très important que la loi ait prévu un entretien à ce moment toujours difficile du choix d'interrompre une grossesse. Je suis toujours très étonnée de la facilité avec laquelle les femmes racontent leur vie dans toute son intimité comme si ce moment les poussait à faire le point sur leur vie de femme, leur choix de vie, leurs enfants, leur homme. C'est l'histoire du désir qui est illimité et de la réalité qui impose ses limites et sa frustration Elles arrivent souvent coupables et agressives mais, en général elles repartent apaisées, réconciliées avec elles-mêmes. Elles n'ont pas trouvé de solution à leurs problèmes mais, en sortant, elles se poseront sûrement les bonnes questions qui les guideront vers une meilleure prise de conscience de leur dignité.

En conclusion

Il faudrait d'autres lieux, d'autres occasions pour que les femmes puissent trouver une écoute respectueuse ou la parole sur les choses de la sexualité soit authentique.
On parle beaucoup en ce moment des infirmières scolaires et je trouve très positif qu'on les encourage à dialoguer avec les jeunes, pas seulement pour leur distribuer des pilules mais pour les aider à prendre leurs responsabilités. Mais la réflexion sur ce sujet devrait concerner toutes les personnes qui ont une fonction d'accueil. Si l'intervenant est réceptif, les confidences émergent, la parole se libère et ce qui paraissait compliqué, lourd à porter, culpabilisant, devient simplement humain.
De telles occasions, de tels lieux sont encore à inventer, et vous avez peut-être des idées sur la manière de construire ensemble une société où les femmes seraient aidées à mettre au monde des enfants dans des conditions plus humaines ...

 

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